Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Présidentielle française, une fin de campagne sous tension

par Pierre Morville

Pour l'instant, l'affaire Merah n'a pas bouleversé l'élection présidentielle française. A en croire les sondages?

Les sondages dans une campagne présidentielle correspondent en général à un mélange compliqué des fonctions de l'augure dans les sociétés antiques, du journal de pronostics pour le turfiste et du groupe d'enarques experts qui calculent à plusieurs centaines de millions (d'euros, de dollars, de yens?) près, le niveau du futur déficit budgétaire dans la préparation de la loi de finances : beaucoup de calculs, un peu d'intuition, du bricolage et un certain nombre de vœux pieux.

Non pas que les sondages soient manipulés, ni que les méthodes ne soient pas rigoureuses : ils constituent très souvent une très bonne photographie de l'opinion au temps «T». Oui, mais voilà, l'opinion populaire varie souvent et parfois même elle se retourne. En un instant.

Les électeurs sont en effet constamment abreuvés d'une masse infinie d'informations contradictoires par des médias omniprésents commentant une actualité extrêmement changeante.

Placé depuis plusieurs mois par les instituts comme gagnant de l'élection présidentielle, François Hollande devait naturellement être inquiet des réactions de l'opinion après les drames de Toulouse et de Montauban. D'autant que le candidat Nicolas Sarkozy, jusque-là en difficulté, est capable, dans la pire des situations, d'une hardiesse tactique sans égale. Devant l'immense émotion populaire, le candidat de l'UMP a su immédiatement réendosser ses habits présidentiels et redévelopper d'un air grave ses deux thématiques préférées et les plus droitières : la lutte contre l'insécurité et les dangers de l'immigration.

HOLLANDE TOUJOURS EN TETE DES PRONOSTICS

Une semaine après la traque mortelle du responsable des sanglants attentats, l'opinion publique reste très choquée. Toutefois, il semble, au regard des nombreux sondages parus, que les électeurs, dans leur grande majorité, dissocient l'acte insensé de Mohamed Merah des enjeux essentiels de l'actuelle campagne présidentielle française. Certes, François Hollande et Nicolas Sarkozy sont dorénavant au coude-à-coude dans les résultats donnés en prévision pour le soir du 1er tour, aux alentours de 28% pour les deux, ce qui était déjà la tendance avant le drame de Toulouse, mais le candidat du PS conserve aujourd'hui un très net avantage dans les enquêtes d'opinion pour le résultat final, conservant le crédit entre quatre et huit points d'avance pour le résultat du second tour. Celui-ci se déroulera dans un peu plus d'un mois, le 6 mai prochain.

Trois autres tendances sont révélées par les chiffres des nombreux instituts qui scrutent quotidiennement l'état de l'opinion. Marine Le Pen aurait pu, elle aussi, profiter de l'émotion publique après l'acte insensé du salafiste toulousain. La candidate du Front national reste à un score élevé (entre 13 et 16%), mais elle ne progresse pas. Il est vrai que ses thématiques préférées de campagne ont été escamotées par Nicolas Sarkozy qui les a reprises à son propre compte. François Bayrou, le candidat centriste, stagne dans les intentions de vote à 11/12 points. Il est, selon les instituts, légèrement devancé par Jean-Luc Mélenchon, qui a même lors d'un sondage récent conquis la place de 3ème homme de l'élection. Le candidat très à gauche a su unifier un vaste courant protestataire alliant les communistes, des socialistes déçus, de nombreux militants d'extrême gauche, des écologistes et surtout de nombreux abstentionnistes. Il a su même capter dans certains milieux populaires des anciens électeurs du Front national ! En réunissant, il y a deux dimanches, cent mille personnes à la Bastille, cet excellent orateur a fait la preuve qu'il peut canaliser l'indignation de nombreux Français devant la montée des injustices sociales.

AUSTERITE, ETYMOLOGIE : «APRE AU GOUT»?

Les enquêtes d'opinion sont unanimes sur un sujet : dans cette élection, les premières et constantes préoccupations des Français restent depuis plusieurs mois le pouvoir d'achat et l'emploi. La sécurité ou l'immigration sont loin dans la liste des préoccupations actuelles des Français et ce classement perdure, y compris une semaine après le drame de Toulouse.

Il est vrai que la crise économique, ouverte en 2008, se poursuit sans qu'aucune solution proposée par les pouvoirs publics en Europe ne semble pouvoir réduire sa portée ou renouer avec la croissance. La France va connaître une croissance zéro au 1er semestre 2012, le chômage croît inéluctablement et les fins de mois deviennent difficiles pour les classes populaires, mais également, fait nouveau, pour une partie notable des classes moyennes.

