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Le torchon brûle entre le sénat américain et l'Arabie saoudite

par Reghis Rabah*

Les prix du baril de pétrole est remonté jeudi dernier jusqu'à 62,02 dollars principalement à cause des données liées aux stocks du terminal américain de Cushing, très scruté par les investisseurs, et surtout des déclarations intentionnelles sous forme de message fort dans la presse saoudienne sur une éventuelle suspension des exportations d'Arabie saoudite vers les Etats-Unis.

Sur le New York Mercantile Exchange (Nymex), le baril de «light sweet crude» (WTI) pour janvier a pris 1,43 dollar à 52,58 dollars. L'un des catalyseurs de la hausse vient de la publication de chiffres en baisse sur les stocks du terminal de Cushing lors des jours précédents», a commenté Bart Melek de TD Securities, des données publiées jeudi par la société Genscape. Ce terminal pétrolier est particulièrement surveillé par les investisseurs dans la mesure où il sert de référence à la cotation du pétrole à New York. Ce yoyo a été de courte durée puisque le samedi au mardi, le prix du baril du Brent pout livraison en février est redescendu à 60,15 dollars perdant ainsi prés 1,15 dollars par rapport à la veille, pour s'établir aujourd'hui à l'heure où nous écrivons à moins de 58,65 dollars pour le Brent et 49,28 dollars pour le WTI.Rappelons que le sénat américain a infligé jeudi un double revers à Donald Trump en demandant l'arrêt du soutien des Etats-Unis à la coalition internationale au Yémen et en pointant du doigt la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Elles ont été approuvées grâce aux votes de sénateurs démocrates et républicains. Bien que dans la pratique procédurale, ces deux résolutions distinctes n'iront pas plus loin que le Sénat pour l'instant, elles ne devraient pas être débattues à la Chambre des représentants, au moins jusqu'au changement de majorité en janvier, et ne semblent pas prêtes de recevoir la signature du président américain qui entretient de bonnes relations avec l'allié stratégique saoudien. Mais elles ont une forte portée symbolique et témoignent de l'immense colère des sénateurs face à Ryad, provoquée par ce conflit sanglant et par le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Les 49 démocrates sur les 100 sénateurs américains ont voté en faveur de la résolution sur le Yémen ainsi que sept sénateurs républicains. Trois républicains se sont abstenus. «Nous ne nous laisserons plus dicter notre engagement militaire par un régime despote et assassin en Arabie saoudite», a réagi le sénateur indépendant Bernie Sanders, l'un des promoteurs de ce texte. Cette résolution appelle le président américain à «retirer les forces armées américaines des hostilités au Yémen ou affectant le Yémen, sauf les forces américaines engagées dans des opérations visant Al-Qaïda ou des forces associées». Ce vote «envoie un message puissant de la part des Etats-Unis à la coalition» saoudienne, a estimé Daniel Schneiderman, du centre de réflexion International Crisis Group (ICG).

1- L'ONU conforte la décision du sénat américain

L'ONU a annoncé le même jeudi une trêve dans des régions menacées par la famine au Yémen, où quatre ans de guerre ont fait environ 10 000 morts et menacent jusqu'à 20 millions de personnes de famine. «La paix est possible», a réagi Mike Pompeo, chef de la diplomatie américaine, tout en restant muet sur les votes des sénateurs, visiblement gêné d'en parler pour ne pas froisser son chef. Mais la réponse est venue le lendemain du Moyen Orient où des officiels du royaume wahhabite ont laissé fuiter des informations selon lesquelles l'Arabie Saoudite pourrait baisser drastiquement des exportations vers les Etats Unis. Andy Lipow , patron de Lipow Oil Association a estimé « qu'il s'agit d'une menace saoudienne à l'attention du sénat américain qui souhaite punir l'Arabie Saoudite pour son rôle présumé dans l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. » Le lundi dernier, le royaume a réagit officiellement contre le vote des sénateurs américains qu'il considère comme une ingérence.

Cette situation pourrait fissurer l'actuelle bonne entente entre le président américain Donald Trump, fortement ébranlé pare l'inculpation de son avocat et le prince héritier Mohammed ben Salmane, ayant notamment facilité la décision de l'Arabie saoudite de faire baisser sa production d'or noir et d'encourager ses partenaires de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie à en faire de même lors d'une réunion vendredi dernier. Le cartel a annoncé à cette occasion son intention d'abaisser sa production d'1,2 million de barils par jour sur les six prochains mois. Cette réponse fortement médiatisée par la presse américaine du vendredi, n'a pas été du goût des sénateurs qui semble ouvrir la boite de pandore. En effet, la résolution exige d'autre part la libération de Raif Badawi, un blogueur emprisonné pour «insulte» à l'islam, de sa sœur Samar Badawi, ainsi que des militantes «prisonnières politiques» arrêtées en 2018. Les sénateurs prennent soin de souligner que la relation avec Ryad est «importante pour la sécurité des États-Unis et ses intérêts économiques». Mais ils dénoncent les actes «erratiques» du royaume, en citant notamment l'engagement de l'Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, l'affaire du Premier ministre libanais Saad Hariri et «la suppression de la dissidence» dans le pays. Ce comportement affecte, selon le texte, «la relation entre les États-Unis et l'Arabie saoudite, élément essentiel dans la stabilité de la région» notamment face à l'Iran. D'autres sources dans les coulisses du sénat, évoquent le retour de la loi permettant aux victimes du 11 septembre de demander justice à l'Arabie Saoudite et qui à été bloquée en 2016 par un veto de Barak Obama. En tout cas l'ombre de l'affaire Jamal Khashoggi n'a pas fini de livrer toutes ses conséquences.

