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L'activité de traduction à l'aune de la pandémie de Covid-19: de la stagnation à la redynamisation

par Benderdouch Nour-El-Houda*

L'apparition de la pandémie de coronavirus à Wuhan en Chine centrale a renversé radicalement l'ordre des choses. Les tensions qui traversent le monde ont poussé le traducteur à créer de nouvelles stratégies qui lui permettent de redynamiser son activité et de briser le pensum de la stagnation.

Plusieurs études et sondages ont démontré que le travail des traducteurs freelance est en continuelle baisse à cause de la Covid-19. Ce constat annonce le début d'une véritable déroute à la fois scientifique et économique du fait que la traduction constitue le trait d'union qui permet de relier différents domaines et de promouvoir la production. Mais pour pallier ce manque, plusieurs praticiens ont essayé de s'adapter aux circonstances contraignantes en confectionnant ainsi des dictionnaires médicaux bilingues ou même trilingues pour offrir aux non-spécialistes la chance de prendre connaissance de cette maladie contagieuse. Cette création se veut une démarche fructueuse et rentable dans la mesure où elle déploie un large éventail aux experts afin de revitaliser la tâche traduisante et d'enrichir le répertoire linguistique et surtout terminologique. Une telle situation va apprendre à ces chercheurs comment tirer profit de cette crise sanitaire qui loin d'être une entrave, s'impose comme un leitmotiv pertinent et significatif.

Depuis la peste d'Athènes qui s'est propagée dans la ville de Sparte jusqu'à la grippe asiatique au XXI? siècle et le coronavirus au XXII? siècle, la propagation des épidémies rocambolesques dans le monde a toujours constitué un espace de questionnement et une source de création pour les chercheurs dans différents domaines. Dans le but de répondre à des questions interminables sur ce phénomène, des journalistes, des politiciens, des médecins et mêmes des traducteurs se sont efforcés d'analyser avec minutie les causes et les retentissements éventuels de ces maladies sur l'évolution de l'humanité. Permettre une communication plurilingue entre ces différents chercheurs sur l'origine de ces pandémies ne peut se faire qu'à travers la langue qui s'impose comme un outil de travail incontournable. Déchiffrer la terminologie liée à la peste noire ou à la pandémie grippale de 1918 peut paraître complexe et difficile pour un non-spécialiste. Il va buter certainement sur la compréhension des sens des termes qui ne relèvent pas de son technolecte. Mais grâce à la base de données terminologiques de l'Union européenne (IATE)1, plus de 8 millions de termes médicaux ont été traduits dans 24 langues officielles afin de faciliter le contact entre les différents secteurs.

A cet égard, l'activité de traduction demeure cruciale et épineuse dans la mesure où elle a permis le rapprochement des domaines et des disciplines. Son envergure, comme tâche multidimensionnelle, n'est plus à démontrer. De par son dynamisme, le traducteur constitue le point de gravitation autour duquel s'articulent plusieurs pôles de recherche. Il s'ingénie à faire de son produit de base un support primordial sur lequel il va falloir fonder son raisonnement. Passer d'un texte A à un texte B ne lui est plus une mission facile dans la mesure où elle implique la mise en place d'un ensemble de mécanismes cognitifs et intellectuels afin de réussir son travail. Mais cette opération complexe serait, entre autres, tributaire de certaines conditions qui pourraient améliorer ou freiner ce processus. Il ne faut pas perdre de vue que cette accélération dans le domaine de la traduction médicale a été accompagnée d'une stagnation dans les autres domaines à savoir le tourisme, l'économie et l'industrie. Ce constat n'a fait que déjouer les pronostics dans la mesure où il s'est transformé en un élément incitateur qui a poussé les traducteurs à briser la monotonie de leur tâche pour créer de nouvelles stratégies de conduite. À cet effet, le traducteur se trouve devant un dilemme insoluble : redynamiser ou renouveler ses stratégies de transfert interlingual ? Quelles techniques faut-il adopter pour réanimer une activité en stagnation ?

