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Usages des médias et évolution des pratiques culturelles: Expériences citoyennes et projets urbains avec le Web

par Mohamed Bensalah*

Que n'a-t-on écrit ces dernières années sur le sujet ? La littérature scientifique relative à l'intégration des TIC(1) dans l'enseignement est aujourd'hui vaste et diversifiée.

Ce que nous pouvons cependant retenir de la consultation d'un nombre croissant de revues à partir de deux descripteurs «Education» et «technologie» c'est que l'influence des technologies est de plus en plus manifeste. Si durant une première phase, le ministère de l'éducation nationale s'est focalisé sur l'acquisition et la généralisation du matériel, très vite cette vision s'est enrichie de l'adoption d'une méthodologie de travail efficace prenant en compte de nouvelles approches de l'acte «enseignement-apprentissage» visant la réalisation des objectifs généraux du système, l'approche par compétences demeurant la référence la plus appropriée avec toutes les implications qui peuvent en résulter. Mais globalement et sans risque de se tromper, il est possible d'affirmer que dès les années 80, ces nouvelles technologies et la révolution numérique ont fondamentalement amélioré la circulation de l'information au sein et hors des entreprises. Avec l'intranet, l'internet, les blogs et les courriels, les liens se sont raffermis et les contacts sont devenus plus fréquents, plus rapides et plus efficaces entre les diverses composantes des services au sein de l'ensemble des entreprises, qu'elles soient à vocation culturelle et/ou économique. Comme nous l'avons précisé dans notre précédente contribution (1-1), les changements sur le fonctionnement des organisations à caractère pédagogique et sur le système éducatif sont en nette progression. Si les premières expériences de l'informatique scolaire visaient à préparer la «génération numérique» de demain en rendant l'apprenant plus actif et plus autonome, les effets suivants sont allés bien au-delà, grâce aux programmes mis en place et à la volonté explicite affichée d'intégrer rapidement les nouvelles technologies.

Dès le début du secondaire, le rapport au savoir se transforme progressivement. L'apprenant acquiert des notions avec une plus grande facilité et en un temps record. Entre autres initiatives, il prépare ses séquences d'enseignement, réalise ses travaux scolaires avec une certaine autonomie et parfois crée et exploite des logiciels. Ce qui signifie pour lui un gain de temps et d'efforts, ainsi que pour son enseignant qui peut alors développer des logiciels de gestion des ressources humaines et de gestion des plannings (de congés, d'absence, de remplacement, et de gestion prévisionnelle des compétences). L'interactivité (accompagnée d'images, de sons, de textes et de vidéo...) permet de stimuler les capacités innovantes chez l'apprenant et de briser la routine de l'apprentissage classique. Les informations formelles ou informelles, descendantes ou transversales circulant à grande vitesse, vont permettre aux TIC de tenir un rôle essentiel dans l'enseignement. Grâce aux moyens novateurs qu'ils fournissent pour la diffusion des connaissances, mais aussi pour l'exploitation des stratégies d'apprentissage qui favorisent la construction des compétences (accessibilité de l'information, échanges de courriels, consultations de sources documentaires, communication et échange en temps réel via une interactivité permanente), ils ne peuvent qu'être d'un grand apport pour les élèves et les apprentis algériens (2) et pas seulement. Encore faut-il que l'enseignant ait une bonne formation qui lui permette d'avoir une idée de ce qui existe, de ce qui est possible et de ce qui est approprié à l'âge des élèves et au contenu à enseigner.

Sans négliger les dimensions éducatives et culturelles, nous poursuivons nos investigations en poussant plus loin la réflexion sur les structures à caractère économique, social et politique qui ont longtemps été sceptiques face aux bienfaits de cette révolution en cours. Désormais, durablement installée dans les pays avancés qui ont compris très vite l'importance des enjeux, l'intégration des TIC est accompagnée de moyens novateurs, non seulement pour la diffusion des connaissances intra-muros, mais aussi pour l'exploitation de stratégies d'apprentissage, lesquelles favorisent la construction de compétences. Qu'on le veuille ou non, l'introduction des TIC s'impose comme un nouveau paradigme d'enseignement (3).

Pratiques et politiques d'innovation: vers de nouveaux paradigmes ?

