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Le grand chantier urgent du passage d'une économie de prédation à une économie de production

par Mourad Benachenhou

L'Algérie est loin d'être sortie de la zone de péril ; le risque d'intervention étrangère, sous la forme de pressions diplomatiques, d'actions de manipulation de l'opinion publique algérienne, ou même d'intervention armée directe ou par procuration, est encore extrêmement élevé.

Préserver la solidité du socle de la défense nationale

Dans cette conjoncture, pleine d'embûches et d'incertitudes, il ne faut pas que plane le doute sur la solidité du socle qui permet au peuple algérien, tout comme aux autorités publiques, de préserver cette liberté de choix de l'avenir du pays, loin de toute intervention extérieure , mue essentiellement par des intérêts qui ne coïncident pas du tout avec ceux de la Nation. Que les attaques contre ce socle s'accentuent, sous le prétexte d'écarter le « militaire » du domaine politique, n'a rien de surprenant. Il s'agit d'abord de briser psychologiquement le système de défense de l'unité nationale et de l'unité territoriale, pour créer une situation d'anarchie, débouchant sur le chaos et , ainsi, préparer les circonstances où l'appel à l'intervention étrangère apparaitrait comme la seule « voie de salut, » une voie qui livrerait le sort de l'Algérie à des calculs stratégiques concoctés dans des officines étrangères.

Adopter une position fondée sur le sens de la pérennité de l'Etat au dessus des arguties doctrinales et politiquement personnalisées

Dans le contexte actuel, il ne s'agit pas de mener un débat doctrinal entre partisans de la «démocratie pure et dure, » d'un côté, et de l'autre, adeptes d'un système politique plus en symbiose avec l'état actuel de la société algérienne, qui a besoin de se retrouver, après vingt années d'une dérive patrimoniale qui a conduit le pays au bord de l'effondrement, et a poussé un peuple patient à manifester massivement sa colère contre le régime en place.

La réflexion doit l'emporter sur le désir de vengeance ou les ambitions personnelles; la précipitation dans le rejet de tout ce qui pourrait apparaitre symboliser la gouvernance passée n'est pas la garantie de la réussite des revendications légitimes du Hirak.

Les intérêts supérieurs de l'Etat doivent l'emporter sur les calculs politiques personnels des uns et des autres, plus ou moins démonétisés par le Hirak, et qui tentent de se refaire une virginité politique dans son sillage. Il faut laisser de côté les slogans vides qui sont répétés à longueur de pages et d'images des médias de toutes natures et poids.

La classe politique actuelle n'est pas à la hauteur des défis lancés par le Hirak. Si cette classe avait eu un poids quelconque, elle aurait déjà pris en charge sans conteste le leadership du Hirak, pierre de touche sans laquelle les prétentions des uns et des autres ne pourraient être considérées que comme de la vantardise stérile.

Il y a donc une réalité politique, qui porte en elle des éléments d'évolution à la fois positifs et négatifs, mais qui se caractérise pas des rapports de forces stabilisant, qu'il est impossible de changer actuellement, sans que tout l'édifice de l'Etat algérien n'en soit ébranlé au détriment de tous les acteurs nationaux, que ce soient les autorités publiques, les institutions partisanes, ou les manifestants du Mardi et du Vendredi.

Les poursuites judiciaires contre les prédateurs : l'Annonce d'une nouvelle orientation de l'économie

Ce qui est certain, et a profondément changé le contexte politique depuis ces six derniers mois, c'est la rupture en cours avec le mode de gouvernance économique qui a été la caractéristique principale du fameux « programme présidentiel, » c'est-à-dire essentiellement la mise en coupe réglée des richesses nationales, sous le prétexte de libéralisation de l'économie, d'encouragement à l'initiative privée, de privatisation des entreprises, et de réduction du rôle de l'Etat dans le domaine économique.

On sait maintenant, preuves à l'appui, qu'en fait, tous ces objectifs, dont aucun ne saurait donner lieu à rejet, ont été transformés en simples slogans cachant la réalité d'un régime politique fondé sur la prédation et la corruption généralisée, en guise d'idéologie et de programme de gouvernement.

