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Jeunes ! Oh Jeunes

par M. T. Hamiani

Les jeunes d'aujourd'hui sont certainement aussi intelligents que leurs aînés ; ils ont (ceux qui consentent à travailler) un «bagage» de connaissances techniques et scientifiques probablement supérieur. Mais sur le plan de la morale, sur le plan du caractère, du sens des devoirs et des responsabilités, de l'expérience de la vie, sur le plan de la raison et du simple bon sens, ils leur sont, certainement, et de très loin, inférieurs. Et cela est d'ailleurs parfaitement normal, parfaitement explicable, parce que les générations d'autrefois ont vécu sous le signe de la difficulté ; tandis que les générations actuelles vivent sous le signe de la facilité.

Autrefois, à peine était-il né, l'être humain était presque inévitablement en proie à toute une série de maladies qui lui imposaient l'apprentissage de la souffrance au seuil d'une vie qui serait tout entière hérissée d'obstacles, de luttes, de sacrifices, dans tous les domaines: de la santé, de l'hygiène, de l'existence quotidienne, des études, du travail, des simples loisirs et des distractions.

Aujourd'hui, dès le berceau, le nourrisson se voit administrer une série de piqûres qui le protègeront contre autant de fléaux qui faisaient le tourment et la terreur des mères de jadis. A peine saura-t-il se traîner à quatre pattes qu'il lui suffira d'appuyer sur un bouton pour accomplir instantanément le miracle de la lumière, de la chaleur, du son, des images vivantes et coloriées. A peine pourra-t-il se tenir sur ses jambes qu'il aura entre les mains des jouets «éducatifs» qui lui permettront, «en jouant», comme dit la publicité, «sans effort», d'apprendre à lire et à compter; et il aura, un peu plus tard, des écoles accueillantes, gaies, bien chauffées, bien aérées, et toutes les facilités que la pédagogie moderne met à sa disposition. A peine commencera-t-il à prendre conscience du monde qui l'entoure qu'il se verra possesseur de biens, de commodités, de plaisirs (les appareils électro-ménagers, l'automobile, les vacances) qui jadis n'existaient même pas, ou qui n'étaient gagnés, conquis, qu'an prix de longues et dures années de travail, de sacrifices et de privations.

Non, les jeunes gens d'aujourd'hui n'ont pas, ne peuvent pas avoir la même maturité que ceux des générations précédentes, même si, sous certains aspects, ils ne sont, hélas, que trop prématurément vieillis, comme les fruits cueillis trop verts et qui pourrissent avant d'avoir mûri.

Heureusement, le gouvernement a mis en œuvre une solution qui devait tout régler : les emplois en DAIP. Quel succès ! Alors que la majorité des jeunes notamment les diplômés sont encore au chômage.... Le gouvernement se félicite aussi d'avoir sorti de sa «boîte à outils» les formules magiques de l'ANSEJ et de la CNAC.

Leur effet sur le chômage est d'ailleurs quasiment négligeable : sans pour autant déclarer quels est le nombre des microentreprises (quel est le cout d'un emploi par entité ?) qui ont réussi et sont devenues des PME.

Un tel dispositif (créé théoriquement en 1996 et mis en œuvre en 1998 et qui n'a jamais fait l'objet d'évaluation) continue-t-il à hypothéquer nos jeunes et à cacher le retard des investissements privés.

Le ministre du travail continuera-t-il à masquer les défauts du dispositif autant que tel après avoir assuré de la publicité à sa réussite lorsqu'il était Directeur Général de l'ANSEJ ?

L'impuissance de l'exécutif ne s'arrête hélas pas là. Le gouvernement n'a jamais déclaré les réalisations par année mais à travers le cumul (depuis le lancement du dispositif en question)Il s'est donné pour objectif de généraliser la solution magique aux Algériens vivant à l'étranger. Bref, l'ambition affichée pour la jeunesse s'est transformée en une impasse généralisée.

