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Nous, les Arabes, et les autres?

par Youcef Benzatat

La commission nationale qui a été désignée par le pouvoir pour conduire des concertations en vue d'alimenter la plateforme du projet de reformes politiques, a posé comme condition inaliénable «le respect des constantes nationales et des composantes de notre identité», mettant à priori un veto à toute volonté d'initiative pour un débat autour de la question de l'identité culturelle, qui semble pourtant incontournable, au regard du problème que celle-ci pose au processus de mondialisation culturelle, et à la société algérienne en particulier.

Aussi parce que, dans toute entreprise de concertation nationale ayant pour objet la consolidation de la démocratisation du système politique, celle-ci doit se fonder sur le pluralisme des opinions pour pouvoir opérer une synthèse représentative de la pluralité des sensibilités nationales, si elle veut être crédible. Les révoltes qui secouent en ce moment le monde arabe et la contamination simultanée d'autres pays non arabes, par un désir mimétique de ces révoltes, en recourant aux mêmes idées, mêmes slogans, traduisent de toute évidence un malaise commun et une demande commune, qu'on est en droit de mettre en toute logique, en rapport avec la crise et l'impasse du système mondial et global qui régit le monde aujourd'hui, et qui semble faire apparaitre au grand jour ses fissures profondes à la face du monde, suite a une gestion non maitrisée et non intégrée de la mondialisation et de la globalisation économique, politique, sociale et culturelle.

Parmi les problèmes caractéristiques de cette crise mondiale, tant économiques, politiques, sociaux, il y a ceux liés à la situation multiculturelle, qui est plus ou moins complexe et aggravé selon les pays, et à laquelle on ne semble pas trop accorder d'intérêt, pire encore, les mouvements conservateurs partout dans le monde opposent un boycotte catégorique au développement de ce processus de mondialisation de la culture. Pourtant, la crise multiculturelle ne date pas d'aujourd'hui, au tournant du processus de décolonisation, vers le milieu du XXe siècle, la situation postcoloniale en a déjà marqué le pas avec ce problème, notamment dans les anciens empires coloniaux. Dans le contexte nouveau de reconfiguration des échanges culturels entre les peuples à travers le développement exponentiel des technologies de communication, de la circulation massive des produits culturels et des personnes à travers les frontières internationales, impliquant ce contexte nouveau en terme de mutations culturelles, qui est sans précédant dans l'histoire, l'Algérie, qui est en train d'entamer des reformes, imposées par cette conjoncture internationale de crise, saura-t-elle relever le défi de l'exigence de la mutation annoncée en osant se doter de conditions favorables pour s'arrimer ainsi a cette nouvelle séquence de l'histoire de l'humanité en marche ? En assumant sa responsabilité historique aux cotés du monde Arabe qui accusent ensemble un sérieux retard en ce domaine, dans cette mutation historique qui s'annonce dans le long terme inévitable et sans doute irréversible.

« Printemps Arabe » : Révolte ou révolution ?

Spontanément, la rue arabe s'est enflammée. La chute du président tunisien suivie de celui de l'Egypte ont provoqué un effet dominos qui a soulevé beaucoup de peuples de la région, jusqu'en Europe, et où l'on a beaucoup parlé de révolution! On ne peu considérer l'émeute, le mouvement de rue spontané, comme des révoltes, que dans la mesure où elles contestent un ordre. Pour être au sens plein, une révolte, ces manifestations doivent avoir pour but de mettre en question un ordre institutionnel ou social. La révolte sait ce qu'elle refuse et elle a une idée généralement précise des forces d'oppression qu'elle affronte. Elle met brutalement en question l'ordre établi, mais ne sait pas par conséquent où elle aboutit. C'est la révolution qui donne un sens et un avenir aux révoltes, qui sont des actes sans lendemain. Celle-ci demande une tactique, un processus de prise du pouvoir et d'exercice du pouvoir provisoire qui vient d'être conquis. La révolution est une entreprise objective, elle affiche ses buts et son idéal. Elle se donne généralement pour but de changer radicalement l'ordre politique, voir social, économique et culturel. La révolution, à en générale « les mains libres » pour changer radicalement la société et d'être en mesure de faire table rase des structures anciennes. On ne peut donc parler à priori de révolutions, au sens plein du terme, pour le cas des différents pays Arabes qui se sont révoltés, avant qu'ils n'aient réellement procéder à un changement radicale de l'ancien système qui régissait la société dans sa globalité, même si parmi eux, la Tunisie et l'Egypte ont réussi à renverser le pouvoir en place et d'avoir changer radicalement le système politique en vigueur, par la substitution du pluralisme politique au lieu du régime totalitaire qui régnait auparavant sur le pays de façon exclusive. Car, le pluralisme politique aura besoin en substance d'un pluralisme culturel comme socle et fondement sur lequel s'exercer, sinon il sera confronté à une contradiction structurelle qui ne pourra que le condamner prématurément à un échec.