On pourrait affirmer d'abord que les poursuites judiciaires dont sont les objets les anciennes « personnalités politiques, » qui ont monopolisé pendant longtemps la une des médias, tout comme les prédateurs « privés, constituent à la fois les révélateurs des dérives de la « bande à Bouteflika, » et en mêmes les signes d'une rupture totale avec l'ancien mode de gouvernance tout comme avec la politique économique que cette gouvernance a inspirée.

Pour éviter tout malentendu, clarifier rapidement le statut juridique et judiciaire de l'Ex-chef d'Etat

Il faut, toutefois, souligner, que reste la question du statut juridique de l'ex-président de la République, qui a été le concepteur et l'animateur du régime en voie d'extinction. Continue-t-il à être traité comme ancien chef d'Etat, jouissant des avantages matériels et moraux attachés à ses fonctions précédentes ? Ou est-il un potentiel sujet aux foudres de la justice, attendant son tour pour être présenté devant les instances adéquates ? Y-a-t-il actuellement une procédure, encore secrète, dont le résultat final serait sa déchéance officielle de tous les privilèges attachés à ses fonctions passées, y compris le privilège des funérailles nationales ?

Ce sont là des questions qui n'ont rien de marginal, car, qu'on le reconnaisse ou non, il a une responsabilité majeure dans la crise actuelle, et il doit recevoir le juste châtiment pour le drame dans lequel il a plongé le pays. On ne peut pas mettre en prison ceux qui ont été ses complices et ses comparses, et le traiter comme s'il n'avait joué aucun rôle dans leurs crimes contre la Nation, son économie et son prestige international.

On peut se douter que les intérêts étrangers qu'il a secrètement servis par son mode de gouvernance, ne manquent pas d'exercer des pressions, et même d'utiliser le chantage, accompagné de menaces, pour lui éviter le jugement du peuple algérien.

Le statut de l'ex-chef d'état ne doit répondre à aucun autre critère que ceux par lesquels seront tirées les leçons pour les leaders algériens à venir, et ne doit être soumis, donc, à aucune autre formulation que celles qu'appelle la nécessité de construire une tradition d'Etat algérienne, fondée sur l'obligation juridique et morale pour le chef d'Etat de ne tenir compte que des intérêts de la Nation pour l'exercice de ses fonctions suprêmes, symbole de la pérennité de cette Nation.

La question du statut juridique et judiciaire de l'ex-président est encore plus urgente que le traitement judiciaire de ceux qui profitent du Hirak pour arborer, sous une forme ou une autre, des messages mettant en doute l'unité nationale et l'intégrité territoriale. Se mettre dans le camp des ennemis de l'Algérie n'est pas un délit d'opinion, tout comme se ranger aux côtés des forces d'occupation coloniale pendant la guerre de libération nationale. Un harki est un traitre au sens international du terme. Et celui qui affiche, par image interposée, son refus de l'unité du peuple algérien, commet un acte d'agression contre ce peuple, et menace son intégrité, et doit donc être traité comme un criminel œuvrant à faire disparaitre la Nation algérienne.

Lancer rapidement le chantier de la restructuration de l'économie nationale, et de son passage d'une économie de prédation à une économie de production

Il est évident que les poursuites judicaires contre les prédateurs de tout calibre, de tous grades et de tous statuts, tout comme la clarification du statut juridique et judiciaire de l'ex-chef d'Etat, ne sont pas suffisantes pour redresser la situation politique et remettre sur la bonne voie l'économie du pays.

Il ne suffit pas également que soient prises les mesures conservatoires destinées à réorienter les actifs saisis sur les prédateurs, maintenant mis hors d'état de piller. Ces mesures conservatoires, légalement assises, car elles touchent à des actifs acquis frauduleusement, et non en respect des règles de bonne gestion commerciale, doivent être mises en œuvre avec rigueur, dans le but principal de mettre fin aux activités frauduleuses qu'elles cachaient, et à les mobiliser au service des travailleurs, et en compte tenu des intérêts nationaux, non pour qu'ils continuent à servir de conduits à des exportations illicites de capitaux et de devises.