- La Pratique de la Traduction face à la Réalité Pandémique

Le monde du travail a été véritablement affecté par la propagation de la pandémie de coronavirus. Ce constat contraignant a poussé les différentes entreprises et associations à chercher des solutions pertinentes pour revitaliser des métiers en suspens. Le métier du traducteur ne peut être excepté du fait qu'il est le premier praticien touché par cette interruption involontaire. À cet égard, la maladie de coronavirus a constitué une pierre d'achoppement contre laquelle se sont heurtés ces praticiens réflexifs qui cherchent maintenant à combler le manque par des moyens divers. Les conditions complexes dans lesquelles ils se trouvent, ne sont autres que des facteurs mobilisateurs qui ont attisé l'attention pour fructifier un secteur en perpétuelle prolifération. Dans cette veine, un sondage mené au sein de la SFT2 a montré que plus de 57% parmi 526 participants se sont prononcés sur l'impact négatif de la crise sanitaire non seulement sur le plan professionnel mais aussi psychologique.

Une autre enquête menée auprès des traducteurs freelance par l'Institut d'étude CSA3 a enregistré une baisse flagrante des rentes, de dépenses et de productivité du travail. Il en est de même pour les interprètes qui ont essayé de s'adapter aux circonstances actuelles en changeant carrément leurs méthodes de travail. Le recours de certains interprètes à l'outil numérique en utilisant Zoom, Webex ou Microsoft teams n'est qu'un moyen parmi d'autres pour redonner vie à cette pratique quasi importante. La propagation de la pandémie de coronavirus a transformé complètement les pratiques scientifiques des spécialistes de traduction. De nouvelles modalités se sont donc imposées afin de prodiguer des services efficaces aux commanditaires. La planification des activités selon un rythme composite (distanciel/présentiel) requiert une certaine vigilance de la part du praticien dans la mesure où les récepteurs ne disposent pas des mêmes moyens pour la poursuite de cette tâche substantielle.

De plus, le critère de la synchronicité et de l'asynchronicité joue un rôle crucial dans la fixation des acquis surtout lorsque les services ne sont pas présentés simultanément, c'est-à-dire en présentiel et en ligne. Dans ces conditions, l'interprète et/ou le traducteur sont appelés à organiser le dispositif hybride de façon systémique pour remédier à la rupture numérique qui constitue un véritable écueil au processus traduisant. En dépit de ces contraintes, l'innovation en matière de traduction et d'interprétation demeure une démarche épistémologique fructueuse qui permet la construction efficace des savoirs selon une logique rigoureuse.

- Quel effet le coronavirus a-t-il exercé sur les interprètes ?

Comme le traducteur, l'activité de l'interprète s'est trouvée profondément bouleversée par cette situation sanitaire mondiale. Ce problème a importuné non seulement les spécialistes mais aussi les non-spécialistes, c'est-à-dire ceux qui relèvent d'autres secteurs ou domaines à savoir : l'économie, le tourisme, l'industrie, etc. L'interprétation à distance s'est imposée donc comme la solution judicieuse afin de parer au manque et de réactualiser le travail de l'interprète. Nonobstant cette baisse soulignée dans le domaine de la traduction et de l'interprétation, une hausse frappante des services a été constatée dans les domaines des sciences médicales et pharmaceutiques. Ajoutant à cela le domaine de l'informatique à travers les multiples opérations effectuées en ligne. Il serait donc judicieux de dire que la traduction des termes médicaux a optimisé énormément l'échange entre les chercheurs qui s'intéressent profondément à cette situation épidémiologique.

- La traduction médicale au confluent de la Covid-19

- Quels défis les médecins et les traducteurs vont-ils relever ?

