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Good bye Great Britain ?

par Sid Lakhdar Boumédiene*

La Grande Bretagne vient de sortir de l'Union Européenne après le référendum sur le Brexit et d'interminables hésitations du Parlement britannique. Un véritable choc que personne n'avait vu venir même si la Grande Bretagne avait toujours été le trublion de l'Europe et n'a jamais vraiment été à l'aise dans cette union. Mais le départ est-il définitif ?

Le lecteur a certainement pris note du point d'interrogation du titre. Personne ne lit dans l'avenir mais la réflexion peut toujours évaluer les éléments objectifs actuels et de l'histoire pour essayer de bâtir une hypothèse crédible. Examinons, un par un, les différents arguments qui sont opposés pour prétendre que la Grande Bretagne n'a jamais été européenne dans l'âme et ne le sera jamais.

Le Président Charles de Gaulle leur avait refusé l'entrée pendant plusieurs années avant qu'ils y accèdent. Mais le sentiment du chef de l'État français est vicié par un esprit de revanche car il n'a jamais, ni oublié ni pardonné que les Anglais autant que les États-Unis ne l'avaient pas choisi comme leader de la résistance et, pire que tout, ne l'avaient pas convié à la conférence de Yalta qui décida du sort du monde par les grandes puissances alliées.

Revenons donc à cette hypothèse que la Grande Bretagne n'a aucune autre issue que d'être rattachée à l'Europe, d'en être une des composantes importantes et elle y retournera un jour.

L'histoire continentale anglo-normande

Dire que la Grande Bretagne n'a jamais tourné son regard vers l'Europe est une contrevérité absolue. Toute l'histoire des îles Britanniques, depuis l'unité à peu près intégrale de cette région fut une réalité européenne.

Il serait trop long de résumer entièrement cette histoire millénaire, choisissons quelques éléments clés. Il y eu les saxons, les romains et les celtes qui ne peuvent vraiment pas être considérés comme étrangers au continent. Le nom de Grande-Bretagne n'est pas non plus un hasard.

Mais la vraie épopée européenne commence en 1066 avec la conquête par le Duc de Normandie, Guillaume 1er,, dénommé Guillaume le Conquérant. Dès lors l'Angleterre fut une domination d'un grand fief continental. Même si le duché de Normandie était bien plus puissant et plus riche que le roi de France, cantonné sur un territoire pas plus grand que l'île de France, il en était le vassal. L'Angleterre appartenait désormais au royaume de France.

Puis ce fut autour de la puissante dynastie des Plantagenêt, alliance entre le Duc d'Anjou et Aliénor d'Aquitaine, qui régnaient sur la moitié du territoire français, dans sa partie ouest, jusqu'au royaume d'Angleterre, et qui étaient également suzerains du roi de France.

L'Angleterre et la France furent donc des territoires sous une même alliance de mariages et de liens de dépendances et d'échanges économiques. Ce n'est absolument pas paradoxal, au contraire, que des guerres inépuisables furent engagées par les uns contre les autres et inversement.

Le royaume anglais posséda même à son tour la moitié du territoire français avant que le roi de France ne s'en accapare de nouveau.

Puis furent les alliances avec l'ancien Saint empire germanique, devenu l'Allemagne pour sa plus grande partie territoriale, dont est issu d'ailleurs partiellement la famille royale actuelle. Ce n'est donc pas pour rien que la famille royale anglaise possède toujours une devise en français « Honi soit qui mal y pense » (Honni portant deux n dans la version française de son orthographe). Et également que l'on dénomme la Grande Bretagne «Les îles anglo-normandes».

Si mille ans de cette histoire commune n'est pas un lien européen, peu d'autres choses le seraient.

L'argument classique de l'insularité et du grand large

C'est un argument que tous les collégiens et lycéens écrivent sur leur copie car il est indéniable. Souvenons-nous que l'empire britannique a conquis un territoire où le soleil ne se couche jamais, expression reprise de celle qu'on attribuait à l'empire de Charles Quint au XVIè siècle.

La marine britannique fut l'une des plus redoutables ce qui expliquerait une attirance vers le grand large plutôt que vers le continent. L'argument s'effondre aussitôt lorsqu'on oppose les autres puissances tout aussi aventurières et conquérantes à travers les mers et les océans.

La France fut elle aussi présente en Amérique du Nord et y a possédé des territoires très vastes, sans compter les colonies africaines et du Moyen-Orient. Sa langue fut parlé dans toutes les cours royales y compris jusqu'à la cour britannique (nous dirions, surtout, au regard du paragraphe précédent).

L'Espagne eut aussi une puissante armada militaire. Il suffit de constater le gigantesque empire qu'elle possédait. Qui peut ignorer, à moins de vivre dans l'espace, qu'elle a d'ailleurs été la première a découvrir un autre continent puisqu'elle finança l'expédition du génois, Christophe Colomb.

Et que dire des Portugais qui ont écumé les océans comme les Vikings ainsi que le périple de Marco Polo ? Ainsi, l'argument de l'insularité et du grand large, s'il est certainement réel, n'explique pas la nature réfractaire actuelle de la Grande Bretagne à l'égard de l'Europe.

