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La dernière saga de Kamel Bouchama Après «Chérif Messaadia, «Kaid Ahmed, homme d'Etat»

par Farouk Zahi

«Alors l'Histoire, pour ce qui nous concerne, doit réhabiliter ces anciens dirigeants, que leurs «pairs» ont «chosifiés» en des conciliabules interlopes, pour les vouer aux gémonies, en les jetant en pâture à une opinion publique non avertie, dupée et qui s'est «volontiers» laissé manipuler.

Cela s'est produit de leur vivant. Aujourd'hui encore, de nombreuses figures historiques demeurent victimes de cette vindicte, même dans leur sommeil éternel. Quant à ceux, toujours de ce monde, ils vivent dans l'amertume, les soubresauts de ces instants constamment agités.» . C'est ainsi que Kamel Bouchama commence à fourbir ses armes contre la culture de l'oubli dans son nouvel ouvrage sur «Kaid Ahmed l'homme d'Etat». Après «Chérif Messaadia, l'homme que j'ai connu» il récidive avec le mal aimé ou plutôt le mal connu des années soixante et début des années soixante dix, de l'ère du Conseil de la révolution à laquelle d'aucuns rattachent tous les malheurs passés et présents qu'a eu à vivre ou que vit le pays.

L'auteur connu pour son franc parler, refuse par cette prise de position, de hurler avec les loups. A contre sens de la vox populi qui voue au crucifix des hommes illustres, mais rendu suspects par la seule force de la manipulation des masses, il assume sans concession, un témoignage post mortem qui ne peut souffrir d'aucune complaisance clientéliste. Le peuple, cette canaille, comme disait Mirabeau, est capable aussi bien de la sublimation que du bucher. Sa conviction constitue souvent la gangue du joyau, il suffira aux hommes sincères de décortiquer l'objet du litige.

L'auteur dont la verve n'a d'égale que son courage intellectuel, pousse la comparaison non pas avec des hommes politiques, juste retour des choses, mais avec des hommes de sciences dont l'aura avérée a traversé le temps. Le lecteur a ainsi droit, à un bref aperçu sur la vie et l'œuvre d' Abou Bakr Mohammad Ibn Zakariya Er-Razi, connu aussi comme Al Rhazes et Rasis, (865-925) qui fut un scientifique pluridisciplinaire iranien qui a énormément contribué dans les domaines de la médecine, l'alchimie et la philosophie. Il fut contraint à l'errance par des pairs jaloux de son ascendance sur les connaissances de l'époque. Un millier d'années plus tard, le «doyen de la littérature arabe» Taha Hussein sombrait dans la même fange intellectualiste de ses détracteurs. Ils n'en sortiront que grandis, l'Histoire les a réhabilités.

Kaid Ahmed n'était pas seulement un homme d'Etat, mais un homme de culture contrairement aux idées reçues. A retenir ces «mots» dont on a affublé ses propos : «Nous réaliserons le plan quadriennal dussions nous y mettre?10 ans !». En poussant la naïveté jusqu'à y croire, cette sentence a été pourtant prophétique, n'est ce pas vrai Messieurs les faiseurs de gorges chaudes ?S'aidant d'écrits sur le personnage, Kamel Bouchama déclare sans ambages : «Oui, je vais au charbon, parce que «tout a été fait pour détruire l'image de cet homme d'envergure, militant de la première heure, pour broyer sa stature gênante et la jeter aux oubliettes de l'Histoire. Jusqu'à présent ? Oui, malheureusement. Ingratitude ou mépris ? L'on continuera longtemps, sans doute, à s'interroger sur l'incapacité chronique des dirigeants algériens de dépasser cette façon disgracieuse de vouloir contourner la vérité historique.» (1) Zoubir Ferroukhi dans : La véritable envergure du Commandant Slimane. Le Quotidien«L'Expression» du 18 mars 2001.

