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Alfred Berenguer, l'Algérie au cœur

par Amine Bouali

L'abbé Berenguer naquît le 30 juin 1915 dans le petit village d'El-Amria (ex-Lourmel) de parents espagnols venus s'installer en terre oranaise, au début du 20e siècle. Jeune prêtre, âgé à peine d'une vingtaine d'années, il prit la défense des «opprimés» et dénonça l'ordre colonial, notamment à travers des articles de la revue «Simoun». Le 1er novembre 1954, alors qu'il officiait depuis trois ans en tant que curé du village de Remchi (dans la région de Tlemcen), il n'hésita pas à choisir son camp et s'engagea aux côtés des indépendantistes algériens, en aidant les familles des moudjahidine qui avaient rejoint le maquis. Dénoncé, il sera expulsé hors d'Algérie en 1958, puis représenta le Croissant rouge algérien en Amérique latine de 1958 à 1962.

Mgr Henri Teissier, l'ancien et regretté archevêque d'Alger, aimait rappeler que c'est grâce à l'action de l'abbé Berenguer que l'Algérie combattante a gagné à sa cause le soutien de l'Amérique latine. «André Malraux, émissaire français en Amérique du Sud, ne connaissait pas l'Algérie ni la langue espagnole. Aussi, il était facile à l'abbé Berenguer de déconstruire les arguments de Malraux. Il passait après lui, dans chaque pays sud-américain, et expliquait en espagnol ce qu'était le fond du problème algérien et le pourquoi de la guerre», a témoigné un jour Mgr Teissier. (André Malraux, célèbre auteur de «La Condition humaine», était à cette époque ministre du général de Gaulle.)

Alfred Berenguer a été élu député de sa ville d'adoption, Tlemcen, dans la première Assemblée constituante de l'Algérie indépendante. Mais après le 19 juin 1965, il déclina tous les postes politiques et se consacra à l'enseignement dans un lycée de Tlemcen, jusqu'à sa retraite qu'il choisit de vivre dans le silence et la méditation au monastère Saint Benoît, sur les hauteurs de la cité des Zianides. Jusqu'à son décès qui survint le 14 novembre 1996, l'abbé Berenguer restera fidèle à sa terre algérienne et refusera tous les compromis qui pouvaient heurter sa conscience. Il se tiendra aux côtés de l'Algérie et de son peuple, mais ne voudra jamais se lier à un régime. «Je ne voulais pas qu'on puisse dire que j'avais agi pour la gloire ou pour l'argent. J'ai refusé la carte d'ancien moudjahid et la pension d'ancien député, car je n'eus pas à faire mes preuves (pendant la Guerre de Libération) pour pouvoir contacter les indépendantistes qui me considéraient comme un des leurs», écrivait-il dans ses mémoires, publiées en 2004 à Paris et intitulées «En toute liberté».

Jusqu'à la fin des années 1980, ses voisins de quartier à Tlemcen pouvaient apercevoir, tôt le matin, l'abbé Alfred Berenguer dégringoler à pied la pente raide qui mène du monastère Saint Benoît au centre-ville, abrité du soleil et de la pluie sous un éternel béret, un vieux cartable à la main. «Cet homme qui marche, se sont-ils peut-être dit, doit venir de loin, mais Dieu ! qu'il marche droit !»