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![]() ![]() ![]() Un moment décisif pour la réforme mondiale de la dette
par Ameenah Gurib-Fakim*, María Fernanda Espinosa** Et Shamshad Akhtar*** ![]() PORT LOUIS/MADRID/KARACHI Dans un contexte d'aggravation de la
pauvreté, de faible croissance, d'escalade des catastrophes naturelles liées au
climat, et d'instabilité géopolitique, la dette souveraine est devenue le
principal obstacle à l'accomplissement des objectifs mondiaux de développement.
Sans réformes structurelles audacieuses, le système financier actuel continuera
de servir les intérêts d'une minorité, tout en réduisant les perspectives de
plusieurs milliards de personnes, en particulier dans les pays du Sud.
Les dirigeants mondiaux se réuniront le 30 juin à Séville, en Espagne, dans le cadre de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4). Malgré la complexité du paysage géopolitique actuel, les États sont parvenus à un consensus sur un projet de texte, signe encourageant selon lequel le multilatéralisme demeure un chemin judicieux pour l'avenir. Ce que l'on appelle l'Engagement de Séville a ainsi été établi la semaine dernière à New York, et sera adopté le premier jour de la conférence. Parmi les évolutions positives, deux principales promesses sont à souligner : création d'un nouveau processus intergouvernemental de formulation de recommandations concernant la dette souveraine, conférant aux pays en voie de développement un siège à la table de l'élaboration des normes mondiales relatives à la dette, et mise en place d'un mécanisme d'emprunt axé sur la réduction des coûts du capital ainsi que sur le développement d'outils de type swaps de dette, pour libérer davantage d'espace budgétaire dont ces pays ont tant besoin. Constitutives d'une avancée majeure, ces mesures sont néanmoins très insuffisantes. Un mécanisme complet et crédible d'allègement de la dette souveraine fait malheureusement encore défaut, sans lequel de nombreux pays resteront piégés dans un cercle vicieux de dette, de sous-investissement et de vulnérabilité climatique. Ce risque est souligné dans le récent rapport de la Commission du Jubilé, soutenue par le Vatican, qui affirme que « la communauté internationale a l'obligation morale de promouvoir » une deuxième initiative en faveur des pays pauvres très endettés. En tant que dirigeantes d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, nous sommes directement confrontées à cette crise de la dette des pays en voie de développement. Nos pays se heurtent à un dilemme impossible, entre le remboursement des créanciers et l'investissement dans notre avenir. En matière d'allègement de la dette souveraine, nous avons aujourd'hui besoin d'un système crédible, fondé sur des règles, qui fasse primer le développement économique et l'action climatique réelle sur les gains financiers à court terme. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Plus de la moitié des pays à revenu faible de la planète sont en situation de surendettement ou très proches d'y être confrontés. Depuis 2010, la dette publique des pays du Sud a augmenté deux fois plus rapidement que celle des États du Nord. Résultat, plus de 3,3 milliards de personnes vivent aujourd'hui dans des pays qui consacrent davantage de dépenses au paiement des intérêts qu'à la santé ou à l'éducation. Pour la seule période 2022-2023, les pays en voie de développement ont enregistré des sorties nettes de capitaux en direction de créanciers extérieurs publics et privés (banques multilatérales de développement exclues). Dans le même temps, les coûts d'emprunt pour les pays à revenu faible atteignent leur niveau le plus élevé depuis 40 ans, sous l'effet de la hausse des taux d'intérêt et du ralentissement de la croissance mondiale. Cette tendance n'étant pas vouée à s'inverser de sitôt, l'économiste en chef de la Banque mondiale, Indermit Gill, met en garde sur une situation dans laquelle le monde se rapproche rapidement d'une catastrophe de la dette souveraine, de « trop nombreuses économies en voie de développement » étant prises au piège d'une « spirale infernale ». Les conséquences sont désastreuses. Plus de 90 % des pays africains consacrent aujourd'hui une plus grande part de leurs recettes d'exportation au paiement d'intérêts que l'Allemagne d'après-guerre ne le faisait dans le cadre de l'Accord de Londres sur la dette de 1953. Les petits États insulaires en voie de développement, tels que la Dominique, sont contraints de s'endetter davantage ne serait-ce que pour se reconstruire à l'issue de catastrophes naturelles récurrentes liées au climat. Quant au Pakistan, il ne parvient à garder la tête hors de l'eau que grâce à des renflouements répétés en provenance du Fonds monétaire international. Malgré ces enjeux considérables, la communauté internationale demeure concentrée sur des ajustements progressifs, qui traitent les symptômes plutôt que la maladie. Bien que plusieurs initiatives telles que le Cadre commun du G20 pour les traitements de la dette aient créé un certain répit, le système demeure au cas par cas, lent, fragmenté, et ne permet donc pas de produire en temps utile des solutions équitables. Cette année offre une opportunité unique de changer de cap. Bien que le projet de texte de la FfD4 témoigne d'une certaine dynamique, les paroles doivent désormais s'accompagner de résultats. Nous devons saisir cette occasion pour élaborer une approche plus cohérente, plus prévisible et plus inclusive de l'allègement de la dette. C'est la raison pour laquelle nous appelons au lancement immédiat d'une initiative d'allègement de la dette pour les pays incapables d'investir dans leur développement en raison du poids insoutenable de leur dette ou du coût élevé du service de cette dette. Cette initiative devra réunir à la table des négociations tous les créanciers privés, bilatéraux et multilatéraux et veiller à ce que le processus soit à la fois prévisible et inclusif. Les solutions doivent s'étendre au-delà des simples correctifs financiers. Il est nécessaire que l'allègement de la dette soit associé à des investissements stratégiques dans la santé, l'éducation et la résilience climatique, afin de permettre aux pays concernés de libérer l'espace budgétaire dont ils ont besoin pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, et pour promouvoir une croissance verte. Un changement fondamental est également nécessaire dans la manière dont la viabilité de la dette est évaluée. Les approches actuelles ne tiennent pas compte des besoins d'investissement des pays en voie de développement, ni des risques croissants que représentent pour eux le changement climatique et la dégradation de l'environnement. Plutôt que de pénaliser les États qui investissent dans leur avenir, nous devons améliorer les évaluations de la viabilité de la dette, en phase avec les objectifs de développement et les objectifs climatiques. Le système multilatéral a été créé pour résoudre les problèmes mondiaux. Or, il peine aujourd'hui à suivre le rythme de changements géopolitiques rapides. Le monde s'orientant vers la multipolarité, les appels à un ordre planétaire plus équitable gagnent en dynamique. Une opportunité s'offre en particulier à l'Europe de rétablir sa crédibilité aux yeux des pays du Sud, en œuvrant en première ligne de la réforme de la dette, à la fois dans les principes et dans la pratique. Notre engagement ne se mesurera pas en fonction de nos déclarations, mais des résultats que nous obtiendrons. Le monde n'a pas besoin de nouvelles promesses, mais d'une véritable réforme structurelle de la dette, qui permette aux pays en voie de développement d'investir dans l'avenir que leurs populations méritent. * Première femme présidente de la République de l'île Maurice, est membre de l'Initiative des dirigeants africains pour l'allègement de la dette. ** Ancienne présidente de l'Assemblée générale des Nations Unies, est directrice exécutive de GWL Voices et coprésidente du Projet d'allègement de la dette pour une relance verte et inclusive. Elle a été membre du Comité consultatif international de la COP29. *** Ancienne ministre des Finances et ancienne gouverneure de la Banque d'État du Pakistan, est coprésidente du Projet d'allègement de la dette pour une relance verte et inclusive. |
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