Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Promouvoir la paix par la diplomatie scientifique*

par Mustapha Benmouna*

La diplomatie scientifique peut jouer un rôle majeur au service de la paix dans le monde. Les relations diplomatiques entre les Etats engagent une variété d'actions dans les domaines de l'économie, de la culture, de l'éducation et de la science, en plus d'un dialogue politique permanent.

Ces actions sont mises en œuvre à travers l'échange de représentants accrédités notamment des ambassadeurs, consuls et attachés spécialisés. La diplomatie scientifique en est devenue une partie intégrante depuis environ une vingtaine d'années, même si les actions diplomatiques fondées sur la science existaient depuis longtemps.

Les attachés culturels et scientifiques comptent parmi les personnels d'ambassades chargés de gérer les relations dans ces domaines et superviser les programmes destinés aux étudiants, chercheurs et universitaires. La science implique des idées, des méthodes et de la logique; elle représente essentiellement la capacité intellectuelle des personnes en ignorant les frontières géographiques, alors que la diplomatie classique est plutôt de nature politique et est principalement centrée sur les intérêts nationaux. Le lien entre la science et la diplomatie contribue à établir des ponts entre peuples de différentes régions du monde recherchant la paix de diverses manières. Lorsqu'on évoque le rôle de la science dans la diplomatie, on fait référence aux recommandations adressées par les scientifiques aux autorités pour les guider dans le processus de prise de décision. De telles recommandations découlent uniquement des conclusions d'études scientifiques. La diplomatie pour la science concerne les efforts déployés par les diplomates pour faciliter les échanges entre scientifiques et développer des programmes internationaux selon des formats bilatéraux ou multilatéraux. La science au service de la diplomatie est invoquée lorsque la science contribue à réduire les tensions dans les relations internationales.

La diplomatie scientifique a prospéré depuis une vingtaine d'années dans un contexte de mondialisation et de multilatéralisme. La mondialisation et le multilatéralisme sont les mots clés de la diplomatie scientifique. La meilleure référence à cela vient de l'Organisation des Nations unies (ONU) qui compte plusieurs institutions vouées aux échanges multilatéraux, abordant les défis mondiaux du point de vue scientifique. Les institutions et programmes typiques sont : l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, qui supervise de nombreux programmes intergouvernementaux dont celui de ‘L'homme et la biosphère' visant à améliorer la qualité de vie dans l'environnement; l'Organisation mondiale de la santé qui gère depuis 2019 la crise sanitaire provoquée par la Covid; l'Agence internationale de l'énergie atomique qui promeut activement l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques. L'Académie mondiale des sciences basée à Trieste en Italie (TWAS) est également affiliée à l'ONU, et bénéficie d'une longue expérience en diplomatie scientifique. En collaboration avec le Centre international de physique théorique, elle propose aux scientifiques du monde entier des programmes offrant des possibilités de recherche à la pointe du progrès. Beaucoup de ces programmes concernent l'Afrique et le Moyen-Orient où les opportunités de recherche sont limitées en raison de soutien insuffisant ou d'instabilité politique.

Certaines parties de ces régions ont connu des situations tendues provoquant d'importants mouvements de populations à la recherche de lieux plus sûrs autour du bassin méditerranéen. La région méditerranéenne est depuis des années le théâtre d'un phénomène d'émigration sans précédent qui touche toutes les catégories de personnes, y compris les scientifiques. Les populations de cette région ont réagi de diverses manières vis-à-vis du phénomène d'émigration, certaines ont fait preuve de solidarité tandis que d'autres ont exprimé des inquiétudes pour leur propre sécurité et niveau de vie. De toute évidence, la diplomatie scientifique offre une piste pour résoudre ce problème, du moins pour les scientifiques, en combinant l'ingéniosité des diplomates et la générosité des scientifiques. C'est ce que TWAS tente de réaliser avec le soutien de l'Italie et de nombreux autres pays comme le Koweït, la Chine et le Brésil, pour n'en citer que quelques-uns. Tous les programmes engagés sous l'égide de l'ONU sont, en principe, appuyés par l'ensemble des cent quatre-vingt-treize Etats membres, ce qui signifie qu'ils revêtent une importance particulière pour l'humanité entière, même si certains programmes connaissent moins de succès et nécessitent davantage d'efforts pour être menés à bien.

Avant de terminer cette section, mentionnons deux succès majeurs de la diplomatie scientifique dans le monde. Le premier succès émane du Centre de recherche nucléaire (CERN) situé près de Genève en Suisse et qui compte douze Etats membres européens. Cette institution a contribué à la construction du synchrotron pour la science expérimentale et ses applications au Moyen-Orient, connu sous l'acronyme SESAME, qui représente l'un des principaux centres de recherche en physique du monde arabe. SESAME est basée en Jordanie et compte neuf Etats membres du Moyen-Orient. L'autre succès majeur de la diplomatie scientifique est la station spatiale internationale, mise en orbite en 1983, dans le cadre d'un partenariat unique entre les États-Unis et la Russie, impliquant également les agences spatiales du Japon, du Canada et de certains pays européens.

