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Partis politiques : il est loin le temps des universités d'été !

par Cherif Ali

Chaque été, c'est comme un rituel : des partis politiques se réunissent -si possible au soleil et/ou à la mer, histoire de ne pas rater la photo de groupe- pour faire leur rentrée politique.

L'objectif de ces «universités d'été» est, en théorie, triple :

- discuter des grands dossiers de la rentrée et, pour un parti d'opposition, avancer ses propositions

- remobiliser les militants, et notamment les jeunes

- profiter d'une couverture médiatique large en permettant la rencontre, au même endroit et au même moment, de tous les cadres du parti avec les journalistes.

Pourquoi certains partis organisent des universités d'été ? Pourquoi d'autres ne recourent pas à cette pratique existant dans nombre de pays ?

Si les formations politiques de l'opposition ne peuvent se passer de cette manifestation importante qui a pour but, entre autres, d'élargir la base militante, d'approfondir le débat et de réfléchir aux futurs projets, les formations politiques «petites ou grandes» préfèrent le travail de proximité et les réunions restreintes.

Pourquoi ce choix ? Les raisons diffèrent d'un parti à un autre. Si pour certains, la raison principale est liée au manque de moyens matériels et financiers, pour d'autres, la cause est toute autre.

Au FLN, elle est liée à la crise et à l'instabilité qui secouent le vieux parti depuis plusieurs années.

Au RND, la direction ne voit pas l'utilité d'aller vers une université d'été, Jil Jadid, le FNA, le FDS disent, sans aucune ambiguïté, qu'ils ne peuvent pas organiser une université d'été car ils n'ont ni les moyens pour louer la salle de conférences ni pour héberger leurs invités. «Nous ne sommes pas riches pour organiser une université d'été et nous ne sommes pas les relais du pouvoir pour avoir une aide financière afin d'organiser cette manifestation. Nous sommes un parti marginalisé, qui n'a pas cette chance d'avoir des sponsors», déplore Moussa Touati, qui est persuadé que «ce sont les partis ayant de l'argent et bénéficiant de bons de commande de l'Etat et de subventions des entreprises publiques qui tiennent systématiquement des universités d'été».

Le FNA a pu organiser, en 2002, son unique université d'été ; depuis, il a opté pour des déplacements à la rencontre des militants et le travail de proximité.

D'ailleurs, Moussa Touati estime que ses cadres et la direction du parti sont tout le temps en mouvement et actifs sur le terrain, d'où l'inutilité d'organiser une université d'été.

Un autre chef d'un petit parti avance presque les mêmes arguments que Touati et a décidé en contrepartie de sillonner les villes du pays à la rencontre de la base militante pour la sensibiliser sur les questions d'actualité et les projets du parti.

Pour occuper le terrain en dépit du manque de moyens, la formation de Soufiane Djilali avait élaboré, l'année dernière, un plan de formation en cinq étapes et, chaque année, ses militants traitent d'un thème choisi par la direction. Autre formation politique qui ne tiendra pas son université d'été alors qu'elle en a les moyens matériels, logistiques et financiers, le RND.

Le RND a tenu deux universités d'été en 2004 et 2005, des manifestations qui n'ont pas été à la hauteur des aspirations des dirigeants et n'ont pas apporté les résultats escomptés. «Nous avons constaté que ces universités d'été ne sont qu'un show médiatique. Une fois les caméras disparues, les militants rentrent chez eux», rappelait son responsable d'alors. Pour les partis de l'opposition, l'université d'été est un passage incontournable. Pour le PT, le RCD, le FFS, le MSP et Ennahda, elle marque la rentrée politique après la trêve estivale. Taazibt du Parti des travailleurs (PT) estime que chaque université d'été revêt un cachet particulier en relation avec l'actualité nationale et internationale. « Cette activité est devenue une tradition chez nous, dès lors que les militants et les cadres du parti ont toujours besoin d'échanger les informations. Ce n'est pas une université académique, elle est liée beaucoup plus à la pratique », explique Taazibt.

De son côté, le RCD, parti rompu à ces pratiques politiques, est, d'après ses responsables, le premier à avoir introduit le concept d'université d'été.

Le FFS, quant à lui, avait consacré cette activité, par exemple, aux étudiants et au rôle de l'université. «Nous allons discuter de la réalité de l'université algérienne, des problèmes auxquels elle est confrontée, au rôle de l'étudiant au sein du parti et dans l'université».

Le MSP, lui, ne ratait jamais deux occasions: le séminaire sur le parcours du défunt Mahfoud Nahnah et l'université d'été.

