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Pour un débat sur le gaz naturel liquéfié

par Paris : Akram Belkaïd

Il est des certitudes qu'une grande majorité d'Algériens partagent. Par exemple, le fait que notre pays fut jadis ce que l'on appela « La Mecque des révolutionnaires ». Qu'importe que cette période (certes bénie) ne dura guère et qu'elle fut aussi, et surtout, marquée par une contradiction majeure (d'un côté, l'accueil des révolutionnaires du monde entier ; de l'autre, la persécution des progressistes algériens), l'idée est ancrée dans nos esprits. Un jour, peut-être, sera-t-elle revisitée.

Il en va de même avec un autre sujet, moins connu mais qui demeure essentiel. Durant plusieurs décennies, un discours unique a mis l'accent sur l'expertise algérienne en matière d'exploitation de gaz naturel, et plus précisément dans le développement de la filière du gaz naturel liquéfié (GNL). « Pays pionnier dans la liquéfaction du gaz naturel » a-t-on coutume de lire et d'entendre ici et là. Les plus anciens se souviendront de ce publireportage télévisuel financé par l'Algérie dans les années 1980 où l'acteur Peter Ustinov louait cette expertise, le tout étant illustré par un sujet tourné dans une usine de liquéfaction à Arzew.

Or voici qu'un texte publié par le quotidien El Watan remet en cause certaines convictions. Son auteur, Abdou Benachenhou, aujourd'hui retraité, fut un chef de projet d'une usine de traitement de gaz. L'homme sait donc de quoi il parle quand il titre son papier : « Gaz de schiste, on efface tout et on recommence sans tenir compte de l'aventure vécue du gaz naturel en Algérie » (26 février 2020).

Le premier intérêt de ce texte est de remettre en cause ce qui a fait l'essentiel du discours politico-économique de ces dernières décennies. Pour résumer, l'auteur affirme que l'exploitation du gaz naturel n'était pas aussi rentable qu'on ne le croit. D'abord, parce que cet hydrocarbure est bien moins valorisé par les marchés que le pétrole et, ensuite, parce que l'Algérie se serait en plus arrangée pour le vendre moins cher qu'elle ne l'aurait pu.

La question des contrats gaziers signés dans les années 1970 puis dans les années 1980 a toujours constitué une source de polémiques. Vue de l'extérieur, elle semblait surtout représenter le motif idéal pour des règlements de compte entre clans du système. Aujourd'hui, des questions fondamentales sont posées à laquelle les intéressés devront répondre : a-t-on développé la filière gaz naturel liquéfié au détriment d'une exploitation plus rigoureuse du pétrole ? Autrement dit, était-il nécessaire d'investir autant dans la technologie GNL pour, au final, en retirer des revenus insuffisants ? Quand on lit le texte de M. Benachenhou, on a l'impression que la filière GNL n'est finalement qu'un « éléphant blanc », une technologie coûteuse aux débouchés aléatoires pour ne pas dire superflus.

Autre question posée par ce texte : est-il vrai que l'Algérie a bradé son gaz naturel aux Européens ? On sait que ces contrats de longue durée ont souvent été critiqués de l'autre-côté de la Méditerranée, notamment en France, pour l'engagement de long terme qu'ils imposaient aux acheteurs. M. Benachenhou inverse la problématique. Selon lui, l'Algérie n'aurait rien fait de moins que de subventionner la consommation d'énergie en Europe. « On a vendu le gaz, ?? matière non renouvelable'', pendant plus de quarante ans en-dessous du prix de revient, affirme-t-il. L'Algérie a subventionné le prix du gaz des Européens. » En ces temps de Hirak et de bouleversements des hiérarchies, on aimerait, là aussi, connaître la réponse des intéressés.

Autre affirmation de l'auteur de l'article : « En dépit de son rôle pionnier de l'industrie mondiale du gaz en général, et du GNL en particulier, SH [Sonatrach, la compagnie pétro-gazière algérienne] n'a pas su concrétiser un pôle d'expertise scientifique et technique pour développer les savoir-faire acquis dans tous les domaines. » Cela expliquerait le manque de présence à l'international d'une compagnie pourtant considérée comme un géant africain, pour ne pas dire mondial, et à qui les décideurs algériens n'ont jamais rien refusé en matière de formations et d'investissements en matière de capital humain.

Autre élément évoqué par le texte qui mériterait un vrai débat. Selon l'auteur, la production de gaz naturel conventionnel connaît actuellement « un tarissement » ce qui expliquerait la soudaine passion des dirigeants algériens pour le gaz de schiste. Tarissement ? Il y a peu, des ingénieurs de la Sonatrach confiaient au présent chroniqueur que les années Bouteflika « ont fatigué et vulnérabilisé » les gisements de pétrole conventionnel en raison d'une exploitation aussi intensive qu'anarchique. Mais le gaz ? Lui aussi surexploité ? Au-delà de toute prudence ?

Que nous dit le texte d'Abdou Benachenhou si ce n'est qu'il est temps de ne plus tourner autour du pot ? La question de la gestion des hydrocarbures est capitale. Elle mérite des éclaircissements et un débat national qui a toujours été confisqué. Les... (comment les qualifier sans attenter à la gente asine ou baudesque ?) Les individus, donc, qui peuplent les travées de l'Assemblée nationale sont incapables d'encourager et de mener un tel débat. Le Hirak, lui, peut déjà l'exiger.