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![]() ![]() ![]() ![]() «De toutes les
écoles que j'ai fréquentées, c'est l'école buissonnière qui m'a paru la
meilleure.» Anatole France
L'école n'est pas uniquement Benghebrit. C'est une nation qui se cultive dans le champ des cartables, à l'aurore des portails et à chaque intermittence de cloche. Dans chaque écolier, l'on croit voir croître un futur gréviste, un coupeur de route. Ou un gouverneur inachevé, un citoyen insouciant. Toutes les écoles ont un sentiment à retenir, à transmettre. Chaque période possède ses classes, et chaque classe générationnelle a ses écoles. Où sont ces années où à chaque rentrée scolaire les mômes jubilaient de pouvoir enfin finir un été ennuyeux et inutile tant que la notion de vacances n'était qu'un concept d'argumentation destiné à justifier la rupture de l'année ? Les vacances dans leur sens actuel, de départ à la mer, ou à l'étranger étaient pour beaucoup une chose inconnue. Beaucoup justement de ces mômes se contentaient aussi de terminer l'école pour rester là, dans le quartier, à la limite de la commune, auprès d'un oued, d'une marre à proximité du village ou de la ville. Les jeux divers, produits d'une petite intelligence dans la création de leurs règles, allaient des noyaux d'abricots, à la carotte au sou (khoubaiz) et autres spécifiques à chaque coin du pays. Certains, c'est au labeur et aux travaux secondaires que sont destinées leurs journées libres. Cette génération se souvient qu'en termes de jouets, le génie enfantin en faisait des miracles. Des bidons d'Esso ou de Shell, l'on usinait des voitures et des camions où les boîtes à chiquer servaient de roues. Les boîtes à sardines, de remorques. Des épées, faites de cerceaux de fils barbelés, se créaient sous nos doigts efflanqués et que l'on aiguisait sur les rails de la voie ferrée au passage des trains dont on ignorait la provenance, la destination et ce qu'ils transportaient. Qui ne se souvient pas de ces préparatifs pour accueillir la nouvelle année scolaire ? Les fringues n'étaient pas toutes neuves, ni les godasses. L'on recousait les usés, on les repassait, on les cirait, le lendemain on les enfilait tout heureux. C'est comme un Aïd. Quant aux fournitures, on faisait dans la récupération. Les protège-cahiers, les buvards, les compas, les équerres, les trousses ou les plumiers, voire les cartables, étaient la veille astiqués, ajustés et prêts au réemploi. Même dans les cahiers aux pages demeurées vierges l'on y extrayait les doubles-feuilles, afin d'épargner un sou et d'éviter une dépense supplémentaire. Les bouts de gommes allaient aussi nous servir de gommes. En fait, il y avait une certaine forme d'héritage, l'aîné assure la transmission au frère et ainsi de suite. Rien ne se perdait. Nous préférions, indigènes et indigents que nous étions avoir les crayons de couleurs neufs, à chaque rentrée scolaire. L'on n'usait le vert et le rouge sur des pages quadrillées, que pour exceller à dessiner en rouge, une étoile que partageaient le vert et le blanc. Le drapeau. L'hymne national pourtant n'était pas obligatoire alors à entonner chaque semaine jusqu'à le banaliser. A regarder dans les lointaines souvenances, nos maîtres, nos pions, nos surveillants, nos censeurs et nos proviseurs, la mémoire retient à cet effet que nous développions l'envie d'être comme eux, d'avoir la même étoffe, le même punch, la même démarche, l'identique comportement. Toute cette culture d'être, cette haute personnalité, la leur, cet orgueil positif nous embarquaient dans les rêveries les plus suaves. On voulait à l'époque les imiter, les calquer. Ils étaient des modèles impérissables pour nos pauvres crânes de chérubins et de potaches. Qui de nos enfants ou petits-enfants nourrit actuellement le rêve de ressembler à son instituteur ou à son proviseur ? Pourtant les nôtres ne connaissaient pas le régime indemnitaire, comme nous, nous n'avions pas le transport scolaire. Il n'y avait pas d'association de parents d'élèves, mais il y avait des parents tout court. Il n'y avait pas de reformes de l'école, mais l'école tout simplement. La grande éducation nationale. Si l'école n'est qu'une sacrée trinité constituée d'un enseignant, d'un apprenant et d'un programme ; l'ombre malfaisante est peut être dehors. Sachant que l'enseignement gratuit est une disposition constitutionnelle qui gêne timidement l'émergence au grand jour de lycées privés, certains « commerçants du savoir » rejetés puis recyclés dans le créneau ont tout l'intérêt de porter l'estocade à l'école publique. C'est vrai que la majorité de ces soldats du savoir ont formé des générations et se trouvent, hélas pour leur grand nombre en marge de l'évolution sociétale. Il faudrait par conséquent améliorer leurs soldes, accroître leurs primes, réviser leurs statuts, étendre la zone, humidifier le Sud et les Hauts plateaux, céder les œuvres sociales. L'école suffoque, elle