2- de la COP24 à la COP 46, les énergies fossiles resteront au-devant de la scène

Dans son rapport annuel publié la semaine dernière, l'Agence Internationale de l?Energie (AIE) livre un avenir prometteur pour le pétrole et le gaz mais pas seulement en occident. En termes simples, d'ici 2040, les pays actuellement consommateurs verront leur approvisionnement en hydrocarbures diminuer progressivement mais resteront relativement en augmentation en Chine, Inde et au Moyen Orient. Avant ça, la demande devrait augmenter de 12 % pour atteindre 106,3 millions de barils par jour dans 22 ans. Légèrement supérieures aux prévisions précédentes, l'Agence a notamment pris en compte cette année l'assouplissement des normes d'émission de carbone pour les constructeurs automobiles américains annoncée par Donald Trump. Plus optimiste voire même rassurant, le rapport annonce l'inéluctabilité de la croissance de la demande qui changera de direction.

Jusqu'en 2025, la demande mondiale de pétrole va s'accroître au rythme d'un million de barils par jour supplémentaires par an. Ce n'est qu'ensuite que la cadence devrait ralentir, à seulement 250.000 barils par jour. Mais derrière cette croissance générale se cachent des inégalités d'évolution. En réalité, dans les pays développés, la consommation sera à la baisse, d'environ 400.000 barils par jour chaque année jusqu'en 2040. Et ce, grâce aux efforts d'économies d'énergie. Pour l'agence « L'époque où le podium des plus gros consommateurs de pétrole était occupé par l'Amérique du Nord, l'Union Européenne et la Chine est donc révolue » Dans l'Union européenne, la baisse est drastique. D'ici 22 ans, la consommation aura reculé de 42,3 % pour atteindre 6,4 millions de barils par jour. Mis à la diète également, avec un recul de la demande de 16 %, les Etats-Unis garderont toutefois une place sur le podium mais seront rétrogradés au second rang, derrière la Chine, dès 2035. La bonne nouvelle, est que ces déclins en Occident seront largement compensés par des progressions exponentielles de la consommation en Chine, en Inde et au Moyen-Orient. L'Empire du milieu aura ainsi atteint un rythme de consommation de 15,8 millions de barils par jour, soit 28,5 % de plus qu'actuellement. Le Moyen-Orient, avec une hausse de 43 % de la demande, devrait s'octroyer la troisième place du podium. Juste devant l'Inde, dont la consommation sera a priori équivalente à celle de l'Union Européenne et de la Russie réunies .Enfin, avec environ 6 millions de barils par jour consommés en 2040, l'Afrique va connaître elle aussi une forte croissance de la demande pétrolière. Notamment à cause de l'intensification du trafic routier. Le nombre de voitures en circulation devrait ainsi plus que doubler sur le continent entre 2017 et 2040. Encore une bonne nouvelle, l'offre sera en déca de la demande estimée à 103,4 millions de barils par jours pour une demande de dépassant les 106 millions de barils par jour.

