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Lettre à Moad Bouchareb

par El Yazid Dib

Vous voilà en un mouvement, deux actions, devenu le troisième personnage de l'Etat. A cette charge là, si l'on respectait l'esprit parlementaire, votre rôle serait d'agir selon les aspirations complexes de ceux et celles qui vous ont mis en orbite. Les électeurs et le pouvoir. Les deux fonctions que vous assumez Monsieur, ne peuvent vous permettre de continuer à vous stationner dans des serrures ou dans de mauvaises alliances. Comptez sur votre jeunesse, l'atout qui vous a sélectionné, pour savoir faire multiplier le temps à ceux qui en manquent et produire de l'espoir à ceux qui l'ont déjà et depuis longtemps perdu.

Tout le provisoire semble vous enrober. De l'instance dirigeante au perchoir qui vacille. Le parti que vous croyez vouloir rebâtir souffre d'un mal chronique infestant toute son ossature, allant jusqu'à contaminer ses nobles fondements. Vous aurez à lutter contre les clans que vous estimez pouvoir détruire. Contre les pressions, les compromis, le gain et le profit. Vous aurez à vous faire du chagrin pour n'avoir pas pu vous faire comprendre. Le monde politique n'est pas né dans la soie d'un fauteuil luxueux ou dans les jolies prairies du mont Boutaleb. Ce monde est insensible et travaille comme un broyeur qui finira par broyer ceux qui l'ont imaginé.

La cooptation, les arrangements contre-nature et le démantèlement des os durs vous seront plus faciles que le changement des mentalités ou le retour au vrai militantisme. Vous saurez davantage que les gens prennent le parti pour une agence d'emploi ou une couverture politique pour certaines fortunes. Vous aurez aussi à combattre ce miracle itératif d'exhumer des momies pour leur attribuer un nouveau souffle politique. Hélas vous ne vaincrez jamais le circuit financier insalubre, que je refuse de nommer la chkara.

Si chacun des militants de votre organisation savait faire son auto-évaluation et taire ses ambitions et mesurer ses capacités, la norme partisane aurait été celle d'une gestion sans rancœur, sans copinage, sans contrepartie. Faites Monsieur qu'il n'y ait plus de députés mouhafedh et faites-en une incompatibilité élective. L'on ne peut être élu et représentant toute sa population locale pour une mission donnée et exercer une autre de surcroît partisane. A la fonction que vous pratiquez maintenant au parti, êtes-vous toujours ce député à mandat national censé rapporter au plus haut niveau les souffrances de vos électeurs ou vous considérez-vous comme un haut fonctionnaire gérant une organisation partisane ?

Il n'y a plus d'idéologie, ni de combat d'idées au parti. Il n'y a que la lutte des indemnités et des postes à pourvoir. Faites Monsieur qu'il y ait un cahier des charges pour que chaque militant qui aspire à se porter candidat doit avoir au moins tant d'années de militantisme, sinon vous maintiendrez le parti dans sa fonction actuelle de fournisseur d'emplois. Dites-leur que l'engagement politique est un acte de bravoure, de conviction et de conscience, gratuit et bénévole.

Ne prenez pas, Monsieur, vos photos personnelles, ni votre agenda téléphonique pour le seul listing de devoir recruter, dedans, des gens avec qui vous comptez rebâtir l'édifice. Élargissez votre vision, jetez un regard, loin de votre environnement immédiat ou de vos anciennes liaisons. Bannissez ces carriéristes qui font des mandats électifs répétitifs une profession à défaut d'en avoir une autre. C'est dans la limitation de leurs mandats que vous aurez à trouver le renouveau et le sang neuf.

Dans les instances d'un parti, comme dans les rouages d'un Etat, la passion et les p'tites envies cèdent leur place à la compétence et à la détermination. Sachez enfin Monsieur garder votre modestie et ne vous éblouissez pas outre mesure des vivats que vous font ceux-là mêmes qui les ont faits à tous ceux qui vous ont précédé. La roue tourne et la chaise pivote.