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Claire

par Amine Bouali

Je l'ai croisée récemment sur ces Grands Boulevards souvent encombrés des réseaux sociaux sur Internet, et elle sortait d'une réunion de l'organisation humanitaire «Médecins du monde» où elle faisait régulièrement le point sur les différentes guerres qui ensanglantent actuellement la planète. Lors de notre brève rencontre, face à notre petite cheminée virtuelle, elle n'a presque rien dit, essayant seulement d'être polie, comme si elle avait retiré définitivement sa confiance dans les mots.

D'origine russe, son nom imprononçable faisait forcément penser à la Place Rouge et la Révolution d'Octobre, et son visage, dans un coin de l'écran de mon ordinateur, à un agréable matin de printemps. Devant les vitrines des magasins, lorsqu'elle marche au milieu de la foule, à Paris où elle réside habituellement, je crois que cette femme ne s'attarde pas. Et lorsqu'on l'invite au restaurant, elle a l'habitude peut-être de manger rapidement, tout en regardant par la fenêtre. Le soir, elle se retire parfois sur son divan, recroquevillée dans ses réflexions, presque à l'état minéral. D'où vient cette exigence étrange qui ralentit ses pas mais illumine sa route ?

Cette femme a décidé, pour des raisons mystérieuses, de laisser la porte de sa maison ouverte et ce qui restera dans ses bagages, lorsque tout aura disparu sur la terre, est plus précieux que l'or. Elle est médecin et travaille en tant que volontaire sur les terrains des conflits militaires pour essayer de soigner des blessures infligées prioritairement aux civils désarmés. Aujourd'hui, par exemple, au Yémen, 2 millions d'enfants souffrent de malnutrition, dont 360.000 luttent pour continuer à vivre, dans une indifférence quasi générale. Claire aurait pu aller ramasser des cailloux bleus dans la rosée de l'aube et danser avec le vent sur l'herbe mouillée. J'essaie de deviner quelle sera sa réaction le jour où un enfant blessé par une balle perdue viendra mourir dans ses bras en l'appelant «maman !». Tendre la main, rester humble, inventer chaque jour, ne serait-ce qu'un grain de lumière, Claire croit que c'est possible, et je n'ose pas lui dire que son amour seul ne pourra malheureusement rien contre les bombes.