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QUAND LA MENDICITÉ DEVIENT UN DROIT CIVIQUE

par Abdou BENABBOU

Bien qu'elle en ait l'air, ce n'est pas une plaisanterie d'un indéfinissable goût. Un retraité de la Sonatrach, qui a passé le plus clair de sa carrière dans l'extrême sud du pays, a voulu transmettre une lettre ouverte au président de la République le priant de lui octroyer une voiture neuve. Il lui explique que le marché étant ce qu'il est, il lui est impossible d'acquérir un véhicule à mettre à la disposition de sa famille.

L'anecdote n'a rien de croustillant. La déduction qu'on en tire aboutit à la flagrance d'un état d'esprit désastreux transformant un président de la République en concessionnaire automobile dans une logique nationale où chacun s'arroge le droit d'exiger que tout doit être mis à sa disposition par le chef de l'Etat lui-même. Le phénomène de la rente n'a plus de limite et la politique de l'aide de l'Etat à la population a fini par semer une logique où l'effort et la responsabilisation citoyenne n'ont plus aucun sens. La gratuité de tout est devenue une alimentation nationale transformant la signification sensée du partage et de l'appoint juste et mesuré en une foire d'empoigne libérant les réclamations des plus démesurées.

On n'en est plus à exiger l'air pour respirer. Mais puisque l'aide à l'acquisition d'un logement aux démunis est assurée, ce qui est en soi une bénéfique initiative, et puisque même le pèlerinage est sponsorisé, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Un logement aidé non accompagné d'une voiture relèverait donc de l'imparfait. Le bât est encore plus blessant lorsqu'une partie de la population devient convaincue que ce qui appartient de personnel à autrui est à partager par tous. Une croyance figée aujourd'hui prête à penser que ce qui appartient aux autres, bien qu'il ait été honnêtement acquis, doit être obligatoirement partagé.

La mendicité dans toutes ses formes est anoblie et s'est installée en exigence à laquelle chaque citoyen doit se plier. Tendre la main et réclamer avec effrontément n'est plus un acte avilissant mais un drôle de droit civique.