Depuis, le hirak et le Covid-19 ont tout bouleversé !

Les partis politiques algériens semblent se complaire dans une léthargie prolongée, alors que le pays traverse une période charnière de son histoire. Hormis quelques activités éparses ou déclarations de circonstance, la classe politique semble nourrir une aversion pour le débat de fond et les actions de proximité.

L'épidémie de coronavirus n'est en aucun cas un argument pour cette absence injustifiée.

Et pour preuve, ces mêmes formations pouvaient bien mettre à profit les réseaux sociaux pour marquer leur présence et se faire entendre. Les partis dont l'absence est la plus remarquée ne sont autres que ceux dits «grosses cylindrées», le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND).

Pour les autres partis et leaders politiques, leurs faits et gestes s'apparentent à des déclarations plates et sans relief, qui ne devraient pas trop intéresser le citoyen lambda.

Trente ans après l'ouverture politique de 1989 et plus de trois ans après le mouvement populaire du «hirak béni», la vie politique algérienne s'est installée dans un profond sommeil.

Quelles en seraient les causes?

Selon le sociologue Nacer Djabi, «ils n'ont pas tiré les leçons du hirak pour s'ouvrir à la société; Ils ont tout simplement raté le tournant; durant le mouvement populaire, on avait constitué une délégation de personnalités présentes dans le hirak et nous sommes partis à la rencontre des responsables des différentes formations pour leur demander d'ouvrir leurs sièges aux débats à travers, par exemple, des rencontres périodiques, en vain», affirme-t-il.

Aujourd'hui, les partis politiques se sont non seulement, dépouillés de leurs bases militantes mais surtout ils ne produisent plus les paradigmes et les idées pour répondre aux questions qui taraudent l'esprit des larges couches de la société.

Et pour cause, leurs leaders refusent de tenir leurs congrès, et a fortiori de transmettre le flambeau pour certains !

Pour l'heure, l'Algérie fait face à de nombreux défis qui font d'elle un élément prépondérant dans le jeu de rééquilibrage des rapports de force dans la région.

Cela ne va pas se faire normalement, les décantations seront dramatiques.

Ne pas voir cette réalité, cela veut dire que la classe politique est frappée de cécité. Et, du coup, le risque est grand de voir le pays vivre des tâtonnements et des entraves à cause de la mollesse criarde de sa classe politique en manque d'imagination et de créativité.

Il est temps de mettre en place un nouveau processus politique répondant aux enjeux qui s'imposent au pays au plan stratégique, dans le cadre des bouleversements et les mutations qui agitent le monde en général et la région en particulier.

C'est tout le sens à donner à l'initiative politique de «La main tendue» entreprise par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, visant à «Réunir tous les Algériens sans distinction ni discrimination».

Et c'est à partir de la capitale turque, Ankara, où il avait effectué une visite officielle, que le Président avait choisi de livrer quelques détails sur cette initiative et son objectif.

En effet, le chef de l'Etat, s'exprimant devant des représentants de la communauté algérienne établis en Turquie, a qualifié de «nécessaire, cette démarche pour la création d'un front interne soudé».

Il avait annoncé, à cet effet, selon le compte rendu de l'APS, la tenue «dans les semaines à venir d'une rencontre inclusive des partis politiques», et ce, suite aux rencontres individuelles effectuées récemment avec des chefs de parti. Abdelmadjid Tebboune n'a pas donné plus de détails sur ce nouveau processus politique, annoncé le 3 mai par l'agence officielle.

Rappelons que le chef de l'Etat avait reçu, au palais d'El Mouradia, six responsables de partis, en l'occurrence Soufiane Djilali (Jil Jadid), Abou El Fadhl Baadji (FLN), Tayeb Zitouni (RND), Abdelaziz Belaïd (Front El Moustakbal), Abderrazak Makri (MSP) et Abdelkader Bengrina (El Bina), et l'ancien diplomate Abdelaziz Rahabi.

Des personnalités nationales ont été également conviées «intuitu personae»

Et du coup, les partis politiques ont retrouvé leur raison d'être, ou presque !

Ces rencontres, estime le chef de l'Etat, ont permis «de débattre et d'évaluer plusieurs questions de l'heure».

Pour l'ex-ministre Abdelaziz Rahabi, «la question qui se pose de façon récurrente est celle de savoir comment établir des mesures de confiance de nature à rendre possible et concrète la volonté de rassemblement exprimée dans le discours politique».

En attendant d'en savoir davantage.