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Gourdel et Droukdel

par El Yazid Dib

«Le monde se divise en trois catégories de gens: un très petit nombre qui fait se produire les évènements, un groupe un peu plus important qui veille à leur exécution et les regarde s'accomplir, et enfin une vaste majorité qui ne sait jamais ce qui s'est produit en réalité.» Nicholas Murray Butler (1862/1947)

Ils n'ont pas le même itinéraire. La même passion. Ils ont pourtant le même espace. L'un est un guide de montagne, l'autre un écumeur de montagne. L'un est une innocente victime abattue odieusement, l'autre aussi, mais différemment. L'assassin abstrus est lui aussi massacré par ses méfaits et achevé en vie par ses fausses croyances. Gourdel est ce paisible citoyen, enthousiaste touriste, Droukdel une mort impitoyable qui rôde et court toujours. Comme le défunt regretté ne peut symboliser une religion, l'autre également.

Les « djihadistes » ? « Jund Al-Khalifa » Drôle d'intitulé ! Quoiqu'il n'en fasse pas partie physique, Droukdel partage la même culture. La mort et la haine. Le temps des sabres et des coupe-nuques ne semble pas pour autant se finir. Le « khalifa » devient une utopie qui tend mal à la conversion d'une mémoire effacée liée à une Andalousie perdue, une Grenade avachie.

Donc Hervé Gourdel a été lâchement assassiné par de la vermine, excrément résiduel d'un concept de haine et d'atrocité. La messe est dite ! virtuellement dans l'attente d'un corps que l'on ne verra plus, eu égard aux complexités qui commencent à se manifester autour de « l'affaire » montage, scenario ? Que le débat n'exacerbe pas outre mesure et se place au niveau humain et moral. Jouer de la tristesse des proches, accuser pêle-mêle, n'est plus une compassion à présenter lors de condoléances que tout le monde s'est pressé d'en faire dans un cimetière qui n'existe pas encore. Dans certaines présentations médiatiques, la victime est passée pour être un pays, une nation. Le bourreau pour un Etat, une religion ! Tous étaient en pleurs sur un cas, tous ne l'étaient pas pour des milliers de cas. Il ne manquait que de faire office d'une « salat elghayeb » Ainsi, le pauvre touriste assassiné atrocement est devenu un visa facile à l'obtention pour certains et une invite à l'avoir pour d'autres. Quand les chroniques s'acharnent à casser du sien, et qualifient le vendredi de « jour terrible », quand des syndicats professionnels, « dénoncent fermement » un tel acte qui ne figure pas parmi leurs revendications statutaires au moment où des partis se taisent, quand des français musulmans se cachent pour éviter l'admonestation, quand l'intérêt travestit l'humanisme ; rien ne prédit un avenir radieux !

Paradoxe des temps ! Comment une mort ressuscite un débat enterré et exhume des ossements impérissables ! On impute l'insanité non pas à un auteur mais à une conception paraissant l'animer. C'est comme l'on accuse le savoir technologique ayant permis la bombe d'Hiroshima et non son auteur. Pour ainsi dire que la religion n'est redevable, ni coupable en rien du résultat obtenu par celui qui croit s'en servir.

Le monde pond des règles au profit de ceux qui le font. Il s'agrandit ou s'amoindrit à la mesure de ceux qui le voudraient ainsi ou autrement. En somme il est comme une religion quelconque ; sans attention à ses débuts ; embarrassante à son expansion. Doctrine ou inspiration dite céleste ; elle s'écarte comme une carte bipolaire de la tolérance vertueuse à la terreur tumultueuse. Le cœur en parle. La rue ça se discute. Les écrans en crèvent les tubes cathodiques et ça n'a rien de catholique, ni d'autres choses, sauf d'une hégémonie industrielle ou pétrochimique.

Il était une fois? « Les dérives de l'Islam ». Un titre générique. Cette une émission télévisée diffusée par M6. « Zone interdite » a daigné prendre de la sorte à l'assaut la zone qu'elle voulait, à l'adresse de l'audimat rendre vraiment interdite. Obscurcir La lumière de l'islam. Jeter l'opprobre sur une religion qui paraissait être méconnue par le plateau présent. De surcroît où assistait une figure nationale non résidente et emblématique, présentée comme docteur en théologie et qui donnait l'apparence d'être au service pas de l'islam, mais des services d'outre mer. Apprendre le Coran dans un certain lieu, en Irak était à travers cette émission pour ce qui est du lieu ; qualifié « d'école de la haine ». Ne sommes nous pas en présence, parlant de dérives, de grandes déviations de l'occident ? Ou étaient formés les jeunes français djihadistes partis en Syrie ?