La révolte des idées

La révolte populaire est un des éléments fondamentaux de la révolution, l'autre élément est la révolte des idées, celle des intellectuels et des journalistes dont le véhicule privilégié c'est la presse et les médias en général ainsi que la littérature, voir le débat direct, dont l'objectif principal est d'éclairer le public et de réveiller les consciences.

 Etre journaliste ou chroniqueur dans une situation historique critique comme celle que traverse aujourd'hui le monde Arabe, c'est saisir toutes les occasions pour affirmer une volonté de protestation, de contestation et de révolte. Le journaliste, l'artiste et l'intellectuel se révoltent à titre individuel contre le conformisme de la société jugée décadente.           S'indignent devant l'injustice, l'ignorance, la misère, la brutalité et s'indignent contre l'autorité de l'état particulièrement lorsque celui-ci est illégitime, ou qu'il a failli a son devoir. Il y a un besoin de nier la réalité de la « légalité », au sens de Carl Schmitt - c'est-à-dire, qu'une légalité est considérée comme telle, indifféremment, qu'elle soit fondée ou non sur une légitimité - pour ensuite la dépasser. Il y a le besoin d'exercer la libre pensée contre l'intolérance, l'esprit scientifique et critique contre l'esprit dogmatique religieux.  L'engagement de militants intellectuels par leur révolte est l'ensemencement d'un germe pour l'avenir, on aura eu Kateb Yacine et Tahar Djaout dans ce sillage, comme des lanternes qui jalonnent les chemins obscurs. L'Europe de la Renaissance a eu Erasme dans son « éloge de la folie » pour s'élever contre le dogmatisme des Pères de l'Eglise, et ouvrir la voie qui a mené vers les Lumières.

Le débat autour de la question de l'identité culturelle

En Algérie, le changement s'annonce par le haut sur l'initiative du pouvoir en proposant de réformer le système politique en vigueur, par un replâtrage ponctuel de celui-ci tout en maintenant le même personnel politique en place. Contrairement aux autre pays arabes où c'est la base qui est en train d'initier le changement en obligeant leurs dirigeants de céder leur place à un conseil de transition pour définir les nouvelles règles du système politique et de la gouvernance. Dans ces conditions, force est de constater, que cette initiative à réformer le système politique, par la désignation d'une manière unilatérale, d'une commission nationale chargée de conduire les concertations avec les partis politiques, la société civile, et les personnalités nationales qui ont bien voulu accepter de participer à cette démarche, en vue d'alimenter la plateforme du projet de reformes politiques, écarte d'emblée la possibilité à une expression pluraliste de légiférer. Par conséquent, réconfortée dans son unilatéralisme, cette commission a posé comme condition inaliénable à toute proposition ou suggestion quelconque destinés à la concertation pour ces réformes « le respect des constantes nationales et des composantes de notre identité, le respect des principes et des valeurs fondamentales et nationales ».