Après avoir acheté le silence des jeunes en détricotant les normes de développement à travers la CNAC et l'ANSEJ, dispositif devenu une carte électorale contre les jeunes endettés ?remboursent/remboursent pas- après avoir rêvé de devenir des entrepreneurs sans conviction aucune et en l'absence totale de réelle études technico-économiques à leurs projets, le système continue à fuir la réalité : la réussite de sa stratégie de promotion de l'emploi ne peut avoir lieu que si toutes les conditions sont réunies.

La façon d'améliorer le niveau de qualification de notre pays passe par la révolution qui consiste à réduire les formations générales au profit des formations qualifiantes, et cela ne peut passer que par l'alternance. N'ayons pas peur de lancer un grand chantier en faveur de l'apprentissage pour en faire une voix d'excellence et permettre à tous les jeunes de se former à un métier dès le plus jeune âge. Enfin, nous devons, une fois pour toutes, mettre un terme à la politique de l'autruche : les enveloppes distribuées à quiconque veut bien tendre la main sont des cache-misère. Une indemnité et non une rémunération des insérés en DAIP et en Dispositif DASS ne va pas les aider à trouver un appartement : seule la construction d'un grand plan de relance de l'investissement est susceptible d'accompagner les jeunes dans leur démarche d'insertion dans la vie sociale et professionnelle.

Est-ce que les jeunes vivront mieux en 2019 avec un prix de baril de pétrole de plus en plus faible ?

La jeunesse est plus concernée que le reste de la population par l'avenir, il est normal qu'elle y ait réfléchi.

La jeunesse a besoin de prendre contact avec les réalités, elle souffre d'être prise en main par des anciens qui parfois l'étouffent mais a plus de chance de casser les paradigmes dans lesquels, les vieux gestionnaires sont enfermés.

Cette jeunesse qualifiée de sur-instruite parfois et sous-instruite dans d'autres cas, éclatée et parquée en fagots derrière des considérations culturelles est divisée par la concurrence et la sélection, détournée, suffoquée et ôtée de sa capacité créatrice.

Cette jeunesse oubliée-à l'exception des périodes électorales- qui est mal vue, pleureuse et débordante d'énergie négative, en apostrophe, recroquevillée sur elle-même, est prête à bondir vers n'importe quel firmament pour qu'il ne soit le reflet de sa réalité exécrable.

Il est certain que notre jeunesse a été fortement conditionnée. Il est probable qu'elle soit dans les mêmes prisons intellectuelles que les nôtres, cependant, confrontée à des problèmes réels, elle est sûrement capable de proposer des solutions inédites.

Nous vivons dans une société où le jeunisme est une norme dominante. Tout et tout le monde cherche à se parer des attributs de la jeunesse : beauté, décontraction ou insouciance, nouveauté, soif de nouvelles expériences, etc. Par un raccourci saisissant, l'argument de la nouveauté est devenu argument de vente, de légitimité. Il n'y a pas grand-chose à lui opposer. Et paradoxalement, la jeunesse elle-même disparaît petit à petit, les jeunes sont dissous, relégués en stage d'attente et enfermés finalement dans des mesures qui disent vouloir les protéger.

Les organisations de jeunesse ne peuvent échapper à cette situation. Les politiques menées ont massivement investi des logiques qui entretiennent cette situation plus qu'elles ne la corrigent. Dans ce contexte, les logiques internes au secteur des organisations de jeunesse ont conduit à entretenir encore cette marginalisation de fait.

Les jeunes sont l'avenir de la société. C'est ce que nous entendons très souvent dans les discours convenus. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a lieu de constater que la société a tendance à mettre son avenir entre parenthèses, quand elle ne tente pas de l'y enfermer.

