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Tébessa: Il était une fois le cinéma

par Ali Chabana

Souvenirs, souvenirs !! Il était une fois le cinéma, quand Tébessa s'enorgueillissait de posséder plusieurs cinoches. Le Palace, le Rex, l'Olympia, et l'emblématique Chahrazed, la salle favorite des cinéphiles, toutes réduites à zéro par la force du tout mercantile. Ces espaces culturels sont devenus des boutiques de commerce. El Maghreb, seul vestige restant, symbole encore debout d'un âge d'or, d'une période révolue, où le cinéma faisait partie de nos loisirs quotidiens. On faisait la queue pour voir un film. Des salles spécialisées chacune dans un genre.

La grande production hollywoodienne, l'épopée du Far West, John Wayne, James Stewart, Alan Ladd, péplum de Hercule et Maciste le mélodrame oriental à la sauce égyptienne, comme têtes d'affiche Farid El Attrache, Abdelhalim Hafedh, Nadia Lotfi, Farid Chaouki, Hind Rostom, Choukri Sarhane ou encore une comédie sociale italienne, menée de main de maître par les génies de la dérision, qui étaient Alberto Sordi, Nino Manfredi et Marcello Mastroianni Vittorio Gassmann la gesticulation énervée d'un Louis de Funès et son compère Bourvil au sommet de leur art. Et quelques productions d'un cinéma algérien naissant, «la bataille d'Alger», encore tout frais, des événements de la guerre de libération nationale, toujours vivace dans nos esprits de jeunes de l'après indépendance. Toutes ces images, parfois en noir et blanc ont marqué notre vie et ont façonné beaucoup de générations, de certaines valeurs humaines, de passions, de nos jours totalement éclipsées.

Un 7e art qui par sa magie aura des incidences sur les comportements et les pratiques des gens, c'était notre façon de se cultiver d'acquérir les rudiments d'un savoir social, grâce au déroulement d'une pellicule filmique, de ces sons et couleurs qui nous transportaient vers des lointaines destinations, jusqu'alors inconnues, rien qu'à s'asseoir sur un siège de ces salles noires, fixer l'écran et voir défiler les grands espaces sauvages, d'une aventure chevaleresque, au fin fond du monde indien, envoûtés par une musique ensorcelante. Le cinéma comme art populaire, fait de trucage et d'improvisation, notre imagination se transcendait pour voler vers d'autres rivages. Le chant, la danse et les paroles douces et enivrantes pénétraient nos cœurs sans demander la permission et notre innocence et notre imaginaire enfantin faisaient le reste.

Puis fut la période de la dèche culturelle, l'intrusion progressive des nouveaux supports d'enregistrements appauvrissait davantage la scène artistique, des produits douteux envahissaient le marché culturel. Les gens obnubilés par les nouveaux venus recouraient au plus facile et accessible, au détriment d'un art élevé par sa dimension artistique et thématique, pas de la sous- culture ambiante.

Les salles de cinéma changent de vocation: tout sauf la culture

La culture, c'est aussi ce parc immobilier à sauvegarder, à entretenir et à valoriser, au goût du jour. Pourquoi ne pas commencer déjà, par-là ces infrastructures réduites à des antres, hébergeant tout, sauf de la culture, au lieu de penser à construire de nouvelles, qui seront abandonnées à leur triste sort, dès que les festivités des cérémonies d'inauguration prenaient fin. A Ouenza, on avait aussi une salle de spectacles, qui faisait la joie des habitants de toute la région nord de Tébessa, Ain Zerga, El Meridj, El Aouinet? dans le temps, elle vibrait aux applaudissements des spectateurs qui regardaient le film, un acteur, une légende encore vivante, Clint Eastwood, justicier à la gâchette rapide, dans des westerns italiens, de l'icône du genre, Sergio Leone. La série des Trinita et son acteur fétiche, Terrence Hill. Un Jean Gabin tirant sur sa cigarette, l'air triste, dans l'un de ses nombreux rôles, de comédien exigeant.

En cette époque-là, des familles allaient écouter les tours de chants, de Naâma, Ali Riahi et Ahmed Hamza nos voisins Tunisiens qui, sans trop de tralala, franchissaient les frontières à tout moment pour venir égayer nos soirées. El Kouif, l'autre cité minière avait elle aussi son ciné, un petit bijou d'architecture, aujourd'hui tel un temple sans gardien vit ses derniers jours dans la décrépitude. El Kouif, une ville cosmopolite, où Algériens et communautés étrangères se côtoyaient dans la galère des travaux du gisement de phosphate, et le cinéma était le seul divertissement à fournir, pas encore de télé, ni de gadgets numériques. Depuis, beaucoup de choses ont changé, l'espace culturel s'est rétréci, laissant la place à quelques rendez-vous événementiels. Des générations tout entières ignoraient ce que c'est un grand écran de cinéma, des projections de films nous bourraient de rêves. La tête dans les étoiles, on se croyait ces héros sans peur et sans reproche, qui défiaient les dangers, tels des justiciers solitaires, se portant au secours des faibles.

Aujourd'hui, les espoirs de ceux qui ont eu à goûter aux délices de ces moments magiques seraient de voir toutes ces structures à vocation culturelle et artistique redémarrer, avec le plein d'activités, de promotions, de créativité, de regard vers l'avenir, car la société a aussi besoin de la fibre culture et arts pour s'épanouir en harmonie.