Cette situation est identique en Egypte, ou il y a un consensus autour de l'importance de la Charia et l'article 2 de la constitution du pays, celui-ci stipule que les lois du pays seront inspirées de la Charia, et que cet impératif est intouchable. Cette situation est analogue pratiquement à toutes les constitutions des pays arabes. En se retranchant derrière le conservatisme des « constantes nationales et des composantes de notre identité, des principes et des valeurs fondamentales nationales », le pouvoir révèle son intention de fuite en avant dans l'illusion de pureté des origines, qui serait selon Edward Saïd ce « système fermé qui se contient et se renforce lui-même, et dans lequel les objets sont ce qu'ils sont, parce qu'ils sont ce qu'ils sont une fois pour toutes, pour des raisons ontologiques qu'aucune donnée empirique ne peut ni déroger ni modifier », et qui, tout en ayant servi avec efficacité d'argument aux nationalismes surgis après la décolonisation, à la critique, à la résistance et à l'opposition à la domination impérialiste, continu à servir jusqu'à ce jour un autre argument aussi efficace pour justifier le patriarcat par son expression politique autoritaire des plus violente et des formes d'oppression des femmes des plus humiliantes. Il faut admettre que le débat autour de l'identité culturelle ne peut être examiné sans le situer dans le contexte actuel de notre monde postcolonial et globalisé à l'horizon de la mondialisation, caractérisé par cette crise multiculturelle profonde et durable. Dans le cas contraire, nous serons condamnés à nous enfermer dans une société d'autorité masculine exclusive, fondée sur des rapports de pouvoir autoritaires et violents et dont la pérennité sera assurée par un système éducatif ultraconservateur et régressif comme c'est d'ailleurs le cas aujourd'hui.

L'acculturation, le transculturel et le Postcolonial

La culture est à tout instant le produit d'un processus d'acculturation. Parce que les cultures évoluent constamment, procédant par emprunts ou rejets, mais aussi par réinterprétations et inventions. Acculturé, ne veut pas dire sans culture, le « a » dans ce cas n'est pas un signe privatif. L'acculturation englobe sans discriminer le jeu des diverses influences qui se manifestent au sein d'une culture. Lévi-Strauss, dans Race et histoire, considère qu'une culture qui n'emprunte pas est une culture qui se fige et qui est appelée à disparaître. Parce que loin d'être un phénomène d'appauvrissement, les mécanismes d'emprunts participent à l'enrichissement de la culture, c'est incontestablement une condition essentielle au dynamisme des cultures. La force d'une culture est donc dans sa capacité de collaboration et d'emprunt. Lévi-Strauss emploie d'ailleurs les termes de « coalition, jeu en commun » et il affirme que « le progrès culturel est fonction des coalitions entre cultures ». Roger Bastide, dans Le Prochain et le lointain, distingue deux formes d'acculturation, l'une formelle et l'autre matérielle. L'acculturation formelle, c'est la transformation des formes, des manières de penser et de sentir, elle est inconsciente. L'acculturation matérielle concerne les contenus de la conscience, l'adoption ou la réinterprétation de traits culturels. La différence entre l'acculturation formelle et l'acculturation matérielle, consiste dans le fait que, pour la première on n'adopte pas consciemment les traits culturels d'emprunt, on le fait inconsciemment, sans pouvoir l'expliquer, dans l'acculturation matérielle, on choisi consciemment d'adopter tel aspect spécifique ou tel autre, en fonction des avantages et des inconvénients des manières de faire de la culture d'emprunt.

Dans notre civilisation mondialisée et très urbanisée, les technologies de communication permettent la circulation rapide et multiple des diverses cultures. Dans les grandes villes, les phénomènes de brassage culturel sont amplifiés, les rencontres facilitées, et la diffusion satellitaire des médias mettent en présence permanente des traits culturels avec d'autres qui leur sont étrangers. Une culture tout à fait originale est entrain de se développer dans les banlieues des grandes villes cosmopolites mondiales, qui est souvent ghettoïsée autour des H.L.M. La particularité de la culture de banlieue, c'est la favorisation du brassage, du mélange et du métissage.

