Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La science avant le juridique

par Abdelkrim Zerzouri

Peut-on sortir la médecine traditionnelle de sa semi-clandestinité ? Faisant partie d'une vie sociale tout ce qu'il y a de plus normal, intimement liée au spirituel de par certaines prescriptions, et son action clandestine, où il est très difficile de démêler le vrai du faux, la médecine traditionnelle cherche à se frayer un chemin dans le cadre légal. Souvent, c'est là où bloque la médecine moderne devant certaines maladies incurables ou rares qu'intervient la médecine traditionnelle, apportant réconfort moral aux patients et arriver jusqu'à les guérir de leur maladie. Ces considérations n'ont pas dissuadé les autorités sanitaires et publiques, sur un plan international, de chercher à intégrer cette médecine dans le cadre de l'exercice légal et exploiter scientifiquement ses bienfaits.

Le lancement par le Conseil national économique, social et environnemental (CNESE) d'une réflexion devant aboutir à des orientations destinées à la mise en place d'un cadre juridique réglementant les médecines complémentaires ou traditionnelles, s'inscrit dans ce cadre qui vise clairement une étude de voies pour légaliser cette médecine qu'on pratique en Algérie d'une manière très répandue et informelle. Une mission des plus difficiles, car sur le terrain, l'Algérie ne dispose pas d'études et de statistiques inhérentes aux médecines complémentaires ou traditionnelles, comme l'a relevé la vice-présidente du CNESE, Pr Hasna Amina Messaid, en marge d'une journée d'étude sur «les médecines complémentaires», organisée mardi dernier. Mais on estime qu'environ 80% de la population mondiale a recours à la médecine traditionnelle, selon des données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Soutenant dans ce sillage qu'à ce jour, 170 des 194 Etats membres de l'OMS déclarent utiliser la médecine traditionnelle et leurs gouvernements ont demandé l'aide de l'OMS afin de constituer un corpus de preuves et de données fiables sur les pratiques et les produits de la médecine traditionnelle. Pour dire que la réflexion lancée par le CNESE n'est pas du tout improvisée.

Mais, il faut commencer par ne plus regarder ces personnes qui exercent dans le domaine de la médecine traditionnelle comme des apprentis sorciers. En mars 2022, le gouvernement indien a investi 250 millions pour la création d'un centre mondial de médecine traditionnelle, à travers un accord signé avec l'OMS, afin d'exploiter le potentiel de la médecine traditionnelle du monde entier grâce à la science et à la technologie modernes pour améliorer la santé des personnes et de la planète, selon un communiqué de l'OMS. En Algérie, comme on le constate suivant les interventions lors de la journée d'étude sur «les médecines complémentaires», on insiste sur «l'importance de doter ce type de soins d'une législation à même d'en encadrer l'exercice», alors que la tendance mondiale va dans le sens de l'exploitation du potentiel de la médecine traditionnelle grâce à la science et à la technologie. Est-ce qu'il ne serait pas plus raisonnable de tirer profit scientifiquement des bienfaits de la médecine traditionnelle, comme on l'a fait avec l'acupuncture, qui est dispensée par l'hôpital de Ben Aknoun à Alger, et l'hydrothérapie, proposée par les centres de thalassothérapie publics et privés, avant de pondre des actes législatifs pour encadrer son exercice ? Dans ce contexte, la loi risque de pousser la médecine traditionnelle à s'adapter à sa clandestinité par crainte des mesures coercitives qui en découlent.