Comme à « El Jazira » ou à « Iqra » l'islam en est le canevas de fond pour tous les menus. La confrontation d'idées s'assimile au débat contradictoire et l'avis inverse s'oppose à l'avis tout court. Lorsque des propos confus viennent sciemment se fondre dans une terminologie déjà controversée, il n'en reste que des opportunités accueillantes pour toutes les dérives possibles et imaginables. Lancer de l'invective, sous couvert d'un besoin médiatique n'est pas de nature, en toutes circonstances, à favoriser l'atteinte réussie de l'objectif escompté. On y tombe justement dans une réaction antithétique, hostile et intransigeante. Assimiler à un meurtre terroriste d'un ressortissant français à une bavure religieuse est loin d'accréditer la thèse de la décapitation. Le message ainsi lancé sort imperturbablement du procès à faire à une attitude et non encore à une religion.

Comparaître l'occident à l'islam est une friction de l'esprit et une vision réductrice du savoir que pourrait contenir cette religion. Car pourquoi se limite-t-on à placer en deux points divergents et dans un antagonisme islam/occident ? Pourquoi pas orient/occident ? Ou simplement islam et christianisme ou autre religion. Problématique géo-théologique. D'ailleurs la polémique dans ce registre était et l'est toujours fugace, pénétrante, hostile et placidement voulue. Opposer le verbe coranique à des usages canoniques, viendrait à penser que l'on ignore l'un ou les autres sinon l'ensemble à la fois. A ce niveau de pensée, certains thèmes récurrents marquent par leur échos et leur porte-échos, que ces derniers ne connaissent pas de frontières et libèrent leur libido spirituelle pour en prêcher, causer ou sermonner au nom de telle religion ou de telle civilisation des immondices et des contre-réalités. Ils n'obéissent de ce fait qu'à une passion aveugle, sectaire et inhumaine. Les califes de droiture ne disaient-ils pas à juste titre d'ailleurs que « la passion est un autre dieu qu'on adore » ? Voilà que l'on assiste depuis peu au recrutement de nouveaux défenseurs de l'option retenue. Ils parviennent du sein même de la corporation islamique ou censés y appartenir, ne serait que par lien du sol ou origine patronymique ou de parenté. Ces nouveaux soldats de la liberté, des droits, de l'égalité et de la laïcité font un boulot d'une commande muette. Chacun y va du sien. Taper de la mosquée, fustiger le pouvoir, se redécouvrir antisémite, être contre le ciel et l'histoire de sa terre donnent bien en bout de la récompense et miroitent le mérite. Vaut mieux être charbonnier chez soi... que lauréat ailleurs

Il est à constater d'une façon peu désabusée que la laïcité tant prônée par les pays qui en font un principe cardinal et constitutionnel n'est dans la pratique qu'un mirage propre à tout discours politique. Sinon comment admettre le retentissement assourdissant des cloches au moment où l'on récuse l'appel, l'adhan à partir des quelques mosquées qui y existent ? Est-il le propre d'une laïcité quand en face d'un clocher l'on refuse l'élévation d'un minaret ? Il n'est plus alors question de liberté de culte, mais de géographie cultuelle. Le contraire est aussi inadmissible. Interdire des églises et des synagogues en terre dite d'islam est aux antipodes de l'inquisition et des croisades. La foi est personnelle et non institutionnelle. Que chacun ait l'exercice d'amour qu'il veut pour un dieu qu'il veut. Car le Dieu existerait avec ou sans temple, chapelle, moussala ou grande mosquée.

Que dire de ces nations aux notions justes de Droit et de droits d'asile qui savamment font permettre la vision des croix en confinant dans les caves les salles d'ablutions et le mihrab ?Là, le droit napoléonien est sans ambages en matière de tissu urbanistique et de design architectural. Si le minaret n'a rien d'occidental qu'en est-il de la flèche, des nefs et des clochetons des églises ? Toutes les religions sont présomptives d'égalité et de mondialisation et une religion ne peut valoir mieux qu'une autre. Ainsi rien ne va plus dans la vision polyculturelle des pays attachés à la liberté de croyance. Ainsi sans vouloir apporter le moindre reproche ou l'énième critique à l'égard du monde occidental, que ce soit dans ses contradictions de la notion des droits de l'homme, de la liberté du culte ,du traitement de la femme ou dans son approche sur les maux mondiaux de misère, de suicide, de drogue ou de sida ; l'objectif étant d'insinuer que dans les dérives de ce monde, apparaît au grand jour d'abord les dérives de ses gouvernants. De ses imams, de ses clergés et des ses officines secrètes. Puis la verve facile et le style de débauche de ceux qui pensent avoir trouvé le bon sens d'un monde juste.

