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L'accueil : le maillon faible de la chaîne management

par M.T. Hamiani

Ce n'est que lorsque l'accueil est intégré à tous les aspects du fonctionnement du service que l'attention portée à l'usager est significative, et si elle doit être strictement fractionnée, elle n'a pas de sens.

Pourtant, l'accueil des usagers ne fait que très rarement l'objetd'une approche glo bale au sein des administrations, et se caractérise par un manque d'implication du management à tous les niveaux. Il en résulte un traitement très éclaté de la problématique de l'accueil, et une dispersion des responsabilités au sein de chaque structure.

Cependant, la gestion de la chose publique au niveau de la première échelle de l'administration fait rarement l'objet d'une approche globale par l'autorité compétente, qui se caractérise par le manque de participation des gestionnaires à tous les niveaux. Cela conduit à une gestion très décentralisée des questions d'accueil et à des responsabilités décentralisées au sein de chaque structure.

Or il n'est pas acceptable que quelques expériences locales positives soient l'arbre qui cache la forêt et ne bénéficient qu'aux usagers qui ont la chance de résider là où des initiatives sont entreprises. Il n'est pas admissible non plus de voir des inégalités importantes de qualité de service se creuser d'une administration à une autre, voire d'un bureau à l'autre au sein d'une même structure. De telles disparités ne peuvent être corrigées que par la mise en place d'une politique globale d'ampleur nationale.

Pour améliorer l'accueil des usagers, il faut donc avant tout énoncer une politique cohérente, portée au plus haut niveau et capable de mobiliser toutes les administrations autour d'objectifs clairs. Tout le management et l'organisation doivent être recentrés sur la notion de service à l'usager et fondés sur le développement d'une culture de l'évaluation des résultats et de la satisfaction des usagers.

Seuls une politique globale de l'accueil et un véritable changementde culture permettront, aidés par l'apport des nouvelles technologies,de ne plus faire supporter à l'usager la complexité de l'administration.

Fonder le management sur la notion de qualité du service rendu à l'usager

Les qualités relationnelles des agents d'accueil et leur capacité à communiquer sont des conditions essentielles pour un bon accueil.Cependant, l'approche relationnelle seule ne suffit pas pour rendre compte des facteurs de dysfonctionnement de l'accueil. En effet, de façon générale,les personnels d'accueil sont en soi plutôt de bonne volonté, préoccupés par l'utilité collective et soucieux de l'image du service public auquel ils appartiennent. En outre, ils sont certes agents publics, mais aussi usagers des services publics et ont à ce titre conscience, comme tout citoyen,de l'importance d'un bon accueil.

Mais les agents d'accueil ne maîtrisent qu'une partie du processus accompli avec l'usager, et les ressources dont ils disposent sont limitées.Car l'usager ne souhaite pas seulement avoir un accueil plus courtois dans un cadre plus agréable, il attend surtout que l'information qu'il demande lui soit communiquée et que son dossier soit traité efficacement.

Or ces éléments dépendent moins des services d'accueil front office que des services « techniques » back office et de la circulation de l'information entre eux. Les agents d'accueil ne sont que les médiateurs.S'ils ne parviennent pas à assurer un accueil de qualité, c'est généralement parce qu'ils sont insuffisamment reliés aux services gestionnaires, peu soutenus par l'encadrement, et qu'on ne leur donne pas les méthodes de travail et les outils techniques adaptés.

Les problèmes rencontrés à l'accueil sont donc les symptômesde difficultés plus profondes ancrées dans toute l'organisation et liées aumode de management. Accueil, organisation et gestion des ressources humaines sont interdépendants. En cela, l'accueil est un très bon révélateur des pathologies d'une institution.

L'accueil doit donc être perçu de façon globale, à la foiscomme un système (un ensemble de services fonctionnant en interaction pour atteindre un objectif commun), un mode de management et un comportement.

L'améliorer, c'est donc jouer simultanément sur ces trois volets. Cela suppose à la fois un fort engagement des parties prenantes (direction, encadrement intermédiaire et agents d'accueil) et un pilotage transversal s'appuyant sur des personnes ressources dans tous les services.

Renforcer la complémentarité front office/back office

Si l'on veut améliorer l'accueil et la qualité de service, il estessentiel de mettre fin à l'opposition et à la césure artificielle qui existe généralement entre le front office et le back office. L'organisation et le management doivent au contraire garantir une articulation forte et des interactions régulières entre les services assurant les processus de production et les services au contact du public. La complémentarité front office/backoffice est en effet la condition nécessaire pour atteindre une performance globale satisfaisante.