Dans l'objectif de faciliter l'échange entre des praticiens relevant de différentes disciplines, les traducteurs ont éprouvé la nécessité de renouveler leurs méthodes de travail en concevant des dictionnaires et des ouvrages qui servent de socle à la compréhension de la nomenclature médicale. Ce saut qualitatif dans le champ de la traduction a généré un impact positif sur le marché des traducteurs. La traduction de toute forme de documentation médicale (notices et catalogues de produits médicaux) a été tant accélérée par le biais de logiciels comme «Term4client» (Kern) qui a la spécificité de traduire les termes médicaux en huit langues afin d'offrir aux clients des services immédiats et efficients.

Cette augmentation exponentielle dans le champ de la médecine et de la santé a poussé en avant la recherche scientifique en ouvrant ainsi de nouvelles perspectives aux praticiens de la langue et surtout aux spécialistes en études cliniques et pharmaceutiques sur la pandémie de coronavirus qui sollicitent continûment l'aide des traducteurs afin d'optimiser leur travail. Cette collaboration fructueuse s'est fondée principalement sur le primat de l'échange effervescent entre des disciplines connexes telles que: la biotechnologie, la virologie, l'oncologie, etc., et ce dans le but de trouver remède à ces pandémies qui rongent sans cesse l'humanité. A cet égard et afin de faciliter le contact entre les condisciples, des organisations se sont essayées à produire en ligne des dictionnaires bilingues et trilingues à l'instar de l'ALESCO4.

- A quelles obligations le traducteur médical est-il soumis ?

Il serait opportun de dire que le métier du traducteur médical demeure très sensible et même délicat dans la mesure où toute erreur de transfert interlingual peut causer des préjudices considérables aux commanditaires. De ce fait, le traducteur est sommé de vérifier minutieusement son produit à traduire pour parer à l'insuffisance en matière de compétence linguistique enregistrée chez les médecins qui, malgré la maîtrise de leur spécialité, ne disposent pas du bagage linguistique nécessaire pour se mouvoir d'une langue à une autre sans difficulté. Les médecins et les traducteurs sont donc invités à conjuguer leurs efforts pour manier correctement les différentes langues dont ils se servent incessamment pour répondre à leurs préoccupations. Les différents besoins auxquels ils sont confrontés se considèrent comme les conditions d'avancement qui exigent une analyse attentive afin de promouvoir la commercialisation des produits.

Il est à souligner aussi que ce transfert n'est pas seulement linguistique mais aussi culturel. Cela signifie que le traducteur doit prendre en considération la composante interculturelle dans la traduction des documents médicaux dans le sens où la langue et la culture constituent les deux revers d'une même médaille. Elles sont deux entités indissociables et leur présence est conjointe et simultanée. A ce titre, la traduction médicale n'est pas une discipline purement scientifique du fait qu'elle implique de réfléchir profondément sur les valeurs socioculturelles qui la sous-tendent. Déchiffrer le langage médical à travers le prisme de la culture, c'est expliciter les divers aspects d'une science qui vont de pair avec les exigences de la globalisation et l'unification du marché. La prise en compte de cette dimension dans le transfert des langues n'est pas une présomption mais une obligation qui s'impose aux spécialistes. Dans cette perspective, le traducteur médical est loin d'être considéré comme un simple médiateur qui se contente uniquement de faire un aller-retour entre deux langues sans prendre en vigueur cette compétence interculturelle qui se revendique comme le pilier indispensable sur lequel repose l'activité de traduction. Sa mission principale réside dans l'étude détaillée des éléments qui composent le substrat linguistique et culturel en vue de satisfaire son récepteur. La relation qui s'instaure entre le traducteur et le commanditaire est le résultat d'un contact permanent et rentable entre des acteurs soucieux de comprendre les phénomènes qui structurent le monde.

*Université Hassiba Ben Bouali de Chlef

Notes:

1- IATE (Interactive Terminology for Europe)

2- SFT (Société française des traducteurs)

3- CSA (Consumer Science & Analytics)

4- ALESCO (Arab League Educational, Cultural and Scientific Organization).