3- Les études occidentales soufflent le chaud et le froid

Une étude de l'Institut Français Energies Nouvelles publiée en 2018 avait annoncé que les volumes d'hydrocarbures découverts ont chuté de 13 % en 2017 pour atteindre un plus bas depuis les années quatre-vingt-dix. Les dépenses d'exploration des compagnies ont chuté de 60 % en trois ans. Les zones explorées sont de plus en plus profondes et complexes d'un point de vue géologique. Les découvertes des compagnies pétrolières se réduisent comme peau de chagrin. Seuls 11 milliards de barils équivalent pétrole d'hydrocarbures ont été découverts en 2017, soit 13 % de moins que l'année précédente, selon une estimation de cette institution réputée crédible. La principale raison, mais ce n'est pas la seule, c'est que les compagnies n'en finissent pas de réduire leurs dépenses d'exploration. Le budget qu'elles y consacrent a encore reculé de 10 % l'an dernier, à 41 milliards de dollars. Soit un plus bas depuis au moins dix ans. Par rapport au pic à 100 milliards atteint en 2014, lorsque le prix du baril dépassait les 100 dollars, les efforts dédiés à la recherche de nouveaux champs ont chuté de 60 %.Qu'elles soient nationales ou privées, toutes les sociétés du secteur ont réduit leurs investissements de façon draconienne ces dernières années pour faire face à la chute des cours du brut qui amputait leurs bénéfices. Les investissements dans leur ensemble ont légèrement rebondi l'an dernier (+4 %), mais pas dans l'exploration, où le reflux s'est poursuivi. Plutôt que d'investir dans l'exploration, toujours risquée financièrement, beaucoup de compagnies ont pu augmenter leur production grâce au boom du schiste aux Etats-Unis. « Pour le schiste, pas besoin d'explorer, il suffit de forer ! », observe Sylvain Serbutoviez, auteur de l'étude à l'IFPEN. D'autres ont préféré faire des acquisitions pour augmenter leurs réserves en profitant de la faible valorisation des groupes pétroliers. C'est le cas de Total qui a repris le danois Maersk Oil l'an dernier. Ce qui est nouveau, c'est que la taille des découvertes est de plus en plus petite. Le temps des découvertes de champs géants au large du Brésil (à partir de 2006) ou bien au Mozambique et en Tanzanie (en 2010) est révolu. L'an dernier, la plus importante a été réalisée par le britannique BP, par plus de 2.000 mètres de fond dans les eaux sénégalaises.

4- Pourtant en 2019, un autre son de cloche

Contrairement aux prévisions sur la fin imminente de l'ère du pétrole et le tarissement de cette source d'énergie fossile, d'importantes découvertes de gisements sont encore réalisées : en Chine, dans le Golfe du Mexique, au Moyen-Orient, en Alaska, Repoussant toujours plus la tant attendue fin du pétrole. En outre, en mars 2017, un gisement géant de 1,2 milliard de barils (168 millions de tonnes de brut) a été découvert en Alaska. Selon la compagnie pétrolière espagnole Repsol, il s'agit de «la plus grande découverte conventionnelle d'hydrocarbures des 30 dernières années sur le sol américain», sans parler des sables bitumineux au Canada... Mais c'est l'Arctique qui suscite la convoitise : avec la fonte continue de la banquise à cause du réchauffement climatique, l'exploitation de cette zone permettrait de voir les productions d'hydrocarbures grimper en flèche. Dans l'est du Mexique a été localisé le plus important gisement de pétrole en 15 ans. Il est estimé à 1,5 milliard de barils de pétrole brut (210 millions de tonnes). En novembre 2017, la compagnie pétrolière chinoise Petro China annonçait la découverte de l'un des plus importants gisements de pétrole du pays, relate l'agence de presse Chine Nouvelle ou Xinhua. Le champ pétrolifère de la zone de Mahu, situé dans le basin de Junggar (région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine du nord-ouest) possède déjà une réserve avérée de 520 millions de tonnes de brut, mais devrait en fait en contenir 1,24 milliard selon les résultats des dernières prospections annoncés par le géant pétrolier Petro China. Et ce n'est pas fini ! «Tang Yong, géologue de Petro China, a précisé que la zone disposait de conditions naturelles permettant la découverte d'une autre réserve d'un milliard de tonnes», indique Xinhua. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la consommation actuelle de pétrole dans le monde est d'environ 96 millions de barils par jour et devrait dépasser le seuil symbolique de 100 millions de barils par jour en 2019, puis s'établir à 106 millions en 2040. En théorie, la nouvelle réserve chinoise de 1,24 milliard de tonnes pourrait donc satisfaire près de 100 jours de consommation. Début avril 2018, le petit pays du Golfe, Bahreïn, annonçait la découverte du plus grand champ pétrolier jamais découvert sur le territoire : 80 milliards de barils de pétrole de schiste. Situé dans des eaux de faible profondeur au large des côtes ouest de Bahreïn, ce champ s'étend sur une surface de 2 000 km², face au géant mondial du Pétrole : l'Arabie saoudite. Le directeur de l'exploration de la compagnie nationale Bahreïn Petroleum Co., Yahia al-Ansari a indiqué que l'exploitation ne devrait pas débuter avant cinq ans. En Octobre 2018, il ya aussi eu la découverte de deux gisements de pétrole dans le Golfe du Mexique Pour le gouvernement mexicain, il s'agit de l'une des 10 «découvertes les plus importantes au monde au cours des 15 dernières années». C'est la compagnie pétrolière mexicaine Pemex qui assurera l'exploitation de ces deux principaux gisements :Manik, situé dans l'état mexicain de Campech à 4 765 mètres de profondeur, a un potentiel de 80 millions de barils. Mulach, situé dans l'état de Tabasco, compte cinq puits avec un potentiel total de 100 millions de barils. Alors qui croire ?

*Consultant, Economiste Pétrolier