Le management doit donc constamment veiller à favoriser les relations et la circulation de l'information de l'un à l'autre. Aujourd'hui, la frontière entre le front et l'arrière, matérialisée dans l'architecture des bureaux ou dans les organigrammes, tend à devenir de plus en plus mouvante du fait des technologies de l'information et de la communication.Ces dernières peuvent en effet considérablement faciliter la communication entre les deux parties, par l'intermédiaire des intranets et des bases de connaissances.

Le problème de l'articulation et de la communication entre des services et des métiers différents interpelle l'institution dans son ensemble, car les échanges ne se font pas naturellement, mais relèvent de procédures, de codes, de rituels qui doivent être organisés. Or, cela n'est pas possible sans un appui institutionnel fort de la hiérarchie.

L'impulsion conjointe du politique et des directions pourrait permettre d'impliquer la hiérarchie intermédiaire et d'en finir avec l'irresponsabilité qui caractérise souvent la gestion de l'accueil des usagers. En effet, de façon générale, il n'y a pas actuellement de réel management des équipes d'accueil dans les administrations. En cas de problème, aucun interlocuteur responsable n'est là pour intervenir, donner des instructions ou prendre encharge l'usager mécontent : les agents d'accueil de base sont obligés de gérer seuls le face à face avec l'usager et de prendre des responsabilités qui dépassent leur fonction.

Pour remédier à cela, plusieurs services administratifs ont repensé leur accueil physique en prévoyant d'installer des agents, chargés de l'encadrement intermédiaire, dans des bureaux situés juste derrière les guichets d'accueil. La présence de responsables à proximité permet en effet de rassurer les agents au guichet et constitue un recours accessible en cas de litige. Elle permet également une réactivité dans la prise de décision par rapport aux situations rencontrées à l'accueil, comme l'appel d'agents du back office en renfort pour gérer la filed'attente.

Par ailleurs, faire de la qualité de service un critère d'évaluationde la hiérarchie des services administratifs concernés serait un bonmoyen d'indiquer à l'encadrement que le service à l'usager constitue unepart essentielle de sa mission et de l'inciter à prendre ses responsabilités en la matière.

Professionnaliser la fonction accueil dans l'administration

Dans l'administration aujourd'hui, l'accueil est une fonction aux contours flous, généralement définie par ses conditions matérielles et organisationnelles d'exercice, et qui s'apprend essentiellement sur le tas.

En effet, la liste des compétences nécessaires ne fait l'objet d'aucune prescriptionde la part des directions ou des cadres, ce qui signifie que le contenu du métier est « auto-produit » par les agents, et que les compétences nécessaires pour l'exercer sont réduites à une « vocation » qui existerait chez les uns et pas chez les autres. Il y a donc à l'heure actuelle une véritable « page blanche » dans la définition des métiers d'accueil dans l'administration.

Notons à cet égard qu'il existe en particulier un véritable enjeu concernant les fonctions d'encadrement intermédiaire de structures d'accueil physique ou téléphonique, qui ne sont absolument pas pensées aujourd'hui dans l'administration (absence de formations, grade ambigu qui ne leurdonne pas la légitimité suffisante, etc.) alors qu'il s'agit de métiers d'accueil très spécifiques appelés à se développer.

Ainsi, une condition essentielle de progrès réside dans la professionnalisation de la fonction accueil, c'est-à-dire la reconnaissance de l'accueil en tant que métier à part entière requérant des compétences particulières.

Une première forme de reconnaissance consistera à établir des appellations génériques pour les métiers d'accueil et à définir clairement leur contenu. Donner un contenu aux métiers de l'accueil implique de préciser les compétences requises pour les exercer et les moyens d'acquérir cescompétences. Trois types de compétences interdépendantes semblent requis pour exercer un métier de l'accueil :

- des compétences techniques, qui relèvent de la nature même du serviceconcerné.

- des compétences organisationnelles, qui sont le résultat du partage et dela circulation d'informations, horizontales et transversales.

- des compétences relationnelles, qui consistent en la compréhension finedes besoins des usagers et en leur mise en adéquation avec les contraintes techniques.

L'acquisition et la reconnaissance de ces compétences passent par la systématisation des formations à l'entrée en poste. Il est indispensable que l'administration remédie au manque de formations spécifiques aux métiers de l'accueil. Tous les agents affectés à l'accueil doivent bénéficier d'une formation adaptée au poste qu'ils vont occuper (accueil physique, accueil téléphonique, accueil de publics fragiles, etc.).

