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le bac light à la cour des miracles

par Amara KHALDI

Celui qui prend la peine de confronter les retentissants 79,41 % de Tizi Ouzou aux pitoyables 38, 09 % de Djelfa, (un gap de 41,32 ; cad 208 % !), ne peut s'empêcher d'être désagréablement surpris par l'amplitude flagrante entre les deux.

Un contraste patent qui lui ferait supposer que les potaches de la première wilaya doivent être de sacrés surdoués comparés à leurs camarades de la deuxième ou que le corps enseignant du massif du Djurdjura dispose de redoutables compétences pédagogiques inexistantes chez celui des Hauts Plateaux et du Sud en général. Sinon il faut croire carrément à la manifestation matérielle d'une recette magique à l'origine d'une telle performance malgré toutes les perturbations de l'année scolaire écoulée qui n'ont, pourtant épargné aucune région.

 Que répondre alors à l'élève de Djelfa, de M'Sila et d'ailleurs ; c'est-à-dire tous ceux que le hasard de la position géographique n'a pas gâtés et leur faire gober pourquoi ils n'ont pas bénéficié eux aussi, des mêmes contingences que leurs camarades des autres régions ?

 Les décideurs ont tout de suite attribué les « bons » résultats aux vertus de la réforme malgré le fait d'avoir certainement constaté avec dépit qu'elle n'a cependant pas couvert équitablement de sa bénédiction toutes les wilayas du pays profond avec autant de bonheur. Même sur l'Ecole Internationale en France (24 % !) pourtant plus avantagée sur le plan matériel, elle n'a eu aucun effet !

POURQUOI ?

Même ceux qui semblaient irrémédiablement blasés par la récurrence de ce type de situation n'ont pu taire leur malaise. Le plus remarquable c'est que juste après l'annonce des premiers résultats, l'opinion générale était déjà scellée: plus les responsables du secteur s'échinaient à chanter les louanges de la réforme en citant Tizi-Ouzou en exemple, plus la rue suspectait la fiabilité des données avancées et plébiscitait, par contre, les chiffres de Djelfa, qui eux expriment pour elle, on ne peut mieux, la suite logique des bouleversements endémiques subis par notre école. En vérité quelle est la personne sensée qui oserait réfuter que, nous ne sommes pas en présence de l'illustration parfaite de la réalité sans fard mais surtout l'image authentique de l'ensemble de notre système avec ses tares et ses faiblesses archi connues.

 Partant de ce constat primaire la sentence est vite expédiée et tout le monde s'est retrouvé unanimement d'accord pour reconnaître que s'il est tout de même inconcevable de croire que les wilayas du bas du tableau se soient sabordées délibérément pour être les?dernières, le peloton de tête a sûrement été outrageusement stimulé pour atteindre ces résultats plus qu'enviables malgré tous les aléas de l'année écoulée que personne n'ignore ?

 Cette malheureuse observation n'invite donc pas à la sérénité lorsque l'on constate que la réforme tant vantée est tout de même inopportunément trop sélective dans sa manière de favoriser certains et d'oublier de prodiguer ses bienfaits à d'autres; si vraiment elle est pour quelque chose dans l'évolution des niveaux de connaissances et la distribution des résultats des évaluations, dans un cadre de référence commun à tous nos enfants. Comment comprendre cet immense écart ? Il ne s'agit pas de quelques points de différence arrachés de haute lutte grâce aux qualités exceptionnelles d'une partie de la population avantagée temporellement par un quelconque concours de circonstances mais d'un gouffre qui sépare les deux extrémités et qu'aucune théorie rationnelle ne peut enjamber allègrement. Un phénomène qui mérite d'être sérieusement pris en charge et étudié, tellement la réponse paraît hors de portée de toute explication par l'argumentaire classique lié au système scolaire lui-même. Une action vigoureuse pour corriger rapidement ces grossières dissimilitudes devient impérieuse pour remettre un peu de cohérence et de probité.

Avec les mêmes programmes, les mêmes conditions de scolarité et les mêmes épreuves d'examen, il est vraiment inconvenant de vouloir faire admettre une pareille caricature, encore moins de la faire passer sous silence comme si de rien n'était. Il est hors de question d'avaler ce genre de couleuvre ! Le plus candide des Algériens jurerait qu'il y a sûrement d'autres facteurs déterminants qui ont grandement influé sur l'une des parties au détriment de l'autre, sinon par quoi peut-on traduire cette indécente disparité ? Quel est celui qui a été vraiment rassuré par l'ambiance ambiante dans les centres d'examens et de correction ?

 Certains n'ont rien trouvé de mieux que d'invoquer des problèmes liés aux sociologies spécifiques des régions, d'autres ont imputé l'échec au manque de vigilance des parents d'élèves. En lisant ces inénarrables diagnostics on devine tout de suite l'habituelle fuite en avant au lieu d'aller au fond du problème. Dans cet ordre d'idées on finira par préconiser le changement de région ou à défaut la transhumance vers d'autres cieux où les muses sont plus clémentes, surtout pendant les périodes d'examen. A moins d'opter pour le retrait des enfants à ces parents coupablement indifférents au bonheur de leurs rejetons. Ou les deux à la fois. Toujours est-il qu'un cas pareil interpelle les consciences car il y va de la crédibilité de notre système d'évaluation, voire de l'image du pays en entier.