 Le dialogue interculturel ne se déroule pas entre des cultures conçues du point de vue essentialiste comme s'il s'agissait de blocs monolithiques et opposés, et comme si elles étaient des entités naturelles incommensurables et par conséquent imperméables à tout échange, et comme s'il n'y avait pas eu au cours des siècles et dans l'histoire des contaminations, des emprunts et des échanges réciproques, qui serai selon la terminologie de J. F. Lyotard un différend entre les cultures comme s'il s'agissait de genres de discours dépourvus de tout critère d'évaluation commun condamnant les cultures à ne jamais pouvoir se comprendre. La conception multiculturaliste de la reconnaissance des différences conduirait à coup sur à une sorte de « balkanisation » des cultures. C'est en cela qu'une réflexion critique sur l'identité des communautés culturelles au sein de l'espace public seule peut favoriser un entrelacement transculturel. Si la multiculturalité se réfère tout simplement à la coexistence de plusieurs cultures au sein d'un même espace géopolitique, et que l'interculturalité désigne la dynamique qui en activant l'échange et les relations réciproques entre les groupes de la mosaïque multiculturelle brise l'ethnocentrisme et ses préjugés, le concept de transculturalité comme le montre H. J. Sandkuhler ne repose pas contrairement à celui d'interculturalité sur l'affirmation selon laquelle les cultures seraient des unités homogènes et circonscrites dans des frontières stables, elles ne sont plus en effet établies par les nations, les religions, les ethnies ou les traditions, mais trouvent leur origine et se transforment dans la dynamique et la complexité de réseaux humains flexibles et simultanés incarnés par les réfugiés, les migrants, les exilés, les expatriés dans des espaces devenus désormais postcoloniaux.

 On observe depuis la fin de la période de colonisation une reconfiguration du champ des relations entre anciens colonisateurs et anciens colonisés, en inscrivant les anciens empires coloniaux dans un monde désormais postcolonial, traversé par des mouvements transnationaux de populations immigrées, qui voient apparaitre la présence structurelle de l'autre anciennement colonisé dans leur espace, engendrant une situation multiculturelle sans précédant dans l'histoire. En fait, depuis le milieu des années 80 avec l'émergence d'un mouvement «beur» porteur de revendications citoyennes au sein de la société française, il s'est produit un basculement d'une immigration de travail à une immigration de peuplement. Nombre de ces immigrés ont opté pour la double nationalité et leurs enfants, par le jeu du droit du sol, étaient eux-mêmes français de naissance. Les modèles d'intégration républicaine dans les principes de la tradition politique française mis en place pour contenir cette intrusion de l'autre dans leur espace ont tous été voués à l'échec. Cette situation a engendré un débat qui est devenu un enjeu principal dans toutes les campagnes électorales, allant jusqu'à l'absurde, en créant un ministère de l'Identité Nationale.

 Durant les trente dernières années du XXème siècle les courants de pensée, tels, les subaltern studies, les postcolonial studies et les cultural studies ont permis de penser la chute des frontières culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les interactions entre les cultures ne cessent de s'intensifier. Etienne Balibar affirme que la crise du multiculturalisme est le symptôme que toutes les catégories analytiques centrées sur l'Etat-nation moderne que Carl Schmitt a appelé le « nomos de la terre » et le paradigme du constitutionnalisme moderne sont toutes « sous rature » au sens de Jacques Derrida. « Sous rature » est un dispositif stratégique philosophique à l'origine développé par le philosophe Martin Heidegger. Il implique la rature d'un mot dans un texte, tout en lui permettant de rester en place et lisible. Usually translated as ?under erasure', it involves the crossing out of a word within a text, but allowing it to remain legible and in place.Used extensively by, it signifies that a word is «inadequate yet necessary»; that a particular is not wholly suitable for the concept it represents, but must be used as the constraints of our language offer nothing better.Il sera utilisé intensivement par Jacques Derrida, comme pour signifier qu'un mot est insuffisant mais nécessaire, qu'un signifiant particulier n'est pas tout à fait adapté pour le concept qu'il représente, mais doit être utilisé, que les contraintes de la langue n'ont rien à offrir de mieux. On parle aujourd'hui, d'Etat postcolonial, transculturel, postmoderne et même post démocratique. Jacques Derrida a fait valoir, que ce n'était pas seulement les signes particuliers qui ont été placés « sous rature », mais l'ensemble du système de signification.