La diplomatie scientifique s'intègre parfaitement dans la diplomatie dite de soft power. La diplomatie classique est conçue en fonction des intérêts du pays, elle n'a pas une forme figée et est constamment remodelée pour s'adapter aux changements dans le temps et dans l'espace. Elle ne tire pas sa force uniquement de l'économie, de la richesse et du bien-être social du pays concerné, mais aussi de sa position dans le monde en termes de réalisations scientifiques et technologiques. Certains pays adoptent une posture de hard power en mettant en exergue leur force militaire, n'hésitent pas à se lancer dans des conflits armés pour imposer leurs points de vue. D'autres privilégient une approche de soft power et font de leur mieux pour résoudre les problèmes par le dialogue de manière pacifique. Le monde a connu ces dernières années des cas où la diplomatie scientifique a été intégrée dans une approche de soft power via des partenariats exemplaires entre différentes nations. La Chine est souvent citée comme un exemple typique de soft power en réussissant à construire un réseau de partenariats, y compris dans les domaines scientifique et technologique, partout dans le monde, en particulier avec les pays émergents d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Le succès de la diplomatie scientifique nécessite une composition ingénieuse entre une bonne diplomatie et un écosystème attractif pour la formation et la recherche scientifiques. Une bonne diplomatie signifie le respect mutuel entre les partenaires nonobstant les différences de taille de population, de richesse ou de puissance militaire, et se nourrit d'une approche de soft power promouvant la paix et la solidarité.

Dans ce contexte, un appel est lancé aux scientifiques arabes pour unir leurs efforts dans la conception d'une diplomatie scientifique commune. TWAS offre un cadre adéquat pour former un groupe de travail parmi ses membres arabes afin d'ouvrir la voie à une stratégie commune à long terme. Quelques idées sont avancées pour un éventuel débat sur cette question importante. L'énergie offre une opportunité unique aux pays arabes de collaborer et de développer une stratégie commune qui pourrait avoir un impact plus important sur l'élaboration de la politique énergétique mondiale.

Les scientifiques arabes pourraient commencer par un programme commun de formation et de recherche dans différents domaines et pas seulement dans les technologies du pétrole et du gaz naturel, préparant ainsi une transition énergétique en douceur grâce aux économies d'énergie et aux sources d'énergie renouvelables. La crise de l'eau, dont souffrent la plupart des pays arabes, représente un sujet de préoccupation vital tant pour les scientifiques que pour les décideurs politiques. Le dessalement de l'eau de mer adopté par plusieurs pays arabes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord constitue un sujet intéressant de collaboration où l'on peut identifier une opportunité unique de recherche scientifique à la pointe du progrès. De nouveaux matériaux sont testés pour la conception de membranes efficaces présentant des structures fines à l'échelle nanométrique et visant le meilleur compromis entre perméabilité et sélectivité à un coût raisonnable. Un autre sujet d'intérêt commun est le défi de la sécurité alimentaire, où les pays arabes peuvent gagner beaucoup en échangeant leurs expériences en matière de réseaux de production, de stockage, de distribution et de commercialisation des produits alimentaires. Également sur la façon dont l'eau, l'énergie et les équipements dédiés à l'agriculture sont gérés pour aider à cultiver des aliments qui satisfont aux normes de qualité.

La désertification, la pénurie d'eau, l'érosion des sols, les pratiques agricoles incorrectes, l'utilisation de produits chimiques (par exemple les pesticides) représentent des défis qui peuvent être relevés dans le cadre d'un dialogue continu visant à définir une politique commune. Les pays arabes, en général, et l'Algérie, en particulier, sont parmi les plus touchés au monde en termes de pénurie d'eau et souffrent davantage en raison de leur mode de vie rural à caractère agricole prédominant.

L'Algérie a une expérience particulière concernant le phénomène de désertification qui touche le nord du Sahara. Un mégaprojet de barrage vert dans cette région a été initié au début des années 70 par la plantation de millions d'arbres (pins d'Alep, palmiers, arbres fruitiers, alfa, etc.) sur une région de 1.200 km de long et 20 km de profondeur, correspondant à près de trois millions d'hectares. L'intelligence artificielle constitue un autre domaine où une forte coopération entre les Etats arabes est souhaitable. Le développement des technologies informatiques tant en hard qu'en software, la révolution de Big Data et la forte montée de l'intérêt de la recherche scientifique dans ce domaine à partir de 2010 ont fait de l'intelligence artificielle un phénomène sociétal. Certains Etats arabes, comme les Émirats arabes unis, comptent parmi les leaders mondiaux dans ce domaine et pourraient aider les autres pays arabes à rattraper leur retard dans ce domaine en évolution rapide.