Valoriser la fonction accueil dans la carrière des agents

Les tâches d'accueil restent aujourd'hui considérées dans l'administration comme des tâches subordonnées, secondaires, improductives par rapport au traitement des dossiers ou à la liquidation des prestations.

En outre, l'utilité sociale de l'accueil, sa valeur de - citoyenneté -dans l'échange et la reconnaissance mutuelle, est une valeur aujourd'hui inexprimée. Cette dévalorisation de l'exercice de la fonction d'accueil a ainsi souvent pour conséquence logique une faible motivation des agents pour les postes d'accueil, d'où un problème de gestion des ressources humaines.À cet égard, il est primordial de mettre fin à la pratique de l'affectation à l'accueil des agents dont on ne sait pas quoi faire. L'affectation au poste d'accueil doit devenir une affectation positive, à partir des compétences de l'agent, et non une affectation par défaut d'agents qui ne pourraient pas exercer d'autres fonctions.

Pour cela, il est indispensable que les aptitudes et compétences acquises à l'accueil puissent être valorisées dans la carrière des agents :

L'exercice du métier d'accueil ne doit pas apparaître comme un handicap pour l'accès à un grade ou un corps supérieur. Il faut donc s'interroger sur les moyens de rééquilibrer les profits matériels et symboliques attachés aux métiers de l'accueil.

Une solution passe certainement par la revalorisation des métiers d'accueil au sein de l'administration, avec primes spécifiques et bonifications indiciaires, perspectives d'évolution de carrière et passerelles avec d'autres métiers. Il est en effet essentiel d'offrir aux agents une perspective crédible de commencer leur carrière dans un poste d'accueil puis d'évoluer par la suite vers une autre fonction ou, au contraire, d'offrir à certains agents la possibilité de se tourner vers l'accueil au cours de leur carrière sans que cela apparaisse comme une rétrogradation.

Sortir de la simple logique de l'offre et se tourner vers les attentes

Connaître les usagers tels qu'ils sont lorsque l'administration se pose la question de l'améliorationdu service aux usagers, un écueil fréquent consiste à se contenter de se mettre à la place de l'usager et à décider ce qui est bien pour lui sans le consulter. Or améliorer le service à l'usager, c'est d'abord sortir de la simple logique de l'offre institutionnelle et se tourner vers les attentes. L'administration raisonne encore trop en termes d'offre, et pas assez en termes de demande. Pourtant, omettre de se poser la question de savoir « quel est le besoin/l'attente des usagers ? » amène parfois à mettre en place une offre de service coûteuse qui ne fait pas forcément l'objetd'une attente, alors même que d'autres domaines importants aux yeux des usagers ne fonctionnent pas de manière satisfaisante.

Il ne s'agit donc pas de décréter des attentes supposées, mais de déterminer les attentes réelles. Autrement dit, l'administration doit chercher à connaître ses usagers tels qu'ils sont, et non plus se fonder sur la représentation qu'elle veut bien s'en faire. Pour cela, elle doit recourir aux diverses méthodes d'évaluation des attentes et de la satisfaction des usagers, allant des sondages réalisés par des instituts professionnels aux simples questionnaires auto administrés.

La connaissance des attentes réelles fournie par l'analyse des résultats des enquêtes constitue alors un paramètre préalable majeur pour toute démarche d'amélioration du service : c'est elle qui doit déterminer la définition des objectifs et des priorités pertinents, ainsi que les engagements qui vont être affichés vis-à-vis des usagers.

Dans un second temps, pour garantir la mise en œuvre concrète et le suivi des engagements fixés, une démarche d'évaluation régulière de la satisfaction des usagers doit également être intégrée à la stratégie de l'institution. Les enquêtes et la connaissance empirique qu'elles apportentpermettent en effet d'ajuster aux usagers les politiques conduites, et demaintenir l'effort de progrès vers une meilleure qualité de service.

Intégrer à la stratégie des services une mesure régulière de la satisfaction

L'évaluation systématique de la satisfaction des usagers du service public est insuffisamment développée et il y a urgence à la promouvoir.

C'est essentiel pour s'adapter aux exigences croissantes des usagers dans le contexte d'une société de services où mesurer la satisfaction du client fait partie depuis longtemps des pratiques du secteur privé. C'est primordial également pour les agents du service public, dont la fierté d'appartenance à leur institution dépend directement de la façon dont celle-ci est perçue.