 Des milliards et des journées gaspillés pour organiser des opérations devenues purement formelles avec le temps, alors que tout un chacun est convaincu que cela ne sert plus à grand-chose, sinon à entériner des faits accomplis. Les jeux réels se déroulent ailleurs, hors de porté des naïfs invétérés qui s'accrochent encore à la légalité !

 Au lieu de stigmatiser ceux qui n'ont pas tenté de « briller » par n'importe quelle combine, ayons au moins l'honnêteté de leur reconnaître la volonté de résister au glissement, à leur tour, dans les marécages de la forfaiture à ciel ouvert, dût-elle se parer des oripeaux de la promotion. Parce que ce sont eux qui demeurent dans le vrai !

Depuis bien longtemps déjà la société s'est habituée au bachelier qui peine à construire une phrase dans les deux langues d'enseignement ou de l'universitaire qui cale lamentablement devant un problème d'arithmétique élémentaire, mais c'était des cas isolés, prétendait-on pour avaler la pilule et se consoler temporairement !

 Ne pas s'inquiéter de l'absurdité de ces chiffres et l'admettre comme s'il s'agit d'une situation des plus normales avant de les archiver dans un classeur poussiéreux, relève de l'irresponsabilité pure et simple. Avec une année scolaire qui s'est abîmée, dès le démarrage, dans la confusion la plus totale à cause des mouvements sociaux à répétitions chroniques avant de s'achever avec l'esprit accaparé à 100 % par le Mondial, des programmes sabrés et fourgués tout écrus par des enseignants déconcentrés à des auditoires complètement dissipés, tout concourait à l'aboutissement conséquent à des résultats plutôt modestes. On s'était même résigné à «amputer» cette année gangrénée des tablettes du cursus scolaire ! Mais c'était compter sans l'intervention salutaire des miracles. Situation chaotique ou pas, certains n'ont éprouvé aucun embarras pour booster les scores vers les hautes cimes. Ils viennent de nous administrer l'aberration qu'à l'avenir n'importe quel volume horaire et n'importe quelle condition de travail suffiraient amplement à dispenser efficacement les programmes de nos examens ! Qu'on se le tienne pour dit !

 Le taux de réussite serait-il devenu inversement proportionnel au volume des connaissances enseignées ? Autrement dit, plus on est accro de l'école buissonnière plus on a des chances de réussir ses examens! Quand on passe en revue les différentes péripéties avec les multiples crises qui ont failli contraindre les décideurs du secteur à déclarer officiellement l'année blanche et recevoir par la suite en pleine gueule ce genre de scores, on finit par croire sérieusement à la précieuse contribution du surnaturel.  

Il suffisait simplement de s'inscrire du moment que «l'important c'est de participer» comme disait P. de Coubertin, puisque de toute façon, les résultats et la manière de les juger c'est le «politique» qui les décide .

 Les véritables pédagogues ne peuvent rester insensibles au courage et surtout à l'intégrité morale des wilayas qui sont restées, malgré le chant des sirènes, en adéquation avec des résultats objectifs acquis par l'effort intrinsèque des candidats.

 Les équipes pédagogiques des établissements défavorisés ne valent pas moins que les autres sur le plan professionnel. Ils ont même à cœur de hisser haut leur noble mission d'EDUCATEUR surtout en alertant par la justesse de leur attitude, l'attention de la société sur l?insidieuse tendance à s'illusionner encore plus longtemps avec des victoires surfaites.

 Quels que soient les résultats obtenus et qu'ils assument honnêtement, ils auront toujours, en revanche, la conscience en paix d'avoir assuré avec dignité et rigueur leur responsabilité. Victimes eux-mêmes du marasme général, ils n'ont aucun complexe à exposer la réalité dans toute sa nudité. Leur manque de complaisance rend d'immenses services à la Nation. L'information qu'ils délivrent est le meilleur soubassement et une précieuse banque de données pour des réformes autrement plus sérieuses. Est-il nécessaire de souligner que leur classement en queue du tableau n'est pas lié au manque d'intelligence de nos élèves, encore moins aux aptitudes éprouvées de nos enseignants, mais plutôt dans leur crédo de ne jamais emprunter des raccourcis inavouables pour glaner de faux lauriers à contre courant. Heureusement que cette espèce existe encore et c'est sur elle qu'il faut compter pour la santé morale de notre pays et non sur le genre de ceux qui, sans le moindre scrupule, poussent le ridicule jusqu'à accorder des 20 sur 20 en?philo ! Toutefois, on se rappellera longtemps de l'année scolaire 2009-2010 comme celle de la prodigalité et des étrennes. Les trois quarts de nos potaches ont fêté leur réussite aux examens tout en ayant passé le plus clair de leur temps en vacances forcées, la plupart des enseignants se sont vus gratifiés par des augmentations de salaire et des rappels conséquents sans trop se «fouler la rate».Verra-t-on un jour la contrepartie ?

Il fallait bien contenter tout le monde pour une hypothétique paix sociale ! Mais quel en est le prix ?