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Tébessa: Les livres et la lecture font débat

par Ali Chabana

La lecture comme sujet de discussion, dites-vous ! Un débat improvisé par un groupe d'amis de différents horizons, dans un endroit tout indiqué, chez Khali, le buraliste du centre-ville, dans l'ancienne cité de Tébessa. Quand la lecture devient un prétexte pour évoquer le climat culturel d'une ville, d'un pays, le nôtre. Les débatteurs issus de divers milieux viennent raconter leurs expériences respectives, leurs liens avec le livre, support véhiculaire de savoir, de passions et de besoin intellectuel, par-dessus tout. C'est l'enseignant retraité, Abdellah, qui lit sans distinction de genre, dans les deux langues et même l'anglais vient taquiner son désir d'ouverture sur d'autres, une découverte récente, la littérature anglo-saxonne, et puis le roman algérien, une nouvelle piste, Mouloud Feraoun, Rachid Boudjedra (printemps), Assia Djebar. Abdellah tente de rattraper le temps perdu : « Des auteurs que j'aurais aimé lire bien avant, les chemins qui montent, loin de Médine, sans oublier l'œuvre du grand penseur Mustapha Lachraf (les ruptures et l'oubli, des noms et des lieux). La lecture est une sorte de catharsis pour se défaire de la crainte de l'autre », avoua-t-il. Mohamed, l'autre lecteur invétéré. Moh hante de sa présence les expositions-ventes de livres. Ces derniers constituent son univers, la ration quotidienne de ses activités.

Il n'hésite pas à parcourir des kilomètres, pour aller fouiner chez un bouquiniste et ramener quelques titres de ses écrivains préférés. Lui aussi redécouvre le roman contemporain algérien, avec une agréable surprise, Tahar Ouattar, Azzeddine Mihoubi, Yasmina Khadra, Lahbib Sayah, Mohamed Sari ou encore Amin Zaoui, Wacini Laâradj, Malika Mokkadem. « Dans ma jeunesse, j'étais beaucoup plus porté sur l'œuvre littéraire moyenne orientale, par effet de mode, les adaptations cinématographiques aidant, c'était l'époque de Najib Mahfoudh, Taoufik El Hakim et Ihsan Abdelkadous, entre autres », dit-il, et d'ajouter: «L'intrusion de la fiction littéraire algérienne dans ma passion de la lecture m'avait fait découvrir d'autres facettes de l'écriture, d'autres styles et approches. Aujourd'hui, une nouvelle génération d'auteurs impose une démarche plus audacieuse, plus riche, pour traiter de sujets complexes, avec comme toile de fond des personnages parfois hors normes. Nos jeunes et moins jeunes romanciers nous font traverser des chemins tortueux, à partir de leurs expériences personnelles, ils font tomber des tabous, les uns après les autres, et la fiction se mue en réalité». Taoufik, un ingénieur à la retraite, du secteur des hydrocarbures, vit la même envie de lire, la fiction, le conte et l'essai philosophique, Kamel Daoud, Malek Bennabi, les récits historiques lui ouvrent une large lucarne sur un monde en perpétuel changement. Quant à Abderrahmane, par l'effet de truchement, fait découvrir à ses enfants les contes d'Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin), Charles Perrault (Chaperon rouge, le Petit Poucet). En vérité, le thème de la lecture fait revivre en nous ce sentiment de l'existence d'un esprit qui, lui également, a un besoin pressant de quoi vivre, l'imaginaire.

Et puis, il y a cette atmosphère de morosité ambiante, d'une cité dévorée par la routine, d'un matérialisme malsain, où tout se construit sur le néant de l'autre face de l'être, sa dimension spirituelle, son pouvoir de transcender les frontières, les plus hermétiques, ses attaches à l'humain. La lecture est encore signalée aux abonnés absents, dans les bibliothèques communales ouvertes partout, les salons du livre se font rares, la concurrence des nouveaux médias tue chez certains le plaisir de feuilleter un livre grandeur nature, de humer la senteur de ses pages, comme au premier jour, la lecture est l'art de s'envoler dans les airs, où l'esprit retrouve par enchantement toute sa plénitude.