Les mesures conservatoires prises par les autorités publiques pour assurer la continuité de ces entreprises et leur redressement ressortissent du domaine du Code Pénal et du Code de Procédure pénale. Elles ne sauraient être couvertes par les clauses en matière de mesures conservatoires prévues par le Code de Commerce, destiné, lui, à organiser les activités commerciales légalement conduites.

Le voleur ne saurait se prévaloir du respect de la propriété privé sur les biens qu'il a dérobés aux autres ! De même, celui qui a acquis ses richesses en pillant l'Etat ne saurait exhiber d'articles du code de commerce pour préserver le fruit de ses prédations illégales.

Il est indispensable que les mesures de répression de la prédation, qui a tout de même duré deux décennies pleines et entières, soient rapidement suivies de mesures de caractère général, couvrant tous les aspects de la politique économique, depuis la politique monétaire et budgétaire, tout comme la réglementation fiscale, en passant par les mesures d'encouragement à l'initiative privée et à l'investissement, ainsi que les modalités de distribution des crédits bancaires, sans oublier les règles de gestion du domaine de l'Etat, comme le système de redistribution de la rente, et bien sûr sans omettre la politique commerciale internationale, maintenant soumises exclusivement aux intérêts étrangers, dans le cadre de traités inégaux rappelant la période des « Capitulations, » qui ont conduit à la ruine des pays musulmans et à la facilitation de leur colonisation etc. etc.

Sortir rapidement de la période d'incertitude politique pour lancer le redressement de l'économie

C'est un vaste chantier, qui n'a pas encore été entamé, et qui dicte la sortie rapide de cette période d'incertitude, et la consolidation du pouvoir de l'Etat central, sous une forme rassurant le peuple algérien sur la volonté des autorités publiques d'aller jusqu'au bout du redressement du pays, et de la rupture avec le mode de gouvernance en voie de disparition.

Il est indispensable que, rapidement, soit créée l'atmosphère politique permettant la clarté et la transparence dans l'exercice de l'autorité publique, en plein accord avec les revendications légitime du Hirak. Car ce sont cette clarté et cette transparence qui permettront d'ouvrir ce vaste chantier de transformation de l' économie de prédation en économie de production, mettant l'accent sur l'utilisation optimale de toutes les ressources nationales, depuis la main d'œuvre, en passant par l'outil de production, sans oublier les riches ressources naturelles de toute nature, restées en friche du fait de l'excessif appel à l'importation.

En conclusion

1. Les risques d'intervention étrangère dans la crise actuelle sont loin d'être écartés, car, sans aucun doute, des officines extérieures sont en train de réfléchir à la ligne de conduite leur permettant d'exploiter, au mieux de leurs intérêts, cette situation de flottement que connait le pays ;

2. Dans ce contexte, le socle de la défense nationale doit être protégé contre toute tentative de le délégitimer ou de contester ses intentions, car son ébranlement se fera essentiellement au détriment des intérêts du peuple algérien et de la réussite du hirak ;

3. Il est indispensable que la gestion de la crise actuelle demeure sous le contrôle total des autorités publiques, sans possibilité d'ingérence étrangère, qui ne peut que compliquer encore plus la situation ;

4. Pour renforcer la crédibilité des autorités actuelles et assurer la réussite de leur gestion de la sortie de crise actuelle, il est indispensable non seulement d'éviter que soit menacée l'unité nationale, mais également que soit définitivement clarifié le statut juridique et judiciaire de l'ex-président, qui porte l'entière responsabilité de la situation actuelle du pays ;

5. Il y a un chantier de longue haleine qui doit être ouvert pour que le pays rompe définitivement avec le mode de gouvernance , fondé sur la prédation et la corruption, et que soit mise en place une politique économique sous-tendue par l'objectif de mobilisation des ressources nationales au profit de la production intérieure, et d'optimisation de la politique de redistribution des revenus facilitant l'atteinte de cet objectif ;

6. Cette nouvelle politique économique, dont les prémisses ont été jetés par les poursuites judiciaires contre les anciens responsables politiques et les prédateurs, ne saurait réussir que si, rapidement, il est mis fin au flottement au plus haut niveau de l'Etat, et que soit mise en place rapidement une autorité politique ayant la légitimité nécessaire pour mener à bien cette indispensable politique de redressement.