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La Besace d'esope

par Belkacem Ahcene Djaballah

Dernièrement, j'ai entendu un rappeur désormais bien connu lequel, s'exprimant sur le plateau d'une chaîne de télé privée, essayait de s'expliquer sur ses positions «politiques» durant les années Bouteflika. Il n'a pas été par quatre chemins: il n'arrivait pas à percer tant le marché de la chanson était monopolisé par des «boîtes» et des artistes alors très bien «en cour», il «crevait la dalle» et il s'était trouvé obligé de se plier aux règles de la marchandisation édictées par les tenants directs ou indirects du pouvoir ou par leurs protégés. Il a, dans la foulée, dénoncé l'hypocrisie d'une certaine partie de la société « qui aime l'argent», «qui a soutenu», «qui a défendu», «qui a applaudi le système dominant» et qui, aujourd'hui, fait de l'«opposition» - en Algérie ou à l'étranger - brûlant ce qu'elle a adoré hier. Langage cru d'un encore jeune qui est passé par bien des épreuves et qui n'ose même plus s'exprimer sur la vie politique tant il semble effrayé par les rapides et incroyables retournements de vestes et de situations. Chat échaudé craint l'eau froide !

Il y a peu, la Cour des comptes a remis ses conclusions d'appréciation de l'exécution de la loi de finances pour l'année 2018. Il y est dit que les investigations ont montré l'existence de « lacunes et des insuffisances ayant trait, notamment, à l'inscription des opérations d'équipement public, à la maturation des études, à la conduite et au suivi de programmes d'investissement, au rythme de consommation des crédits de paiement, aux délais d'exécution et d'achèvement des projets d'investissement, à l'exploitation des projets réalisés et à l'assainissement de la nomenclature des opérations d'équipement». Ouf ! Bref, la Cour des comptes pointe du doigt l' «incompétence». Plusieurs exemples de mauvaise gestion du budget sont signalés au niveau de tous les départements ministériels et même au niveau de la présidence de la République. Comme si on ne le savait pas ! Il faut seulement se souvenir que la Cour des comptes existe depuis 1980 et qu'elle ne s'est «réveillée» que depuis peu, faisant «feu de tout bois» (pour la 4ème fois je crois : 2 fois du temps de Zeroual et, en 2016, en se penchant sur les 8 années budgétaires précédentes). De quoi s'interroger sur les retards. Sauf si elle fait partie, elle aussi, de cette fameuse administration tant dénoncée pour son « incompétence» ? Deux exemples bien éloignés l'un de l'autre, mais qui se retrouvent assez proches par leurs comportements presque similaires face au Système; l'un reconnaissant son «erreur» d'appréciation du système politique alors en cours, l'autre «faisant porter le chapeau» à une entité insaisissable, l'«Administration».

Une attitude sociétale qui relève de ce qui pourrait être mise dans «la besace d'Esope» (Esope, le fabuliste grec que La Fontaine a beaucoup copié): «Tout homme porte une besace sur son épaule: dans la poche qui se trouve devant lui, il met ses propres qualités et les défauts d'autrui; dans celle qui pend par-derrière, il fait l'inverse ». Nous serions donc tous (ou presque tous), par extension, porteurs de la même besace.

Chez nous, le pire est que cela a contaminé toute la société, ou des pans entiers de la société, ainsi que toutes nos administrations. Ce qui aboutit à des querelles sans fin sur l'origine des fautes, sur le ou les coupables sur la difficulté à avoir des solutions consensuelles ou à les mettre en œuvre sur le terrain. On comprend assez bien, aujourd'hui, les difficultés de la justice, entre autres, face à des « coupables » clamant leur innocence et un « bon droit » et on ne sait plus quoi faire (ou dire sinon dénoncer) face à une société civile (et politique) ne voyant plus que ses seules qualités. Ceci est valable aussi sur le plan international et maghrébin. Heureusement, de temps en temps, une éclaircie comme la toute dernière, celle du couscous, présenté à l'Unesco, dans une besace commune.