Les TIC, outil aussi pour l'entreprise, ont un impact certain sur l'action du manager. Elles favorisent la création d'équipe de travail et permettent le rapprochement de compétences et de connaissances. Mais s'il est dit que le recours aux TIC est globalement efficace, certaines résistances à l'intégration sont manifestes. Des déceptions sont apparues rendant pénible toute velléité de développement. Citons, entre autres, les faibles investissements consentis au secteur, l'insuffisance en locaux et en équipements, ce qui provoque irrémédiablement des surcharges des salles de cours et une insuffisance en matériel et outils adéquats et adaptés. Les difficultés d'accès à la documentation spécialisée, ou à tout le moins, actualisée, accentuent le déficit en connaissances et en compétences. D'où, les faibles qualifications des enseignants en matière de logistique. Entre autres difficultés que tout un chacun est à même de constater par lui-même en visitant un établissement d'enseignement, il nous faut enfin signaler les difficultés chez les encadreurs à accepter de changer de méthodes de travail éprouvées depuis de nombreuses années et les complications d'ordre méthodologique. La levée de l'ensemble des obstacles énumérés est d'abord l'affaire des ministères concernés: Education nationale, Formation professionnelle et Enseignement supérieur qui doivent faire le maximum pour sensibiliser d'abord et former ensuite des formateurs de formateurs et des encadreurs pédagogiques.

Premier constat: les TIC ont, d'ores et déjà, bouleversé la communication interne au sein de toutes les entreprises dont la mission essentielle est de favoriser une construction commune du sens entre salariés. Second constat : outil de gestion des ressources humaines et matérielles par excellence, les techniques ont modifié progressivement les formes et supports de circulation de l'information au sein de l'entreprise. Cette dernière qui, traditionnellement limitait ses communications aux notes et rapports écrits, à la parole, via ou non téléphonique, aux affichages et à la publicité, a modifié progressivement ses interrelations en ayant recours aux instruments nouveaux de communication. Même les réunions, conférences et séminaires ont modifié leur look. Le changement est partout perceptible. La moindre panne d'internet ou un simple ralentissement des débits provoquent d'«importants embouteillages» au sein de l'administration publique.

Nous nous proposons aujourd'hui de poursuivre et d'approfondir la thématique du changement en tentant de répondre aux multiples interrogations qu'elle ne cesse de susciter, en rapport avec les mouvements de mobilisations sociopolitiques et la transformation du lien social. Commençons par ce qui nous apparait essentiel : la conceptualisation du changement dans les pratiques communicatives citoyennes. Le rôle primordial joué par les technologies de l'information et de la communication (TIC) dans les changements récents de notre espace vital et dans d'autres contrées du monde, nous incite à plus de circonspections quant aux rapports entre médias et transformation politique et sociale. En effet, ces mouvements renvoient à des réalités et à des contextes sociopolitiques et historiques fort différents mais révèlent toutefois une constante présence de la volonté du changement. D'où l'opportunité de saisir les constances et les ruptures propres à ces phénomènes en matière de mobilisations sociales et politiques afin de mieux appréhender et mieux analyser les facteurs sociopolitiques, économiques, culturels, artistiques, techniques, etc. qui favorisent le changement et les mobilisations citoyennes.

Les entreprises algériennes ne sont guère à l'abri des bouleversements et changements en cours. Elles sont appelées à une certaine vigilance face aux mutations en cours. D'où leur intérêt d'organiser des rencontres et séminaires (4) sur les difficiles rapports de l'Entreprise économique algérienne face à une communication institutionnelle débridée ou ne répondant plus aux normes de la modernité. Il s'avère urgent aussi de revoir le rôle de l'État et de ses stratégies de développement en ce domaine et de comparer avec les expériences maghrébines dans le domaine de la communication institutionnelle au sein de la société civile. Autres véritables défis que les entreprises affrontent : les systèmes et procédés de communication interne et externe qui doivent être remis en question afin de donner plus de souplesse et être orienté vers plus de coopération, afin de répondre aux exigences de cette nouvelle donne sociétale, désormais virtuelle, qui s'instaure. L'évolution de nos sociétés ces dernières années ayant engendré de grands bouleversements aussi bien dans les pays du Nord que dans les pays du Sud sur le plan culturel, linguistique, social, économique et politique, nous avons pensé, le moment venu, d'accorder une place privilégiée aux médias tous azimuts afin de leur ouvrir de nouvelles perspectives dans ce domaine.