Le prologue, aussi percutant que visiblement sincère, introduit et rend attachante cette personnalité politique disparue, et encore méconnue d'un public averti. Chapitré en 11 parties flanquées d'annexes documentaires et photographiques, «Kaid Ahmed, homme d'état» est un livre qui se lit d'un trait. Quand on sait de la difficulté de disposer de sources documentaires fiables, on mesure l'effort de l'auteur dans sa quête de rigueur historique à l'effet d'éviter de verser dans le lyrisme romancé. Cet écueil est rendu d'autant plus probable que le narrateur a, longuement côtoyé le personnage. Cette œuvre qui s'ajoute à tout ce qui a pu être écrit ou dit, expose à la lumière du jour la partie immergée de ces mythes populaires. Il est des hommes, fustigés de leur vivant parce que desservis par une rectitude à contresens de laudateurs de tout poil, sombrent momentanément dans l'oubli. Il suffit parfois, d'une attitude ou d'une posture pour rappeler aux mémoires défaillantes, qu'une petite lueur peut vaincre la pénombre des abysses de l'oubli. L'auteur vient d'illuminer par ce deuxième cierge, ce labyrinthe qui rappelle les sinistres catacombes antiques. Ne faut-il pas se questionner sur ce vil trait de caractère national qui, contrairement, aux us universellement admis dénude indécemment les mémoires de ceux là mêmes qui, à un moment ou un autre de leur vie, ont mis leur propre existence en péril et par ricochet, le devenir de leur descendance. Et haro sur le baudet, tel semble être le leitmotiv général. Il est même permis aux nouveaux assimilationnistes, de porter des jugements sur des hommes que leurs propres adversaires d'alors tenaient en estime et qui par une étroitesse d'esprit, ils tentent d'en souiller la mémoire.

Si l'on veut connaître plus ce personnage issu d'une «grande tente» dont l'aïeul direct déporté en Corse, était le patriarche d'une lignée de résistants au fait colonial, il faut d'abord s'y pencher en toute neutralité. Tagdempt (Tihert-la-neuve), berceau des Kaid, n'était-il pas ce lieu de confluences de civilisations, aussi illustres les une que les autres ? Jeune normalien, il prononçait son premier discours en 1953 au Congrès de la Jeunesse de l'union démocratique pour le Manifeste Algérien(JUDMA) qui se tenait justement dans ce haut lieu qui fut, momentanément, la capitale de l'Emir Abdelkader. S'il faille encore mesurer l'épaisseur politique de cet enfant du terroir qui s'est fait une place dans le ghotta révolutionnaire mondial, de Mandala à Ho Chi Minh en passant par Cabral, il faut s'appesantir sur le mémorandum qu'il eut à rédiger en décembre 1972 à l'intention de ses pairs et dont le tout monde savait qu'ils n'étaient pas des enfants de chœur. Il ose la contradiction quand l'unanimisme ambiant, faisait partie des militances d'alors. Contrairement à l'idée que certains se faisaient sur l'extraction «féodale» de l'homme politique dont les biens terriens patrimoniaux étaient des plus modestes, et qui s'est opposé à la Révolution agraire, il y a lieu de pondérer le propos. Il marqua sa différence par son désaccord sur l'approche imprimée au processus enclenché dans la précipitation et non pas dans ce qu'elle avait de nobles dans les desseins. En gestionnaire avisé, il dénonçait le gouffre financier que constituait l'Office national de la réforme agraire(ONRA).

Bien arrêtée, sa conviction sur la politique de l'industrie industrialisante, cette «Alesia» nationale, a, tristement et lamentablement, été confirmée par les faits. Les tenants du «clés en main», en ont eu pour leur compte. D'anthologie, ce document de 31 pages est un dur réquisitoire contre le directoire politique de l'époque. Dénué de toute circonlocution, il étale au grand jour les tares d'un régime politique légitimé par l'acte révolutionnaire et dont les dirigeants en perdaient les repères au contact d'une bourgeoisie compradore naissante. On a cru un moment que celle-ci est de récente genèse, loin s'en faut. En visionnaire inspiré, Si Slimane l'homme au cœur de lion, a présagé depuis fort longtemps, de la survenue des déviances.