Ce qui caractérise un débat par rapport à un conflit c'est la force de la preuve et non la force à l'épreuve ou l'épreuve de force. Si l'occident avec la science et la technique qui ne lui sont par ailleurs, en aucun cas exclusifs, car propriété de l'humanité entière, veut bien entretenir ou continuer le débat du jour déjà entamé en sourdine, depuis l'hégire chez le roi d'Éthiopie ; qu'il le fasse en ayant les coudées franches tout en expurgeant tout sentiment de réprobation, de haine et d' ostracisme. Sommes-nous suite aux attentats de New York à un niveau d'uniformisme rangeant dans le bien ou le mal des individus uniquement à l'aide des critères de races et de religions ? Décidément, quand l'Amérique range les gens, elle s'arrange et dérange tous les rangs ! Le débat de civilisation ne peut produire qu'un dialogue fructif. Il ne saurait remettre en cause les fondements ni de l'une ni de l'autre mais contribuerait sans façon à apporter l'éclairage nécessaire dans les zones voulues sombres et permettrait publiquement l'intrusion même dans les « zones interdites ». L'injure est un crachat à la face de la culture. Le respect de l'autre est un signe de grandeur, de générosité et surtout un témoignage clair de la limpidité de la source intarissable auprès de laquelle la personne respectueuse et non injurieuse s'en abreuve et se forge. La vraie n'est pas une puissance dans le débit des bêtises ou le bruissement des F16 et des B52 ? Elle n'est pas dans le veto ou l'opposition à rendre un enfant affamé heureux parce qu'il n'a plus faim, ni ne se mesure à la longévité dans l'imposition injuste d'un embargo par ci et l'autre par là. La vraie force est dans le futur d'une acceptation réciproque de la diversité et du pluralisme. C'est de la sagesse et son corolaire la tolérance que surgira un monde meilleur et égal pour tous. Toute culture n'est bonne que si le bien l'entoure.

Le conflit de civilisations ou le choc civilisationnel ; si tel était le cas ne devrait aboutir à l'anéantissement du peu de pudeur que lui confère l'esprit civilisateur. Sans cette retenue minimale, tout sens et toute dimension rattachés à une quelconque progression sociale, ne sauraient être éligibles à arborer haut et fort un humanisme Partant, la civilisation se puise d'une connaissance, grandit dans une culture et s'épanouit et progresse dans la vertu, l'éthique et la moralité.

Elle ne peut donc, par définition liminaire que s'ouvrir ou mourir. Les civilisations viennent au monde comme est venue la pénicilline aux maux de ce monde. Sans religion, sans faciès, sans ethnographie, elles comblent par des bienfaits des uns les tares et les lacunes des autres. Elles se complètent, s'imbriquent, et cohabitent.

En somme ni le meurtre ni la famine ne sont des termes dans l'encyclopédie des grandes civilisations qui ont pu depuis la création façonner l'humanité. Le terrorisme comme le mépris ou l'inégalité est irréligieux. Nul besoin n'y est pour clamer des évidences communes aux communs des mortels. Le vol ou l'adultère n'ont pas attendu une religion élitiste ou la parution du premier code pénal, pour qu'ils soient honnis et récusés par la conscience sociale et interdits et défendus par la volonté législative de l'homme. La religion n'est pas un tout. La loi non plus le tout. Il existe bien un code répressif condamnant l'inceste et l'escroquerie dans des pays sans religions ou qui se proclamaient d'un athéisme affiché. La morale n'a pas pour demeurer vive et inextinguible, besoin d'une charte ou d'un pacte. Elle est là, invisible et épiant, comme un vigile silencieux qui ne s'autocensure que par le repentir et le soupir. Les règles sur lesquelles se fonde la morale, remords et regrets ; vont fondre par conséquent les actes répréhensibles et récusables plus que ne le fait l'homme dans ses tentatives de contractualiser les préceptes moraux. Osons le dire ! L'islam n'est pas une tête enturbannée ni un visage barbu d'un être dont les mollets restent dénudés par un tissu de houppelande et tenant ostensiblement une mitraillette en s'affairant à un va et vient buccal à l'aide d'un bâtonnet tenant lieu de brosse à dents. Il n'est pas non plus un aviateur formé pour casser des tours, ni un égorgeur d'innocents enfants ou assassin d'étrangers. Il ne se confine pas dans un roitelet saoudien, qatari ou péninsulaire. Croyez-vous qu'il un baril de pétrole où s'adosse une grosse bedaine à la chasse des outardes ? Il est une culture de bien être, de savoir et d'amour. Mon Dieu à moi, qui n'a ni mitraillette, ni poignard en mains ne m'avait affirmé en aucun cas que tuer son semblable, blâmer son avis contraire, faire exploser un cadavre était un acte de bienfaisance ordonné ou une intercession me rapprochant de sa bénédiction. Entre l'étêtement de Gourdel et la fécondation Droukdel il y a l'autre. La différence qui tue, pas celle qui relie le reste des deux mondes.