Stratégies rhétoriques, argumentatives, stylistiques et médiatiques

Dans un monde où les conditions de prise de parole sont limitées, fixées par un cadre social ou culturel, ou par le pouvoir politique, les stratégies rhétoriques, argumentatives, stylistiques et médiatiques mises en œuvre par les citoyens dans les réseaux sociaux, les forums, les blogs, les SMS pour contourner les normes socioculturelles, sont multiples et variées. Dans nos précédentes contributions, nous avons essayé de montrer comment le fait médiatique est appréhendé selon les modalités de son inscription dans la matérialité discursive, et comment se construisent les marques des prises de positions énonciatives dans un contexte de bouleversement social et politique. En fait, ces évolutions renvoient entre autres, aux processus d'appropriation de divers modes d'expression par les citoyens dans une perspective de changement. Les multiples expressions médiatiques le prouvent aisément. Elles peuvent mettre en relief l'évolution des pratiques sociales, politiques, socioculturelles et artistiques qui peuvent conduire in fine à l'émancipation sociale et politique. S'il ne subsiste aucun doute sur les capacités mobilisatrices des TIC quant à la transmission et la rapidité des échanges de l'information entre militants ou citoyens, marquent-elles pour autant une rupture dans la forme et la nature d'un activisme régulier et encadré par les grandes structures militantes reconnues et s'inscrivant dans la continuité de l'organisation idéologique classique ?

Comme nous venons de le voir, les mutations en cours ne sont pas sans conséquences sur leurs stratégies de fonctionnement, leurs pratiques médiatiques, leurs finalités communicationnelles et, partant, sur leurs spécificités linguistiques et socio-langagières. Que dire alors de la formation, de l'intégration et de la généralisation des TIC dans la pratique enseignante ? L'intégration des TIC dans le cursus éducatif constitue en soi une innovation pédagogique complexe qui exige des changements selon plusieurs dimensions : habiletés des enseignants, réformes des méthodes traditionnelles et disponibilité d'outils d'enseignement et de matériel pédagogique auxquels on peut ajouter une coopération interuniversitaire indispensable. L'analyse des Technologies de l'Information et de la Communication implique donc de profondes réflexions sur leur(s) définition(s), leurs caractéristiques et leurs principes. Cela dit, l'échange de nouvelles, la mémorisation des données et la transformation des informations en connaissances et valeurs ajoutées, ne peuvent en aucune façon nous protéger des risques d'une communication mal maitrisée et d'un développement anarchique.

La vigilance est de mise. Nos ministères doivent de toute urgence se mettre au diapason et adopter une vue prospective, comme c'est le cas hors de nos frontières (5). A l'étranger, plusieurs capitales ont, depuis plus de deux décennies, saisi l'importance de l'enjeu d'investir dans cette dynamique et d'accompagner cette révolution numérique. L'exemple de Paris est exemplaire. Avec le programme «Paris Ville Numérique», de multiples initiatives visent à mettre tout le potentiel des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) au service des Parisiens : connexion Internet gratuite dans de nombreux espaces publics municipaux (jardins, bibliothèques...), ouverture des données publiques de la Ville de Paris... Au niveau culturel, Paris a encore lancé un plan de soutien d'envergure, de 1,4 million d'euros, à la transition numérique des salles de cinéma art et essai. Notre stagnation face à la sensibilisation et à la motivation n'a-t-elle pas trop duré ? La conclusion revient à Zohra Remil, l'internaute de Co-Founder CEO @ Abicem. «La révolution digitale est une opportunité unique que l'Algérie se doit de saisir».

*Enseignant retraité (anciennement chargé du Centre Pédagogique Multimédia à l'Ecole Normale Supérieure d?Enseignement Polytechnique d'Oran).

Notes :

(1-1) Ensemble des technologies faisant appel à un support numérique et servant à traiter l'information.

1) Lire notre précédent article (le QO du 26 mai), «Révolution numérique et démocratie culturelle: Le système éducatif face au cyberespace».

2) Constat de l'association algérienne pour le développement de l'enseignement des mathématiques et des TIC (A2DEMTI) qui se bat pour le prouver et le vulgariser.

3) «Médiatisation dans l'enseignement supérieur: vers un nouveau paradigme éducatif ?» Barbot, M.J. Revue ALSIC, Vol. 6, N° 1

4) A l'instar du Département des Sciences de l'Information et de la Communication de l'Université Ibn Badis de Mostaganem

5) La 4G, qui prépare le terrain à la 5G, a profondément changé les conditions des entreprises sur les marchés Business et a conduit à la formation de nouveaux modèles commerciaux et de puissantes entreprises dans le commerce électronique, vidéo mobile et médias sociaux. Changements industriels spectaculaires donc qui ont apporté des avantages économiques et sociaux importants en Afrique. La diffusion du haut débit mobile a eu un impact sur le développement économique.