Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quand le gouvernement redécouvre le Conseil des ministres

par Abed Charef

Le Conseil des ministres se réunit, en théorie, chaque semaine. En Algérie, il se réunit une fois par an.

Miracle à Alger. Après dix mois de vacance, due à l'état de santé du président Abdelaziz Bouteflika, le Conseil des ministres a fini par se réunir. Et il n'a pas chômé. Sept projets de loi ont été débattus et adoptés, selon le communiqué officiel publié à l'issue de la réunion. Un conseil surchargé, donc, mais qui a été en mesure de rattraper une partie du retard accumulé jusque-là, en faisant preuve d'une volonté remarquable.

Résultat des courses : peu de gens en Algérie croient à cette réunion. A part quelques cercles d'irréductibles, les Algériens pensent plutôt que la réunion a été prise juste pour la photo, et pour les besoins des images diffusées par la télévision. La réunion a valu par son côté protocolaire et symbolique, et par le soin qui a été mis à en synchroniser les moments essentiels. Le reste n'était que mise en scène, destinée à confirmer que le président Abdelaziz Bouteflika se remet de son AVC, et qu'il est en train de reprendre les choses en main.

Pourquoi un Conseil des ministres, réunion de routine en temps normal, devient-il un évènement politique majeur ? Précisément parce que l'Algérie n'est pas un pays normal, parce qu'elle fonctionne à côté ou en dehors des normes légales et constitutionnelles, et que ceux qui sont au pouvoir ont, pour une fois, décidé de de ne pas franchir la ligne jaune.

Pourtant, le même pouvoir a superbement ignoré la constitution et son célèbre article 88 au printemps, au lendemain du 27 avril, lorsque le chef de l'Etat avait été victime d'un AVC. Il était possible, à ce moment-là, de prononcer une vacance, même temporaire, du pouvoir, mais cette hypothèse a été soigneusement évitée. Il y a cinq ans, le président Bouteflika n'avait pas hésité à changer la constitution pour rester au pouvoir pour un troisième mandat. On lui prête, aujourd'hui, l'intention de vouloir amender de nouveau la même constitution pour s'offrir un texte mieux adapté à sa situation. Ce qui montre que le M. Bouteflika n'a pas pour habitude de se soucier des textes.

Et c'est cet homme-là qui a tenu, cette fois-ci, à respecter la forme sur une question, certes importante, mais pas décisive pour l'avenir du pays. Le chef de l'Etat se devait de réunir un conseil des ministres pour adopter la loi de finances avant le 30 septembre, comme le prévoit la loi organique régissant les relations entre le gouvernement et le parlement. Il l'a fait, dans des conditions difficiles, éprouvantes pour lui.

Pourquoi tant d'efforts ? Et si le projet de loi n'est pas adopté formellement en Conseil des ministres, avec photo et images de la télévision, que se passerait-il ? Y a-t-il, quelque part en Algérie, quelqu'un en mesure de dire que M. Bouteflika n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, et qu'il faut donc prononcer la vacance du poste de chef de l'Etat? Difficile à imaginer.

Ce souci de respecter les formes apparait presque incongru dans un pays où le Premier ministre affirmait naguère qu'il ne voyait pas l'utilité du Conseil des ministres. C'est oublier que ce conseil est la réunion la plus importante pour le fonctionnement des institutions. C'est là que se décide officiellement la politique du gouvernement, que les projets de loi sont discutés et adoptés, et que se font les grands arbitrages. C'est là également que s'organise la coordination de l'action du gouvernement et sa communication.

Y revenir n'est pas seulement un acte symbolique. Cela peut devenir un choix politique. Est-ce le cas ? Est-ce le signe d'une volonté de retour aux normes ? Serait-ce un point de départ à partir duquel le gouvernement, et le pouvoir de manière générale, va refondre son action dans un cadre légal, en respectant les règles constitutionnelles ? Après dix mois d'absence totale du Conseil des ministres, il serait hasardeux de croire à un tel miracle.

Un observateur de la vie politique algérienne a toutefois noté que dans la conjoncture actuelle, où le pays tout entier est parti à la dérive, et où les institutions ont besoin d'être réhabilitées dans leur globalité, le simple fait que le gouvernement redécouvre le conseil des ministres est une avancée. C'est dur à admettre, mais l'Algérie en est là. Il suffit, pour s'en convaincre, de rappeler qu'aucun projet de loi n'a été adopté par le conseil des ministres depuis un an, que le parlement est obligé tourner avec des textes déposés en 2012, que certains ministres n'ont jamais assisté à une réunion du conseil des ministres.