La jeunesse est dissoute dans le temps. Devenue un moment de la vie sans réel début et sans réelle fin sociale, elle échappe de plus en plus à une définition d'âge. Jusqu'à quel âge sommes-nous encore dans la jeunesse ? La réponse est d'autant plus difficile que la jeunesse est l'objet d'une désirabilité sociale excessive. Tout le monde veut être ou rester jeune. La jeunesse a perdu ses seuils ou plutôt ceux-ci se sont étalés dans le temps et individualisés. La sortie des études et l'entrée dans le monde du travail sont devenues non seulement distincts mais de plus s'étalent de quelques jours à de nombreuses années (en comptant qu'il existe aujourd'hui des régions où le chômage est une réalité pour une deuxième voire une troisième génération).

De façon récurrente, on voit ressurgir le débat sur les présidentielles qui marquerait une évolution vers une citoyenneté plus rapidement accessible. Est-ce vraiment la citoyenneté que d'accéder au droit de vote dans une société qui repousse sans cesse l'accès à l'autonomie ? Ou s'agit-il d'un troc inéquitable où les jeunes échangeraient un peu de citoyenneté symbolique contre l'acceptation tacite de cette mise en attente ?

Cette case chômage justement constitue, presque immanquablement, une étape incontournable de l'accès à l'emploi et à l'autonomie économique. Le chômage des jeunes est l'outil numéro un de cette relégation, de cette mise en attente des jeunes par la société. Revenez plus tard ou ne revenez plus, si par une succession de circonstances de vie dans lesquelles vous êtes plus ou moins acteurs, vous avez le malheur de ne pas être assez actifs, au sens de l'État social actif. Les jeunes sont censés être plus que tout autre, des demandeurs d'emploi

Comment donc peut-on parler de jeunesse enfermée alors que l'image de la jeunesse contient en elle-même l'image de la liberté ? L'enfermement de la jeunesse trouve sa concrétisation dans les cas les plus concrets par l'enfermement psychiatrique qui s'accroît soit sous camisole chimique (les médicaments), soit dans une société psychiatrique ouverte. Ce dernier type d'enfermement passe par des mesures plus douces et aux intentions plus louables : la protection ou l'aide à la jeunesse. La protection de la jeunesse renvoie à l'idée d'une jeunesse menacée. Ce qui précède fait effectivement apparaître une menace pour la jeunesse, celle d'être abandonnée, mise en stage d'attente, sans même savoir en attente de quoi, par la société à laquelle elle participe pourtant activement par ailleurs.

Ce dont il est question ici, c'est bien d'une protection de la jeunesse contre elle-même. Il serait donc dangereux d'être jeune. Au niveau du discours, en quoi être jeune pourrait représenter un danger pour les jeunes eux-mêmes. Le premier danger qui nous est présenté est celui du mauvais chemin, qui d'une manière ou d'une autre conduit à la délinquance. Les discours, les politiques diffusent aujourd'hui largement l'idée que les jeunes, s'ils ne sont pas protégés, informés aussi, risquent de basculer dans la délinquance (délinquance qui ne fait plus l'objet d'interrogation sur le sens de l'acte mais qui est perçue comme un tout abstrait : la délinquance). D'où viennent les psychotropes et le kif ? Par les frontières, donc la responsabilité du gouvernement est engagée.

La question de la citoyenneté doit être centrale dans notre réflexion et dans notre action. Si la citoyenneté doit être comprise comme un contrat social, il importe de poser la situation des parties contractantes. Dans la situation qui est la nôtre, caractérisée par son ouverture sur le futur et par les perspectives négatives de celui-ci. La jeunesse est présentée comme une période de formation, de formation d'un capital social essentiellement. Les inéquités entre jeunes sont criantes comme est criante cette situation de mise en attente des jeunes par rapport à leur accès plein et entier à une autonomie qui leur permettrait de passer un contrat social dans une logique transactionnelle où chacun est gagnant. L'individualisme exacerbé a dissous les jeunes dans la jeunesse désirée par tous.

La situation actuelle donne à penser des éléments pour alimenter des politiques de jeunesse dont l'objectif serait de remettre les jeunes au cœur de cette société dont on répète qu'ils sont l'avenir.