L'argument du risque économique stratégique

Un autre argument qui fait penser que cette sortie est provisoire est celui de l'économie qui n'a plus de sentiment ni d'attache territoriale depuis longtemps. En choisissant le mythique « grand large » la Grande Bretagne prend un risque considérable dont on peut résumer l'essentiel par quelques points.

Le grand large signifie être seul face aux grands blocs qui se sont constitués dans le monde. La Grande Bretagne n'a plus l'empire d'antan. L'Asie, particulièrement la Chine, les États-Unis et l'Europe sont désormais des puissances économiques et commerciales que la Grande Bretagne ne saurait affronter seule avec les mêmes armes que dans le passé.

D'ailleurs le Président Donald Trump a immédiatement refroidi les ardeurs de la Grande Bretagne pour un rapprochement avec les États-Unis et il y a peu de chances que ses successeurs se comportent autrement. Puis ensuite les échanges avec l'Europe sont inégaux, ils représentent près de 40 % pour les Britanniques alors que c'est à peine 7 % en sens inverse.

De plus, la Grande Bretagne doit maintenant renégocier les centaines de traités qui la liaient avec l'Europe et affronter les menaces des barrières douanières qui seront inévitablement érigées si de nouveaux accords ne permettent pas la libre circulation fluide des biens et des personnes.

Et si la Grande Bretagne comptait encore sur la puissance de sa place financière privilégiée avec la city de Londres, elle a trop vite oublié qu'elle avait la garantie des placement internationaux du fait de la possibilité d'un pont avec l'Europe. Qu'en sera-t-il maintenant si elle n'obtient pas les agréments pour l'Europe ce dont les investisseurs financiers internationaux ont besoin ?

La Grande Bretagne est sortie sur des mensonges grossiers des partisans du Brexit et de son leader populiste. Elle s'est engagée vers un grand large dangereux alors qu'elle n'a plus la puissance de son empire ancien. Il est illusoire de penser que le vestige de cette époque faste, le Commonwealth, sera une garantie suffisante pour perpétuer la grandeur passée.

Le risque d'explosion territorial

Je ne voudrais pas insister sur les antécédents historiques de l'Écosse et de l'Irlande tant il serait long de les rappeler. Mais il faut bien savoir que ces deux pays sont associés à l'Europe d'une manière très ancienne et solide.

L'Écosse, avec la grande reine Marie Stuart, eut cette dernière comme reine de France. Les écossais ont toujours été du côté de la France, y compris dans les batailles. Et que dire du sentiment tenace des écossais qui n'ont jamais pardonné à Elizabeth 1ère (pas l'actuelle) d'avoir condamné à mort leur reine, Marie.

Le désir de l'Écosse pour son indépendance s'est manifesté récemment à deux reprises, il ne serait pas étonnant qu'il devienne réalité. Les dernières tentatives avait suscité des frilosités car un détachement de la Grande Bretagne aurait signifié la sortie automatique et immédiate de l'Europe.

Sa demande de réintégration aurait été soumise à l'accord du Royaume Uni, ce qui lui aurait été refusé. C'est en partie ce qui a fait hésiter certains catalans dans le désir de faire sécession avec l'Espagne. La route est désormais libre pour les Écossais.

Pour l'Irlande, autant que pour l'Écosse, il existe une seconde raison qu'il faut retenir. Les deux pays sont majoritairement de religion catholique et non anglicane. Et comme toujours cette question crée de grandes ruptures.

De plus, bien que cela fut beaucoup plus certain pour les Irlandais, persiste encore la trace d'une humiliation sociale et politique qu'ils ont subi de la part de l'Angleterre. Le fossé est grand et n'est pas prêt de se refermer aussi rapidement. D'où la grande crainte des Anglais de voir resurgir la frontière entre les deux Irlande. Ce fut un point crucial qui a fait retarder l'accord de sortie de la Grande-Bretagne, il est loin d'être résolu.

À tous les points exposés précédemment se rajoute le fait que les partisans du Brexit ont voté suite à un mensonge leur promettant grandeur et richesse retrouvées.

Ce sont d'ailleurs majoritairement les régions hors des grandes métropoles, sur des territoires dévastés par la récession de la grande industrie passée, qui ont voté pour la sortie.

De plus, on leur a tenu un langage populiste concernant l'invasion par les étrangers, particulièrement des populations de l'Europe de l'Est, en grande partie les Polonais. Ils avaient oublié que ces derniers étaient européens, ce continent à qui ils doivent leur richesse et leur histoire.

En conclusion tous ces arguments plaident pour un retour, un jour ou l'autre, de la Grande Bretagne qui est profondément européenne. Le pays des Beatles, du flegme et de la grande littérature ne pouvait avoir un destin détaché de l'Europe.

Ils reviendront à condition, toute chose étant égale par ailleurs comme on disait sur nos copies universitaires, que l'Europe existera toujours en l'état.

*Enseignant