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De quelques principes de la démocratie électorale

par M'hammedi Bouzina Med

Dans cette élection il s'agit de respecter un principe fondamental: donner les mêmes chances à tous les candidats à la candidature et garantir le jeu démocratique de l'alternance au pouvoir. C'est la feuille de route de tout pays qui espère l'abondance et la liberté.

Les partisans d'une candidature d'Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat qualifient ses opposants d'ingrats, d'ignorants, d'aventuriers politiques qui menacent la stabilité et la sécurité du pays. Certains sont même accusés de revanchards haineux à l'encontre du président sortant.

Du coup, cette élection particulière est conçue dans les deux camps non comme une course d'offres politiques entre concurrents ou adversaires politiques mais comme une «bataille rangée» entre ennemis politiques. Par conséquent la campagne électorale peut se transformer en épreuve de force où la violence au sens plein du terme, c'est à dire matérielle et physique risque de remplacer la violence verbale et la confrontation des arguments et se prolonger dans la rue, lors de meetings et rassemblements. Les soutiens du président sortant, c'est à dire le pouvoir actuel, brandissent le risque de dérapage vers la violence en portant la responsabilité sur l'opposition et, subséquemment, aux réseaux sociaux.

Eux estiment qu'ils sont dans le respect des règles «démocratiques» de l'élection. Les partis dits de l'opposition et leurs partisans ne manquent pas d'arguments légaux, c'est à dire « de juré» et d'éthique démocratique en relevant l'état de santé plus que défaillant du candidat Bouteflika et la violation des conditions d'annonce de sa candidature puisqu'il ne l'a pas prononcée lui-même comme le stipule la loi électorale en pareille circonstance et s'interrogent sur la suite: sa présentation au conseil constitutionnel, le déroulement de sa campagne électorale etc.

Face à l'évidence de ce réquisitoire de l'opposition, les partisans de Bouteflika dévient le débat sur les réalisations nationales réussies sous ses législatures et en font l'argument indiscutable pour justifier son maintien indéfini à la tête du pays. Nier le bilan de Bouteflika en bloc est certainement ni honnête, ni juste. Bien sûr qu'il y a eu un bond indiscutable dans la construction de nombreuses infrastructures, de logements, d'unités industrielles clé en main, d'emplois de jeunes, de prêts bancaires à la consommation, de début d'informatisation des l'administration civile, d'équipements des forces militaires et de sécurité etc.

La question est: à quel prix et aurions nous pu faire beaucoup plus et beaucoup mieux en termes de réalisations au vu des années d'abondance financière? Ce «boum» socio-économique de la providence pétrolière n'a pas généré, malheureusement, que du bonheur pour les Algériens et que le «clan» présidentiel évite de reconnaitre: cette soudaine richesse du pays a généré aussi une corruption endémique, des inégalités sociales brutes, de la violence sociale et un recul des libertés individuelles et collectives accompagné d'un sinistre dans les domaines de l'éducation en terme de niveaux de compétence et de la culture en général. Suffisant pour discréditer les soutiens de la «continuité». Par ailleurs et à supposer que le bilan des 20 ans de présidence de Bouteflika n'est qu'abondance, bonheur et joie, faut-il en user pour dériver vers une présidence à vie, autrement dit fouler au pied le principe premier et essentiel contenu dans la constitution: le respect du principe démocratique de l'alternance au pouvoir par le jeu électoral sain, transparent, juste? Car c'est de cela qu'il s'agit au fond: instaurer la tradition démocratique dans son sens le plus complet. Se prévaloir d'un bilan positif pour verrouiller une élection n'est ni démocratique, ni même utile et bénéfique pour l'avenir du pays. Tout autre successeur de Bouteflika fera de même au non de son bilan quel qu'il soit. Dans cette élection et à supposer que Bouteflika ait vraiment manifesté sa volonté de concourir à cette élection et nonobstant son état de santé grave et handicapant, il n'est pas question lui faire «la guerre» , de lui nier son patriotisme ou sa sincérité, de rejeter son bilan dans sa totalité...il s'agit de respecter un principe intangible qui conditionne toute la vie politique du pays et son avenir: le respect de la Constitution, de la démocratie et de l'alternance au pouvoir. C'est la seule et unique feuille de route pour tous les concurrents politiques et de la société civile de l'Algérie qui conditionnera définitivement son avenir.

Au regard des signaux critiques et dangereux qui se manifestent ça et là à travers le pays, aux revendications même disparates et parfois stupides et incongrues des partis dits de l'opposition, le «clan au pouvoir» endosse l'entière responsabilité d'une éventuelle violence s'il persiste dans sa crispation et son verrouillage du jeu démocratique. Parce qu'il est justement détenteur du pouvoir, il est en devoir d'assurer la sécurité et surtout l'égalité des chances des candidats à l'élection.

En utilisant l'administration publique, les canaux de médias lourds de télés notamment, de piocher sans limite dans les caisses du trésor public pour financer sa campagne électorale, « l'équipe» du président sortant enfreint de manière flagrante la loi et aggrave la défiance et la méfiance de tous les autres qui s'opposent au cinquième mandat. En dernière instance, cette «équipe» du président qui parle et se présente au public en son nom devient usurpatrice de la légalité républicaine et mène le pays vers des dérives aux conséquences incalculables. Une élection démocratique, transparente et à chances égales pour tous les prétendants au pouvoir est le moteur et l'indicateur d'une société et d'un pays qui a foi en lui même et lui donne les forces de surmonter les obstacles et épreuves qui cheminent son destin.

Un système qui viole ce principe politique majeur en ces temps de modernité se condamne et condamne le pays à l'inconnu et au chaos irréversible. Les exemples nous entourent et comme pas hasard dans les pays dits arabes: aucun dirigeants n'a quitté le pouvoir par la voie des urnes et le respect du jeu démocratique et l'on sait la fin et la situation de tous ces pays: le chaos, la misère et la violence. D'autres pays en Afrique et en Amérique latine ont vécu et vivent ce même capharnaüm. L'Algérie a une dernière chance de sortir de cette logique destructrice due à la «fascination» du et par le pouvoir dès que l'on y accède. Elle est en droit et devoir de ne pas la rater. Car au final, nul destin personnel ou de « clan» ne peut et ne doit se substituer à celui de tout un peuple et un pays qui dispose de tant de potentialités et de richesses et de continuer à pleurer sur son sort.