A contrario de la politique menée aux Etats-Unis par Obama, qui parie sur la relance au prix d'une aggravation du déficit budgétaire, les seules réponses actuelles des gouvernements de l'Union européenne se résument à une seule promesse : «de l'austérité, encore plus d'austérité ». Le rétablissement des comptes publics, vertueux en soi, débouche aujourd'hui sur une compression du pouvoir d'achat, un affaiblissement de la demande qui aboutit sur une non-croissance ou, pire, une récession durable. Ce qui nourrit un chômage explosif et réduit les rentrées d'impôts : ce qui aggrave les déficits budgétaires !

Il semblerait aussi que la «cas grec» a beaucoup plus frappé l'opinion publique européenne qu'il ne pouvait y paraître. Les Européens du Sud (Italiens, Espagnols, Portugais, Français?) et ceux de l'Est ont pu toucher du doigt ce qui les attendait très concrètement. Le quotidien Le Monde a fait ainsi paraître cette semaine une enquête sur la forte remontée du travail des enfants dans le sud de l'Italie ! Ces mêmes Européens de l'Est et du Sud ont bien compris les limites très concrètes de la fameuse «solidarité européenne», alors que les populations qui s'en tirent un peu moins mal (pays nordiques, Allemagne, Hollande), n'inclinent pas - on peut les comprendre dans le contexte d'une crise qui peut être longue - à la générosité.

APRES LA PRESIDENTIELLE, LES LEGISLATIVES

Les Français, à qui l'on demande beaucoup de sacrifices, constatent également qu'aucune mesure de réglementation n'a été prise à l'encontre du monde bancaire et financier, dont les excès sont pourtant à l'origine de la crise actuelle, que les entreprises du CAC 40 (l'indice boursier des plus grosses sociétés françaises) affichent des bénéfices exaltants et que les dividendes versés aux actionnaires sont toujours plantureux. Bref, de quoi fortement conforter le vieil adage, «C'est ainsi, le monde est bien fait : les riches s'enrichissent, les pauvres s'appauvrissent».

C'est dans ce contexte que François Hollande, s'il paraît être le plus apte à prendre les rênes de la République française, pourrait se retrouver au lendemain d'une élection éventuellement victorieuse, avec des marges de manœuvre parfois très réduites et des attentes relativement fortes de ses électeurs. Ceci explique la relative prudence de ses engagements en matière de programme face à un concurrent qui multiplient nouvelles réformes en tous genres et annonces de multiples projets de loi. Mais il est vrai que Nicolas Sarkozy ne se sent pas souvent engagé par ses promesses électorales !

L'élection présidentielle, enfin, ne constitue qu'une 1ère étape. Lionel Jospin, ancien Premier ministre de cohabitation de Jacques Chirac, avait imposé une mesure dont on ne mesure toujours pas si elle constitue une innovation démocratique ou un renforcement de la présidentialisation de la Vème République, déjà très dominée par les pouvoirs du chef de l'Etat : les élections législatives doivent suivre de peu l'élection pour le mandat présidentiel, réduit alors à cinq ans.

Il faut donc gagner et l'une et les autres, au risque de retomber en «cohabitation». Si François Hollande est élu, il devra donc tout faire pour obtenir une majorité à l'Assemblée nationale. Comme la gauche française contrôle déjà la plupart des grandes villes, des départements et la quasi-totalité des régions, cela pourrait inciter les électeurs français à un souhait de rééquilibrage. D'où la question qui dominera lors de la campagne du second tour, celle des alliances. Nicolas Sarkozy a plutôt choisi de faire le vide autour de lui pour concentrer les voix de la droite.

Diverses personnalités tentées de se présenter, Morin, Borloo, de Villepin? se sont finalement retirées. Le centriste Bayrou ne cache pas son antipathie pour l'actuel président. On voit mal Marine le Pen rejoindre une éventuelle majorité présidentielle.

A l'inverse, François Hollande a deux potentiels partenaires : le centriste Bayrou et le très à gauche Mélenchon. Deux alliés pas facilement compatibles? Restent les écolos, mais les candidats députés verts commenceront une campagne législative avec le piètre résultat de la candidate Eva Joly, à laquelle les instituts n'accordent au mieux que 2% des voix.

Mais enfin, comme nous le disions au départ, il ne faut pas accorder un total crédit aux sondages qu'à partir de 20h, le dimanche soir, jour de l'élection, à l'annonce des résultats !