Qu'en est-il pour l'Algérie ? Quelques réflexions sont évoquées dans ce paragraphe sur la perception en Algérie du rôle de la diplomatie, en général, et celui de la diplomatie scientifique, en particulier. Au milieu des années cinquante, avant même l'indépendance, les dirigeants algériens avaient compris que la diplomatie était un moyen efficace pour faire face au colonialisme. Une victoire militaire était difficile compte tenu du déséquilibre des forces.

D'un côté, la France était l'une des premières puissances militaires dans le monde, soutenue par l'OTAN, tandis que de l'autre côté, il y avait des hommes et des femmes armés uniquement de leur foi et de leur conviction pour la bonne cause, mais prêts à sacrifier leur vie pour la liberté. La diplomatie, en revanche, offrait une force à l'échelle internationale. Une page diplomatique glorieuse de l'histoire moderne de l'Algérie avait été écrite par l'équipe de football des émigrés. Dans une action secrètement concertée, des joueurs algériens de grande renommée opérant dans le championnat français de football à la fin des années cinquante avaient rejoint le gouvernement provisoire en exil en Tunisie. Une glorieuse séquence diplomatique avait été inscrite par cette équipe, capable de battre les grandes nations du football à cette époque, initiant ainsi un vaste mouvement international de solidarité en faveur de l'indépendance de l'Algérie.

Un autre moment fort de la diplomatie avait eu lieu en 1977, lorsque l'Algérie avait servi de médiateur entre les États-Unis et l'Iran pour régler le problème des otages américains à l'ambassade de Téhéran. Cet incident avait provoqué une crise aiguë entre les deux pays mais avait connu une fin heureuse grâce à des diplomates compétents. Depuis son indépendance en 1962 et pendant des décennies, l'Algérie avait lancé des programmes massifs de formation au sein d'institutions nationales et à l'étranger, accompagnés d'investissements substantiels pour construire des infrastructures et acquérir des équipements dédiés à l'enseignement, à la recherche et à l'administration. Cependant, ces programmes ambitieux n'avaient pas été suivis d'actions appropriées permettant de bénéficier des avantages d'une main-d'œuvre hautement qualifiée. Un grand nombre d'étudiants formés dans des universités prestigieuses avaient choisi de ne pas rentrer chez eux, préférant faire carrière à l'étranger, notamment en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis compte tenu des avantages offerts immédiatement. En fait, les lois sur l'émigration établies par ces pays, dans le cadre de la diplomatie scientifique, donnent la priorité aux personnes hautement qualifiées, ce qui facilite leurs conditions d'intégration.

Cette situation est une conséquence directe d'un manque de vision des responsables algériens par le passé en termes de diplomatie scientifique, mais certains signes montrent que les autorités actuelles en ont pris conscience et s'engagent à donner la priorité à ce qu'on appelle la diaspora, en particulier aux Algériens qualifiés vivant à l'étranger. Des tentatives sont faites pour structurer la diaspora comme un segment majeur du déploiement diplomatique et de la stratégie de développement du pays.

Deux ministères sont engagés dans la politique de promotion de la paix à travers la diplomatie scientifique. Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté algérienne à l'étranger travaille en partenariat étroit avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pour construire des programmes communs dédiés à la science et à la technologie avec les institutions internationales, partout dans le monde, en mettant l'accent sur la paix, la solidarité et le dialogue multiculturel.

L'organigramme du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique comprend un département important en charge de la coopération internationale et des échanges interuniversitaires. De même, l'organigramme de chacune des cinquante-six universités disséminées à travers le pays présente un département majeur (appelé vice-rectorat) consacré aux programmes d'échanges et à la collaboration scientifique avec des institutions étrangères, notamment celles du monde arabe et d'Afrique. Un exemple typique est donné par l'Institut panafricain des sciences de l'eau et de l'énergie (PAWES), qui est l'un des quatre instituts appartenant à l'université panafricaine et hébergé par l'université de Tlemcen. Depuis sa création en 2014, cet institut a permis à des dizaines d'étudiants de nombreux pays africains d'obtenir un master ou un doctorat sur des sujets liés à l'eau, à l'énergie, au changement climatique et au développement durable en lien direct avec l'Afrique.

*Membre de l'Académie mondiale des sciences (TWAS, Trieste, Italie)

*Cette contribution est largement inspirée d'un article publié par l'auteur dans le Newsletter de l'Académie mondiale des sciences et accessible gratuitement sur le web sous la référence : Mustapha Benmouna, ‘Nurturing peace through science diplomacy', TWAS Newsletter, Vol.35, N°2 (October23rd, 2023).