 Michel Wieviorka, affirme que nous ne pouvons plus nous satisfaire d'un débat tranché une fois pour toutes en faveur d'une conception républicaine aux vertus intemporelles. Les catégories de la modernité, la nation, l'état, le droit, etc., n'auraient plus aucune raison d'être mais plutôt qu'elles doivent être continuellement réélaborées, mis à l'épreuve, dans des situations absolument inédites et par conséquent renouvelées en profondeur. Stuart Hall, plaide pour le « retour du subjectif en politique », affirmant que le multiculturalisme n'est que le symptôme d'une crise et d'une transformation en actes de toutes les catégories philosophiques et politiques de l'époque moderne liées au concept d'Etat nation. Le multiculturalisme va de pair avec la clôture apologétique et ethnocentrique de cette raison occidentale. Il faut donc admettre qu'il n'existe pas seulement un cosmopolitisme attaché suivant l'inspiration rationaliste kantienne à l'idéal moderne du citoyen du monde mais également un cosmopolitisme « transculturel » en mesure d'articuler des cultures et des identités différentes. Notre société planétaire qui ne cesse de perpétuer et d'alimenter les appartenances tribales et les frontières géographiques et mentales protégées par tant de murs et d'appareils militaires, et en associant le multiculturalisme à la question de la reconnaissance, qui fait de lui un multiculturalisme de marché, transposant la diversité culturelle sur l'échelle des biens utiles au capitalisme mondial et global, nous incite tout particulièrement à redoubler de vigilance devant les risques et dérives auxquels peut nous mener cette situation.

Parce qu'on est en droit de rêver, qu'on est tout naturellement au seuil d'une mutation civilisationnelle heureuse, en interprétant positivement cette tendance au métissage sur le registre d'une utopie transculturelle harmonieuse.

 Vers une civilisation qui intégrerait toutes les dispositions particulières, permettant de penser la chute des frontières culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les interactions entre les cultures ne cessent de s'intensifier.

Représentations politiques et culturelles

Le déni de la citoyenneté à l'individu en le confinant au statut de sujet, par les privations de libertés politiques, dans le cadre de système totalitaire et d'état de non droit, a confiné les peuples arabes au stade du pré-politique.

 Cette situation, à défaut d'expérience et de précédent historique a favorisé une translation de son imaginaire politique, qui au lieu d'une objectivation de la notion d'Etat avec des contours institutionnels largement intériorisés, il lui a substitué la notion d'Umma islamique en tant qu'Etat transnational qui viendra pallier à ce manque, mettant ainsi le sujet Arabe dans une prédisposition privilégiée à intérioriser plutôt la notion de cet Etat transnational que l'Etat national. C'est cette situation qui expliquerait l'adhésion massive des peuples Arabes au projet de l'islamisme politique.

 A défaut de stratégies pédagogiques ayant pour objectif, une démythologisation et une désidéologisation de la culture et de la transmission des savoirs, comme n'à cessé de l'appeler de ses vœux Mohamed Arkoun, cette prédisposition à l'imaginaire politique transnational, matérialisé dans son inscription dans l'Umma islamique, continuera à nous maintenir éloignés de toute perspective d'Etat « postcolonial » et de son corollaire « le transculturel ».

L'extension de la révolte et les autres

Le « Printemps Arabe » a réveillé les consciences dans le monde. En Espagne, en France, au Portugal, en Grèce, et aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie, au Chili, pour ne citer que ceux-là, un vaste mouvement populaire informel et assez spontané de contestation de fond de la société, caractérisé par une perte de confiance étatique, est en train d'exprimer son malaise dans les espaces publics depuis un peu plus de six semaines déjà. Ce mouvement né en Espagne s'est propagé en Europe via ce pays, qui a servi de pont entre l'Afrique du nord et le vieux continent. Le malaise qu'il semble exprimer c'est la remise en cause de la pertinence politique des États-nations, qui paraissent dépassés politiquement, par leur impuissance à faire face à la crise qui frappe de plein fouet leurs Etats. Ce qui est remis en question c'est la place même de l'être humain dans la société. C'est une réaction à la crise éthique, à la marginalisation des valeurs humaines au profit des valeurs économiques.

 Mais aussi, parmi les revendications exprimées par ces contestataires, la place des immigrés dans la société, leur droit à l'exercice de la citoyenneté à travers le droit de vote : « Ils partagent nos douleurs, ils partagent nos devoirs, mais ils n'ont pas nos droits », scandait ainsi un manifestant à l'aide d'un mégaphone en Espagne. Ce mouvement de contestation mondial par la base populaire, disjoint de toute organisation politique et syndicale, affiche clairement son rejet de la xénophobie et particulièrement de l'islamophobie.