Un véritable travail d'appropriation des outils d'évaluation de la satisfaction doit donc être accompli afin qu'ils ne soient plus considérés par les administrations comme accessoires et cessent d'être le fait d'initiatives ponctuelles. Une mesure régulière de la satisfaction des usagers doit être intégrée à la stratégie de chaque institution accueillant du public, en inscrivant les enquêtes dans le cadre d'un dispositif permanent (logique de baromètre). Les résultats ne prennent réellement sens en effet que de façon comparative, d'une année sur l'autre, avant et après la conduite d'unedémarche d'amélioration.

Mieux prendre en compte les difficultés spécifiques des publics «fragiles»

Si beaucoup d'efforts sont faits aujourd'hui pour améliorerl'accueil et l'information dispensés aux usagers de peu de structures, beaucoup reste à faire pour la prospection des personnes en grande difficulté, qui sont parfois hors d'état de faire valoir leurs droits. En effet, cesont ces publics dits « fragiles » qui souffrent le plus des défaillances de l'accueil et qui auraient besoin d'un accueil personnalisé. Car paradoxalement,plus les usagers sont dans une situation précaire et difficile, plus les règles qui s'y appliquent sont complexes et plus les démarches à effectuer sont nombreuses. Trop fragilisés pour faire face à la complexité administrative,de nombreux usagers se retrouvent alors dans des situations de blocage ou même renoncent à faire valoir leurs droits.

En fait, si la prospection des droits est une orientation régulièrement rappelée par les pouvoirs publics, aucune obligation juridique ne la sanctionne et le coût élevé que représenterait sa concrétisation concourt certainement à tempérer l'effectivité de sa mise en œuvre par les organismescompétents. On doit donc se contenter de saluer les initiatives prises par tel ou tel organisme, pour offrir aux publics fragiles un « service différencié ».

Mais ce type d'initiatives, dont les résultats paraissent très probants, restent isolées car elles reposent sur une mobilisation exceptionnelle de l'encadrement, un engagement de la structure dans une démarche qualité et une adhésion des personnels auxquels il est demandé fournir un effort particulier.

Cela est perceptible dans le secteur privé, qui devrait pourtant y être incité par la concurrence, et a fortiori dans le secteur public. Fort heureusement, les exemples contraires existent, en particulier quand l'accueil faitl'objet d'une politique arrêtée par la direction, avec des objectifs, des méthodes et des moyens. De sorte que les frustrations ressenties par les usagers mécontents ne découlent pas d'une fatalité insurmontable.

Ensuite, on constate que les structures engagées dans l'améliorationde la qualité de l'accueil ont généralement aussi mis en œuvre une démarche plus globale de qualité, avec des objectifs de management, de rationalisation et de rentabilité.

Enfin, il apparaît que, pour améliorer l'accueil, les technologies de l'information et de la communication représentent une opportunité sans précédent, puisqu'elles offrent la possibilité de transcender les cloisonnements

administratifs, pour peu qu'on s'y attelle. Mais, plus qu'une opportunité, elles sont aussi pour l'administration un aiguillon incontournable: en effet, face à un secteur privé qui exploite toutes les avancées en la matière, l'administration doit nonseulement progresser, mais progresser aussi vite que les autres. C'est capital pour la fierté d'appartenance de nos agents au service public, qui est un élément majeur de leur motivation. Et c'est indispensable pour la satisfaction des usagers, qui se construit avant tout par comparaison, dans un environnement où les niveaux de qualité de service offerts ne cessent de s'élever. Il en va tout simplement de la crédibilité de l'État et de l'avenir du service public.

Ces réflexions soulignent qu'il est temps de remédier à la dispersion des actions et des responsabilités qui caractérise l'accueil dans l'administration aujourd'hui. Seule la mise en œuvre de politiques globales de l'accueil et de la qualité de service, portées par le politique et par le management, peut faire évoluer la situation. Une impulsion centrale dans ce sens, soutenue par les walis, s'avère donc particulièrement importante.

C'est pourquoi il est important de proposer plusieurs outils de mobilisation de l'ensemble des administrations, en particulier la charte de l'accueil. Cependant, les progrès ne seront réels que si trois conditions fondamentales sont remplies. Tout d'abord, il est indispensable que les fonctions d'accueil dans l'administration soient professionnalisées et valorisées dans la carrière des agents. Ensuite, la mesure des attentes et de la satisfaction des usagers doit être systématisée. Enfin, tout doit être fait pour éviter de faire porter aux usagers la complexité et les cloisonnements administratifs : à cet égard, les technologies de l'information et de la communication représentent un levier majeur pour favoriser la collaboration et les échanges de données entre administrations.