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![]() ![]() ![]() Libérer le potentiel des « plateformes-pays »
par Pepukaye Bardouille* Et Sara Jane Ahmed** ![]() BRIDGETOWN Tous les trois ou quatre ans, une nouvelle notion émerge et
vient capter l'imagination des experts et praticiens du développement. Bien
souvent lancés avec de nobles intentions et grand enthousiasme, bon nombre de
ces concepts s'estompent rapidement, et ne laissent derrière eux que peu
d'impact durable. Le plus récent d'entre eux le concept de plateformes-pays
parviendra-t-il à rompre ce cycle et à tenir ses promesses ?
Bien qu'il n'existe pas de définition universellement reconnue du terme plateforme-pays, celui-ci désigne généralement les cadres dans lesquels les pays en voie de développement prennent l'initiative de fixer des priorités en matière d'action climatique et de développement durable, ainsi que de coordonner avec les banques multilatérales de développement (BMD), les donateurs et le secteur privé la mobilisation des financements nécessaires. C'est un concept prometteur. Néanmoins, pour que les plateformes-pays ne deviennent pas une nouvelle tendance éphémère dans le domaine du développement, il va leur falloir commencer à produire rapidement des résultats tangibles. Un alignement des différentes parties prenantes est pour cela essentiel. Or, pour passer de l'alignement à l'impact, quatre impératifs au moins doivent être respectés. Le premier impératif réside dans l'examen attentif des rôles respectifs de l'État et du secteur privé. Les plateformes-pays dépendront probablement dans une mesure importante des partenariats public-privé (PPP), qui sont plus efficaces lorsque les gouvernements prennent des décisions stratégiques concernant les domaines dans lesquels l'investissement et l'expertise du secteur privé peuvent apporter le plus de valeur ajoutée. Il est également essentiel d'établir de solides cadres de partage des risques, et de définir clairement les conditions d'engagement. Créé en 2010, le Public-Private Partnership Center des Philippines constitue un modèle utile. Sous l'égide des ministères des Finances ainsi que de l'Économie, de la planification et du développement, le Centre apporte son soutien au développement de projets à stade précoce, formule des orientations politiques claires, et fait office de plateforme de confiance pour aligner les intérêts de l'État avec ceux des investisseurs. Parmi les clés de sa réussite, le Centre s'est rapproché très tôt des chambres de commerce, et il a procédé à une réforme du droit sur le modèle ROT (Build-Operate-Transfer), qui a permis la prise en considération de propositions non sollicitées, à condition qu'elles fassent l'objet d'une mise en concurrence. Ainsi, en lieu et place d'une situation dans laquelle l'État aurait recommandé une solution spécifique, le secteur privé a pu proposer des approches en phase avec les priorités nationales, et optimiser le rapport qualité-prix. Les partenariats qui en ont résulté ont permis au gouvernement d'optimiser la fourniture de services, en tirant parti d'une part des efficiences et innovations du secteur privé, et de l'autre des capacités administratives de l'État, ce qui a abouti à la mobilisation de 45 milliards $ de financements sur dix ans, ainsi qu'à la transformation rapide des infrastructures des Philippines. Le travail des plateformes-pays s'étend toutefois au-delà des PPP, qui ne sont parfois pas adaptés aux priorités fourniture de services sociaux ou aspects spécifiques de l'adaptation face au climat, par exemple en particulier au sein d'économies peu développées, ou dans des contextes de post-conflit et de post-catastrophe. Dans ces situations, le secteur public doit être en capacité d'agir, et c'est ce qui nous conduit à évoquer un deuxième impératif : la répartition précise et explicite des responsabilités respectives dans la mise en œuvre des programmes. Après le passage de l'ouragan Maria, qui a dévasté le petit État insulaire de la Dominique en 2017, le gouvernement du pays a adopté une loi sur la résilience climatique, et créé l'Agence d'exécution de la résilience climatique pour la Dominique (CREAD). Soutenue par seulement 5 millions $ de fonds issus de donateurs pour son mandat initial de quatre ans, l'agence était opérationnelle en trois mois, forte d'un personnel hautement expérimenté et motivé, principalement local ou régional. Malgré ces débuts prometteurs, la CREAD n'a pas été en mesure d'exprimer son plein potentiel durant ses deux premières années de mandat, notamment à cause d'un manque de clarté dans la détermination des responsabilités. Le mandat de la CREAD consistait officiellement à diriger