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Saignements mémoriels et légitimes espérances

par Salim METREF

Entre l'impératif du sursaut national, l'aspiration profonde et sincère au changement, les velléités de maintien du statu quo, les bouleversements du contexte régional et les louvoiements de l'ingérence étrangère, notre marge de manœuvre n'est pas si étroite qu'on pourrait le croire.

Elle le serait peut-être d'autant moins que nous ferions l'effort d'écouter les pulsions profondes de notre passé. Et le défi pourra être relevé mais il faut désormais, au peuple, faire confiance. Le passé nous rappelle que la nuit fut longue et froide. Nous venions tout juste de retrouver la lumière que nous eûmes mal aux yeux. Mais la liberté reconquise, les poètes pouvaient déjà croquer la lune. Et nous étions, semble-t-il, déjà mal partis. Nous nous entredéchirions quand nous voulions juste étancher notre soif. Nous enterrions nos morts et comptions nos orphelins. Certains pansaient leurs blessures, d'autres faisaient déjà ripaille. Nos souffrances et nos douleurs ne purent empêcher ni les convoitises, ni les divisions. La nature humaine reprit ses droits et nous étions déjà devenus vulnérables. Nous fûmes soudain aveugles et la machine à remonter le temps sembla déjà enclenchée. Et nous oubliâmes trop tôt nos luttes, nos combats, le destin commun, la faim, le froid, le pain partagé, le sel, notre sang mêlé et les larmes de nos veuves. Tout vola subitement en éclats. Et le peuple comprit la manœuvre. Allions-nous, peut-être, reproduire nous-mêmes ce dont nous avions tant souffert et que nous avions tellement combattu ? Il décréta que nous devions continuer à être frères mais son cri ne fut pas entendu. Et vinrent le feu, la peur et le sang et quelques années plus tard, l'espoir s'essouffla et les sourires carnassiers d'une longue nuit d'été enveloppèrent d'un linceul nos rêves d'une blanche patrie. Certains nous quittèrent, d'autres désespérèrent ou connurent l'exil. Puis nous fûmes enchainés par nos propres certitudes. Bien avant tout le monde, la peur avait déjà son camp. Ce fut celui des pauvres gens, des plus faibles et des plus démunis. Mais nos sublimes contrées refusèrent de mourir. La parole du juste fut vite oubliée. La vérité martyrisée et nous ne nous rappelions même plus comment cueillir les fruits que nos arbres ne portaient déjà plus. Et le corps refusa d'abdiquer. Ses convulsions sonnèrent le glas des marchands du désespoir. Nos montagnes et nos plaines gémirent et réveillèrent nos consciences endormies. Ainsi, aussi loin que remonte notre mémoire, l'appel de nos ancêtres fut pressant. Ils nous prédirent la joie, le feu, le sang puis enfin la lumière. La lumière qui vient.

Et de dénis en mépris, de mécontentements en douleurs, d'injustices en abus, de crimes d'honneur en martyrs, de lieux sombres en sévices, de révoltes en désobéissances, de luttes fratricides en bain de sang, la dignité se fit colère et la parole devint muette. Et nous vîmes naître les rancunes, les rancœurs, les sombres desseins, les coups tordus, les sales besognes, les choix naïfs, le lien ombilical à la terre dénoué, les idées qui n'étaient pas toujours les nôtres, les vérités occultées, l'histoire travestie et parfois le mensonge. Mais aussi la joie d'être ensemble, l'espoir tenace qui fuse, le bonheur, les justes, le respect de la parole donnée, l'enthousiasme, la marche vers des jours meilleurs, ce qui fut construit et ce qui ne pu l'être. Puis vinrent les courtes éclaircies, l'espoir d'un nouveau départ ou le moment d'une joie partagée, la parole enfin retrouvée, l'apprentissage de l'autre et du respect. Mais la folie récurrente, héritée de nos lointains traumatismes, souilla le soleil et s'emballa de nouveau. Et ce fut encore, une fois de plus, la nuit. Le désenchantement et l'embrasement dévastateur séchèrent nos cœurs et nos larmes. La malédiction nous poursuivit et il n'y a hélas aucun effet, ni fait qui n'aient déjà eu une cause.

Et ce pays, béni du ciel et drapé de son histoire millénaire, ne plia pas. Il rit aux éclats de ceux qui le trahirent, le pillèrent, le malmenèrent ou le blessèrent. Et il rit aussi de ceux qui n'ont jamais su qu'il portera toujours en lui la part et l'honneur des humbles et de ceux qui devront naître.

Et maintenant Il faut vite renaître. Le temps passe et vite. Le désespoir est visible et nous guette. Il est l'ennemi. Il est au plus profond de nous-mêmes. Il faut vite lui substituer l'espoir et l'envie de vivre avant que nous soyons tous engloutis. Et il faut renaitre car d'autres sont déjà là et nos rêves deviendront leurs certitudes. Ils porteront notre espérance car ils ont déjà vingt ans. Par eux, nous vivrons libres. Ils auront une gouvernance juste et équitable. Ni l'invective et ni la haine. Plus personne ne volera leurs richesses. Notre pays sera défendu et ils refuseront l'abandon, la désespérance, la désinvolture, la corruption, l'incurie, l'injustice, les sévices, la peur et la tentation totalitaire. Et il y aura toujours, dans ces belles contrées qui depuis toujours nous servent de refuge, du pain et de l'eau pour tous. Et la foi pour apaiser les cœurs. Et profusion d'idées et de richesses et des femmes et des hommes qui se lèveront toujours tôt pour continuer de vivre à la sueur de leurs fronts. Nous étions les meilleurs et bien avant les autres, nous rêvions déjà. De nos malheurs, nous avons appris et nos forces nous reviennent. Nous étions si souvent seuls. Nous porterons ce pays avec notre souffle et nous puiserons dans nos entrailles l'énergie du retour. Il n'y aura point de renoncement. Certains déjà nous attendent. Et d'autres sans doute ne nous oublieront pas. Ils veulent déjà nous porter aide mais nous ne les invoquerons pas. Nous les entendons déjà nous dire les vertus de ce que nous aurions du faire, eux qui nous coupèrent les ailes et semèrent l'amertume. Il y a aussi ceux qui par dépit, colère ou désillusion, voudront quitter la route mais nous savons qu'ils seront là car ils savent eux aussi que même les combats les plus nobles ont parfois besoin de répit pour mieux cueillir l'espérance. Il nous faut maintenant écrire une nouvelle page comme nous avons toujours su si bien le faire. Des pages lues et apprises par ceux qui maintenant prétendent vouloir nous dire des choses, après avoir tant appris de nous et a qui nous avons tant donné. Et ils ont bien ri de nos mésaventures.

Et si nos douleurs sont réelles, les convulsions de notre patrie, elles, le sont encore plus. Elles nous sollicitent et interpellent nos consciences. Et le temps inéluctablement fera son œuvre. Et il faudra nous retrouver au confluent du souvenir, de l'espoir et de l'avenir. Nous ne sommes plus égarés et ces chemins qui montent, il nous faut les finir. Et au-delà des cimes, il y aura les youyous des femmes et ce printemps qui vient... Alors, courage !