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Est-ce la bonne statue?

par Hatem Youcef

Au-delà de la polémique cultuelle dont les auteurs n'ont semble-t-il d'yeux que pour cet ultime totem, ne déploient que des preuves pathétiques et n'ont absolument pas les moyens de leur discours, il y a quand même lieu de se demander si ce mystérieux personnage plus connu sous le nom de Sheshonq 1er ou Chachnaq et qui trône désormais non plus sur l'Égypte antique, mais sur la capitale de la Haute Kabylie, est à sa place.

A peine statufié, ce pharaon amazigh divise non pas pour régner (lui et ses descendants l'avaient fait sur les terres du Nil plus de deux cents ans durant), mais pour mettre dos à dos partisans et ses détracteurs qui ne comprennent pas qu'un pharaon fût-il amazigh devienne l'emblème de la région. Avec une musculature digne des gladiateurs romains et un accoutrement semblable au kilt écossais à faire des émules, Chachnaq fait une entrée fracassante dans une contrée à mille lieues de sa terre d'accueil qui l'a vu gravir les échelons de la hiérarchie militaire et fonder la vingt-deuxième dynastie pharaonique après s'être emparé du pouvoir. A-t-il annexé l'Égypte ancienne aux immenses terres amazighes qui comprennent justement l'oasis égyptienne de Siwa ?

A-t-il amazighisé le pays de Kheops et Ramsès II et accolé le tifinagh aux hiéroglyphes ? Comment expliquer aux enfants ce qui a motivé la pose de ce colosse en un lieu aussi stratégique de la ville des genêts dont le toponyme amazigh est amplement représentatif et l'écho retentissant bien au-delà des frontières du pays?       

La proposition de militants et activistes du mouvement berbère dont l'écrivain Chaoui Ammar (Acawi) Negadi, à l'origine de la création en 1980 du calendrier berbère de débuter ledit calendrier à partir de l'an 950 av. J.-C. correspondant à l'intronisation de Chachnaq est-elle suffisante pour introniser cet illustre guerrier dans une région autrement riche en héros ? Autrement dit, Chachnaq n'est pas directement impliqué dans l'initiation du calendrier aux trois millénaires; il avait naturellement d'autres affaires plus pressantes que de se consacrer à l'émulation des Egyptiens dans l'instauration d'un calendrier semblable au calendrier nilotique. Qu'a-t-il concrètement apporté à tamazight ? A vouloir à tout prix s'enraciner dans un passé très lointain, on risque de se déraciner et se couper du présent en sombrant dans le faux et l'inauthenticité.

Il est vrai que la symbolique de la pose de cette statue est indéniable et le surplus de visibilité engrangé d'ores et déjà peut dépoussiérer davantage l'histoire des Amazighs, mais force est de dire que Jugurtha aurait été plus approprié. En effet, n'est-il pas plus judicieux de libérer définitivement Jugurtha des geôles romaines et lui permettre de se reposer parmi les siens ? D'ailleurs, Yugarthn est tout indiqué puisque ce nom même signifie prééminence en tamazight (il les a surpassés). Un astéroïde découvert par un astronome sud-africain, Cyril V. Jackson, est nommé le (1248) Jugurtha et le grandissime poète français, Arthur Rimbaud, obtint en 1869 le premier prix du concours général de poésie organisé par sa ville natale avec ses 75 vers latins sur Jugurtha.