a besoin d'un peu de fraîcheur dans la réflexion. C'est le personnel de l'éducation qui fait qu'une école est valable et viable ou non. Son mal est certes subi par ses enseignants, mais en fait ce sont les enfants qui souffrent davantage. Si le ministère prend un coup de froid, le prof toussote, voilà que l'élève s'alite, grippé et fiévreux pour voir mourir à longueur d'année son école. Les enfants dans les écoles ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. Ennuyante car standardisée, la levée quotidienne des couleurs nationales et l'entonnement de l'hymne ont rendu un peu insignifiante la symbolique voulue. L'élève ne prête nullement attention à ce qui se fait, son seul souci c'est de regagner le plus vite possible « sa véritable » école qui reste sans conteste la rue. Ici, c'est un autre modèle d'enseignement qui se pratique. Le maître s'autoproclame, les disciples s'exécutent. Le tout jubile loin d'une autorité parentale déchue et pleine d'abandon et d'indifférence. Le long de l'année, seule importe cette note assurant un passage ou un succès. Les enseignants, à force de ne pas être écoutés, s'arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. Ou, s'ils le sont, ils ne sont pas totalement convaincus. La tutelle, le ministère dont le titulaire détenait le record de durée et survivait sans fracas à toutes ses réformes. Réformes contre réformes, l'on est bien arrivé à démolir toute réforme. Les émeutiers, les harraga, les jeunes chômeurs, en somme toute la pathologie algérienne est là, comme un témoignage d'une école sinistrée. Le produit d'une école extérieure, sans contrôle ni garde-fous. Et depuis longtemps. Pourtant dénigrée, parfois mal représentée, toujours jetée en pâture et rendue coupable de tous les fléaux de société, l'école publique s'avère par ailleurs un enjeu fortement majeur. Elle est devenue au fil du temps un espace d'action politique. Et ces grèves devenues menaçantes à l'ordre républicain d'une école républicaine ? Tellement répétitives, itératives qu'elles sont converties en des cures cycliques n'engendrant que mépris et dégoût face à « ceux » qui les gèrent. Des deux côtés, ministère ou travailleurs, l'enfant est le bel otage. Et que font ces associations dites de parents d'élèves ? A l'image des partis politiques, il n'y a que la figuration qui compte et qui peut toutefois créer des personnages médiatiques. Elles se limitent, d'un temps que je me le rappelle, à un Samu matériel, un organe de collecte de fonds et un approvisionneur en eau et en autres tâches d'entreprise d'entretien et de maintenance. Face à un programme lourd, des matières inutiles, une pédagogie dépassée, un échec innommable et oiseux, une indiscipline caractérisée, l'élève, écolier, collégien ou lycéen est démuni d'outils de communication et de concertation. L'association de ses parents a la tête ailleurs que dans son cartable. Elle ne réagit que pour valider une décision uniforme prise par un directeur ou sa tutelle. Alors qu'elle se doit d'imposer, elle aussi son avis, ses suggestions. C'est pour cela et ceci qu'il est préférable, si cet « absentéisme menaçant » perdure, de crier au retrait des enfants et à la fermeture des écoles. La grève inversée. A quelques jours d'une rentrée jugée calme et sereine, l'école semble s'inscrire dans des turbulences possibles. L'année scolaire qui se déroule ne sera pas de tout repos, euh, si, elle sera mais injustement tout repos. Les détracteurs de toute amélioration ne vont pas retenir leurs souffles salvés. Ils vont en toute certitude tirer encore sur des cahiers et verser de l'encre sur des pages encore vierges. Cette école a réussi à donner maturité à un enfant qui naturellement ne l'est pas encore ou ne doit pas l'être. L'adolescence y est vécue de façon précoce et exubérante. Un gamin écolier est déjà un adulte eu égard à son comportement et à l'attitude d'homme qu'il tend à développer et démontrer face à son instituteur ou envers ses camarades. La rodjla s'exprime sur les bancs d'écoles. La violence est une matière première à s'enseigner aux abords de l'établissement. Dans le temps, malgré dénuement et indigence, appréhendant l'école, le potache savait que des devoirs l'attendaient. La discipline, le sérieux et le contrôle parental faisaient le reste. Il n'y avait ni wifi, ni playstations. Quant aux parents, ils prenaient l'aller à l'école de leurs enfants comme un recrutement sûr dans la trajectoire d'un destin rassurant. En ces actuels temps, chez certains, cet aller s'apparente beaucoup plus à une garderie qu'un à investissement. Une façon de se faire laisser tranquille un long moment. La crèche n'a jamais été une bonne maman et l'école ne peut être une famille d'accueil? Mon p'tit diablotin de p'tit fils, au retour de son école, au deuxième jour, main dans la main, m'interpella : hé, papy ! C'est quand les prochaines vacances ? |
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