l'élaboration et la mise en œuvre d'un ambitieux programme de résilience au niveau local. Dans la pratique, l'agence ne jouissait pas de la pleine autorité nécessaire pour y parvenir. Peut-être le mandat légal de la CREAD était-il considéré comme trop étendu, ou peut-être que son mode de fonctionnement s'éloignait trop de la norme en ce qui concerne les entités publiques. Quelle qu'en soit la raison, la CREAD a été pour l'essentiel reléguée au rôle de conseillère, même s'agissant de projets dans le cadre desquels son expertise interne en matière d'achats publics et de construction aurait pu changer la donne. La CREAD n'a par ailleurs eu d'autre choix que de soutenir des initiatives déjà approuvées au préalable par les partenaires du développement, selon des champs d'action et des modalités de mise en œuvre prédéterminés. Résultat, bien que l'agence ait légué un certain héritage positif on lui reconnaît l'élaboration du Plan de résilience climatique et de reprise de la Dominique, ainsi que la construction de capacités ministérielles elle n'a pas été en mesure de mener à bien la tâche pour laquelle elle avait été créée, ce qui a conduit son équipe dirigeante initiale à démissionner. L'enseignement à tirer plus généralement de l'expérience des Philippines et de la Dominique réside en ce que l'alignement de partenaires extérieurs ne permet pas à lui seul de produire un changement fondamental. Pour parvenir à exprimer leur plein potentiel, les plateformes-pays doivent consister en mécanismes véritablement définis au niveau national, axés sur des missions, et guidés par l'ensemble de l'État. Les gouvernements doivent par ailleurs être prêts à travailler de manières nouvelles et potentiellement non conventionnelles. La réussite en la matière dépend de l'intention, de l'appropriation des responsabilités, ainsi que des capacités, mais plus encore des incitations, qui constituent le troisième impératif. Pour les États, les incitations extérieures prévues par exemple dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés ou de l'Initiative pour la transparence des industries extractives peuvent contribuer à faire avancer les choses. Cela vaut également pour les mécanismes intérieurs, tels que les contrats basés sur la performance pour les entreprises publiques. De leur côté, les partenaires du développement doivent comprendre que leur rôle consiste à soutenir les États dans l'accomplissement de leurs objectifs, pas à promouvoir les leurs. Il est par ailleurs nécessaire que ces partenaires soient incités à tous les niveaux. L'assistance technique ou les subventions de la part des BMD et des donateurs, par exemple, doivent être orientées de manière à soutenir le développement de pipelines de projets, ainsi qu'à établir des cadres de mise en œuvre dirigés localement, voués à demeurer en place à long terme. Les BMD doivent également être incitées à collaborer plutôt qu'à se faire concurrence. Les plateformes-pays auront plus de chances de s'imposer si elles recourent à des outils de planification macroéconomique (par exemple à des cadres de dépenses à moyen terme, et aux analyses de viabilité de la dette du FMI et de la Banque mondiale) ainsi qu'à d'autres instruments de financement stratégiques (tels que les swaps dette-développement). Il s'agit du quatrième impératif. Ce fonctionnement permettrait aux ministères des Finances d'établir la valeur de ces plateformes d'un point de vue macrobudgétaire plus large, en démontrant de manière crédible les avantages liés à des financements concessionnels plus élevés en soutien des initiatives de croissance et de résilience, et liés par extension aux améliorations des notations de crédit. Bien qu'il n'existe pas de solution miracle en matière de développement, les plateformes-pays peuvent contribuer à faire avancer des programmes d'investissement complexes, en particulier lorsque des lacunes institutionnelles dans la mise en œuvre ou la coordination entravent les progrès, notamment en identifiant et en soutenant les projets les plus efficaces. Les nobles intentions et les cadres les plus aboutis ne produiront néanmoins pas ces résultats sans un leadership public fort, sans modèles de mise en œuvre adaptés au contexte, et sans une attention constante prêtée aux résultats. * Directrice de l'Initiative de Bridgetown et conseillère spéciale en résilience climatique auprès de la Première ministre de la Barbade, a été la fondatrice et PDG de l'Agence d'exécution de la résilience climatique pour la Dominique. ** Directrice générale et conseillère financière du CVF-V20, a été conseillère auprès du gouvernement des Philippines. |
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