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Voies de femmes

par Belkacem Ahcene-Djaballah

ENTENDEZ-VOUS DANS LES MONTAGNES. Récit de Maissa Bey. Editions Barzakh, 71 pages en français et 76 pages en arabe (traduction de Mohamed Sari), 500 dinars, Alger 2007 (Editions de l'Aube, 2002).

Tout d'abord, il faut relever l'originalité. De gauche à droite, en français et de droite à gauche en arabe. Une belle initiative à saluer car elle règle (en bonne partie) le problème de la traduction. Très utile si la traduction est bonne (surtout pour les lecteurs moyens en arabe ou en français... une occasion pour se perfectionner) : claire, fluide, lisible.

Quant au contenu, c'est beaucoup plus une nouvelle qu'un roman... ayant pour axe central la guerre de libération nationale et pour sujet la torture et les assassinats d'Algériens, commis par les soldats de l'armée coloniale. Bien plus tard, une rencontre (par hasard !) ,dans un train, en France, met en scène, dans un wagon de voyageurs, la fille d'un militant algérien torturé puis assassiné, un médecin ancien soldat français ayant participé à la torture et ayant assisté à l'assassinat du militant, père de l'héroïne... et une jeune française de la nouvelle génération, petite fille de pieds noirs, qui cherche à «comprendre» un pays qu'elle ne connaît pas et que son père passe son temps à «lui raconter» (le pays d'«avant les événements») .

Un récit fort et sobre... qui «flirte» un peu avec l'oubli, peut-être même le pardon. En tout cas, il y a absence de haine... ce qui ne peut qu'accroître les remords de l'Autre. Croit-on !

Avis : Maïssa a toujours des messages à transmettre, donc à lire et à méditer. Cependant, un défaut technique (en tout cas dans la partie française de l'exemplaire acheté dans une grande - et pourtant bien organisée - librairie du centre d'Alger, sur les hauteurs) : tout un cahier se trouve en double (p 49 à p 71)... remplaçant un cahier non inséré (p 25 à p 48) . Heureusement que la partie en arabe est complète. Problème de contrôle de qualité, au niveau de l'imprimeur, de l'éditeur et du libraire ? Donc, dorénavant, vérifiez avant de passer à la caisse.

Extraits : «Dans tous les pays, il y a des hommes. Ce sont eux qui en font une patrie. Qui en font un enfer. Ou un pays où il fait bon vivre» (p 32), «Les champs de bataille sont toujours jonchés de héros» (p 52), «Les héros seuls ont le droit de parler. Nos héros ont tous les droits... Ils peuvent tout se permettre. Et, ils ont été à bonne école... du moins ceux qui sont encore en vie. Et ils parlent tellement fort qu'ils peuvent croire qu'on n'entend qu'eux. Et cela tranche avec le silence des bourreaux, et le silence complice de ceux qui ne peuvent pas regarder leur histoire en face» (p 61).

Nos Silences. Roman de Wahiba Khiari. Editions Elyzad, 125 pages, 400 dinars, Alger 2009. Au-delà du style, il y a le thème.

D'abord et avant tout. Celui des jeunes filles d'Algérie enlevées par les terroristes islamistes durant la décennie rouge. Puis «épousées». Puis violées. Puis «répudiées». Puis «re-épousées». Puis «engrossées». Puis exploitées comme «esclaves». Puis, parfois, assassinées... égorgées. Puis, pour celles ayant échappé à la torture, abandonnées... par les parents, par la société, par l'Etat...

Le drame et l'horreur conjugués... dont beaucoup de victimes ne se sont pas encore relevées, tant les traumatismes sont profonds.

Des traumatismes se trouvant même au niveau d'enfants ? les adultes d'aujourd'hui - simples témoins d'enlèvements (de leur sœur ou cousine ou camarade) ou de crimes. Ne restent plus que la douleur (que nul algologue ou psy' ne peut guérir)...et, parfois, la haine de l'Autre, tous les autres, toute la société, que nul réconciliation ne peut extirper.

L'héroïne (sic !) enseignait l'anglais, «langue vivante, dans un pays où l'on se mourrait». Elle n'était pas «voilée» et ne voulait pas «céder à la menace». C'est un peu (beaucoup même) l'histoire de l'auteure, obligée à l'exil, en 1997. D'où un écrit à deux voix de femmes en écho... qui prennent la parole ... haut et fort en mémoire de toutes les autres... à qui on a demandé de pardonner, toutes celles qui se sont tues et ont ravalé leur honte.

Avis : A lire, surtout que le style se savoure. Mais le contenu est à méditer. Un livre qui a reçu le Prix Senghor de la création littéraire 2010. C'est tout dire.

Extraits : «Elle n'est plus très maternelle, notre langue. Si possessive et dominatrice depuis qu'on lui a octroyé le statut de maîtresse absolue !» (p 13), «Le hidjab était censé les (filles et femmes) protéger de tous les dangers. C'est ce qu'on croyait» (p 20), «Il y a des bruits qui ne devraient pas déranger, ce sont les bruits de la vie. Des gens qui rentrent tard dans la nuit, c'est un bruit de la vie» (p29), «On croyait que les enfants à qui on donnait des prénoms bizarres, répulsifs, ou parfois sales, avaient plus de chance de vivre, car, même si elle voulait les prendre, la mort, choquée par la laideur de leur prénom, s'en détournerait définitivement» (p 50), «La douleur est un cri du corps à l'esprit pour qu'il le protège. Mais quand le corps crie, il est souvent trop tard» (p 67), «C'est une illusion de croire qu'on peut ressentir ou même imaginer des douleurs qu'on n'a pas vécues» (p 68), «Le bonheur se vit en silence» (96), «On veut que je pardonne. Mais à qui ? On dit : «Pas à ceux qui ont tué, pas à ceux qui ont violé». A qui alors ? «juste aux autres». Qui les autres ? Les mécènes ? Ceux qui regardaient faire ? Qui montaient la garde ? Les indics ? Les mouchards ? Les sympathisants ? «Les Misérables !» (p123)

Les Harraga, comme il leur plaît de nous appeler.

Nouvelle, Essai romancé, de Khedidja Ladjel (Préface de Said Musette). Thala Editions, 30 pages, 120 dinars, Alger 2011

Une préface critico-positive d'un grand spécialiste de la question, deux illustrations de style naïf, mais se voulant réalistes (par Walid), une quatrième de couverture avec une belle photo de la belle auteure... et surtout, un sujet grave traité à travers une nouvelle impure, mélange d'informations et de réflexions... à travers l' expérience, racontée par un jeune, d'une harga... qui a échoué... bien sûr.

 On voit mal comment une ancienne (ou toujours) haut fonctionnaire chargée, entre autres, de la famille et de la cohésion sociale pourrait défendre le contraire, c'est-à-dire une harga réussie et un harrag arrivé sur l'autre berge et ayant réalisé tout ou une partie de ses rêves de liberté et de réussite socio-économique.

Avis : Initiative à encourager... bien qu'on aurait aimé voir (aussi) le mémoire de magister édité.

Extraits : «Le boom démographique postindépendance, auquel s'apparente ma venue dans ce monde, tant décrié par les spécialistes des questions de développement durable, largement préservé toutefois, par les pratiques sociologiques, aura court-circuité, par son ampleur et sa prégnance, quelques voyants du tableau de bord économique et social du pays» (p 9).

Ps : Erreur involontaire (et d'inattention, l'âge n'aidant plus) dans le texte de la chronique (sur «Les balcons du Nord») du jeudi 25 septembre 2014 : Il fallait lire «La messe est dite» et non «La ( ?!) prêche est dite»