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Vie nationale, un puzzle déconstruit

par Farouk Zahi

L'image que l'on pourrait, prosaïquement, se faire de la construction d'un pays ou d'une société serait similaire au montage d'un immense puzzle où le génie humain l'emporte et de loin sur la matérialité des choses.

Sinon, comment expliquer l'imbrication harmonieuse de pièces difformes et différenciées qui, au final, livre un tableau lisible et compréhensible par tous, même ceux frappés d'illettrisme. Le projet de société ainsi visualisé, même virtuellement, fédère et l'adhésion consensuelle et l'appropriation par la grande majorité du tissu social. Au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale, le pays désargenté eut recours au Fonds de solidarité, détruit par un long conflit armé, il suscita le travail volontaire illustré par la grande campagne de reboisement de l'Arbatache, menacé à ses frontières il en appela à ses enfants par la mythique expression présidentielle : « Hagrouna ! ».Les réponses furent promptes et dissuasives.

Balbutiante, la démarche portée par une poignée d'hommes et de femmes dont la moyenne d'âges ne dépassait guère la quarantaine, se mis à l'œuvre en posant les premières pièces du puzzle. Anciens révolutionnaires, ils ne se prévalaient d'aucun académisme formel ou d'une quelconque technicité acquise dans les travées des laboratoires. Les plus éclairés d'entre eux, avaient juste achevé un cycle secondaire de l'Instruction publique coloniale pour pouvoir lire Marx, Hugo, Sartre ou Fanon. Certains parmi eux, durent tenir la dragée haute à leur vis-à-vis français, lors de longues et éprouvantes négociations ayant mené à Evian en mars 1962.

L'Etat social dont ils rêvaient en plein tourmente guerrière, se montait pièce par pièce dès l'indépendance acquise. S'il est vrai que des grincements se firent entendre après la première assemblée qui devait être la Constituante, il n'en demeure pas moyen que cette phase de turbulences politiques s'est faite sans préjudices dommageables à l'intégrité de la nation. La reprise en main, allait aboutir à la construction des institutions régaliennes : wilaya et commune, une pièce majeur du puzzle.

Les plans de développement subséquents, allaient d'un Plan triennal à plusieurs spéciaux et à deux quadriennaux. Et c'est certainement pour la première fois que les populations du pays profond, ressentaient une légitime fierté où le gouvernement d'alors se réunissait dans leurs murs. Et c'est sans nul doute que Ouargla, Tizi, Médèa et Saida se souviennent de cette période flamboyante. Le pays, manquait de tout : routes, eau potable, écoles, dispensaires, électricité quant au gaz, il fallait encore se contenter de la bonbonne ou du bois sec glané dans les pinèdes. Le secteur de la santé, qui n'existait qu'à un état embryonnaire, avait fort à faire avec les maladies infectieuses de l'adulte et de l'enfant, la malnutrition, la mortalité infantile et maternelle. L'espérance de vie ne dépassait guère les 60 ans. L'école ne pouvait faire la fine bouche, point d'instituteurs en nombre suffisant, encore mois de professeurs du moyen ou du secondaire. On faisait avec ce qu'on avait sous la main. L'héroïque moniteur, à peine le niveau du Certificat d'études primaire, brava tous les dangers de l'isolement. Il fallait rejoindre son poste en zone enclavée, qu'il vente ou qu'il pleuve ; à pied, à dos de baudet ou dans le meilleur des cas à vélo. Il n'était pas sûr de revenir le soir chez lui, car une crue d'oued pouvait l'en empêcher. Ses repas faits de galette et laitage, étaient d'une extrême frugalité. Faisant l'objet de gorges chaudes, il dut subir stoïquement les sarcasmes de ses congénères qui firent l'Institut et autre Ecole normale. L'histoire lui reconnaitra le mérite d'avoir, sous son magistère, formé ces cohortes d'universitaires des années 1980, et dont beaucoup d'entre eux, font, actuellement, le bonheur de plusieurs pays occidentaux.

Pour communiquer avec la population, le dirigeant politique de l'époque, ne s?embarrassait guère de protocole ministériel, il lui arrivait de porter kachabia en laine drue tout comme son interlocuteur paysan.