 Il s'insurge contre le système dans son ensemble, contre la forme politique même qui le constitue, à savoir l'Etat Nation moderne. Il s'insurge également contre le capital financier et son ingérence dans la vie politique et institutionnelle, c'est toute la civilisation avec ses institutions nationales et internationales qui est remise en question en définitive. Réactions, contre révolution ou aveuglements. L'imaginaire colonial n'a pas achevé à ce jour sa décolonisation. L'espace colonial, demeure cet espace de la nostalgie, espace perdu et représenté schématiquement dans l'imaginaire comme vide. Dans L'orientalisme, Edward Saïd fait un inventaire des représentations, des images, des préjugés que l'occident a projeté sur l'orient, afin de justifier le besoin de le gouverner et le « civiliser ». Ce sont toujours ces attitudes qui dictent aujourd'hui leurs analyses à l'intelligentsia très médiatique et autorisée à s'exprimer au nom de cet occident néo colonial et nostalgique. La France médiatique et politique, toutes sensibilités confondues, ne parvient pas à admettre la mutation en cours de leur société, vers une culture postcoloniale, aussi bien au plan démographique que culturel allant jusqu'à pousser le paradoxe à l'insensé, dans la création du ministère de l'identité nationale dans une tentative désespéré d'épuration nationale pour ne pas dire « ethnique ».

Edgard MORIN en tant qu'intellectuel radical de gauche, et élite universitaire très écouté, en est la parfaite illustration. Commentant le «Printemps Arabe »: «Cette gigantesque vague démocratique doit tout aux idées démocratiques nées en Occident. Déjà, en s'emparant des idées de droit des peuples nés dans l'Europe qui les opprimait, les Arabes colonisés opéraient leur décolonisation politique. En s'emparant des idées de liberté, les Arabes opèrent leur décolonisation mentale.

Reste la décolonisation économique... qui reste à faire ». Dans une exclamation: «Les Arabes sont comme nous et nous sommes comme les Arabes », précisant un peu plus loin « compte tenu évidemment de toutes différences historiques et culturelles ». Notons l'aveuglement devant l'identification du sens de la marche de l'histoire. Il y a lieu également de constater une dénégation à toute forme d'autonomie d'initiative à l'affirmation de soi, à l'autre anciennement colonisé et encore moins de considérer son action comme une exemplarité, contrairement à la vision qu'en à la base populaire du « Printemps Arabe », pour qui ce mouvement pourrait déboucher sur une révolution mondiale et l'avènement d'une nouvelle civilisation universelle. C'est tout son commentaire qui fonctionne comme un acte manqué, comment expliquer sinon l'ambigüité de la phrase « en s'emparant des idées de liberté, les Arabes opèrent leur décolonisation mentale » ? Quelle est en fait la nature de cette colonisation mentale, est-ce la modernité, l'islamisme, l'arabité ? Va savoir ! Sur un autre registre, la survivance des réseaux des pouvoirs totalitaires déchus, ne manquerons pas à se reconstituer et à viser à faire échouer la révolution. A cela, il faudra additionner les obstacles que peuvent engendrer les jeux géostratégiques, régionaux et mondiaux.

Le débat autour de l'identité culturelle doit ce faire d'une manière ou d'une autre, avec cette commission initiée par le pouvoir ou en d'autre circonstance, il y vat de l'intérêt de l'émancipation et du développement de notre société. Ne pas aller a contre courant de l'histoire, cette évolution transculturelle est irréversible, autant s'y prendre a l'avance ! L'universalisme démocratique ne s'approfondira qu'à condition de faire place à la dialectique des cultures, à leur confrontation et à leur critique au sein de l'espace public. Personne ne peut prédire quel sera le développement de ce mouvement planétaire, initié par le monde Arabe.

On est peut être en présence de la prédication d'Ibn Khaldun affirmant que la marche de l'histoire se déroule selon un cycle civilisationnel, et que le tour serait donc venu pour que les Arabes puissent jouer les premiers rôles dans ce nouveau tournant de la marche de l'histoire qui se dessine sous nos sens.

Il reste aux Arabes une tache essentielle à accomplir pour prétendre jouer un quelconque rôle dans cette marche : démythologiser et désidéologiser leur imaginaire politique, social, culturel voir économique.