Le vocable « Maâli » (Excellence) était inconnu du lexique du terroir. Le meeting populaire était tenu sur la place publique où dans le domaine agricole et pour cause, les hôtels « Aurassi » et autre « Mazafran » n'existaient pas encore ou du moins, étaient-ils en projet. Il est de ces hasards de l'histoire qui font que tout en fustigeant des hommes ou des époques, on use, sans état d'âme, des bienfaits dus à ces mêmes hommes ou à cette même époque.

Les prestigieux complexes hôteliers cités plus haut et dans lesquels se réunissent, fréquemment, les pourfendeurs de cette période « stalinienne » honnie, aussi bien par ses adversaires que par ses alliés d'hier, sont le fait historique de cette même épopée. Le discours présidentiel télévisé, était massivement suivi et plus que toutes les « Barça-Réal » ou même celle de l'Equipe nationale de football. Le citoyen lambda pouvait citer et le nom du ministre et le secteur dont il présidait aux destinées. Plusieurs d'entre entre eux, se confondirent avec leur département pour y être resté pendant plus d'une décennie. La feuille de route établie, il ne restait plus de temps à la circonlocution ou au réaménagement. Les titres génériques du développement individualisés en perspective agraire, industrielle et culturelle ne laissaient personne insensible ; même leur détracteur. Ils avaient le mérite d'exister et compris par l'ensemble de la communauté nationale. Ceci nous renvoie à cette anecdote du président défunt Houari Boumediene, racontée à Ania Francos qui restitue le comportement de ce douanier à la frontière algéro-tunisienne l'égard de l'unique touriste suédois qui faisait le pied de grue au poste frontière et sans raison apparente. A la réclamation du touriste, le vieux douanier n'eut pour seule réponse que cette phrase péremptoire : « Ecoutez Monsieur, le tourisme ne vient qu'en 7è position dans le plan quadriennal ! ». Cette illustration qui semblait amuser le président, n'avait pour seul but que de dire à son interlocutrice que l'action de l'équipe gouvernementale, était portée par la masse populaire et de ce fait pouvait aller dans le sens contraire à l'objet recherché. D'où un autre travail de mise à niveau soutenu.

A l'avènement de l'Infitah (ouverture), nous avions ingénument, cru que nous allions vers une vie meilleure en important du gruyère, du hareng séché et autres babioles. La cigale l'emportant sur la fourmi, l'hiver fut extrêmement rude. Le bal ouvert par le printemps berbère, s'achevait en baisser de rideau par Octobre 1988, bien avant la dislocation de l'ex Yougoslavie et la chute du Mur de Berlin. Un génie scientiste, venait avant l'heure, précipiter la chute annoncée déclarant triomphalement que les pièces du puzzle patiemment posées, étaient dans le mauvais sens. On commença alors, avec un allant jouissif, à les déboiter une à une. Et c'est de là que débuta l'amoncellement des pièces du puzzle.

La reconstruction d'Al Asnam (Chlef) qui devait se faire avec l'apport extérieur, pour des raisons supposées urgentes, ouvrit la voie aux appétits voraces des attentistes de tout bord. Elargi à d'autres wilayas, ce programme allait être le cheval de Troie de la citadelle financière du pays qui, non seulement, nous fera manger notre pain blanc grâce nos réserves de change relativement opulentes, et notre pain noir par l'endettement extérieur.

Et c'est le même maestro qui déclarera plus tard, que les commissions tirées des fructueux marchés publics s'élèveraient à 26 milliards de dollars.

Cette rétrospection a été inspirée au chroniqueur par cette frénésie à mobiliser des milliers de personnes, dans un espace clos, pour affirmer leur soutien indéfectible, à deux institutions constitutionnellement affirmées. Et si ces milliers d'hommes et de femmes avaient, l'espace d'un matin, planté un ou deux arbres chacun et chacune, on aurait eu des centaines de l'Arbatache.      

Cela aura été le meilleur soutien au pays et à son président. Le programme du Président que tout le monde évoque, surtout en face de la caméra, devrait mobiliser, non pas pour débiter des slogans désuets, mais pour nous prémunir de la déchéance socio économique annoncée par la chute de nos revenus pétroliers.