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L'effet octobre

par Mahdi Boukhalfa

La mise en détention provisoire de six hauts gradés de l'ANP, dont cinq généraux majors, est un véritable électrochoc. Même si des officiers supérieurs ont été déjà jugés et mis en détention et l'institution militaire ne déroge pas aux principes fondamentaux de la justice. C'est un fait établi, mais ce qui se passe actuellement au sein de l'ANP n'est pas également un fait anecdotique pour que cela ne retienne pas l'attention. Mettre en même temps en détention provisoire cinq généraux majors et un colonel, après leur limogeage, est certes une première pour la justice militaire et un geste hautement significatif au sein d'une institution où d'habitude ce genre de décision ne sort pas «des casernes».

Là, c'est au contraire une sorte d'ouverture extraordinaire de la «grande muette», une fenêtre historique sur la société, comme une décision qui interpelle les Algériens, qui les prend à témoins, que l'ANP est, et reste, une partie de la société algérienne. Médiatiquement, politiquement, la décision de rendre publique l'incarcération de six officiers supérieurs, en attendant la communication sur les faits qui leur sont officiellement reprochés et sur lesquels ils devraient être jugés, confirme «in fine» la modernisation donnée par petites touches à l'ANP, de plus en plus orientée vers une armée de professionnels, une armée de métier. Et plus que tout, une armée centrée sur ses métiers, sa mission, celle de la défense et la sécurité du pays. Une armée en somme qui ne saurait se complaire dans des postures et des comportements contraires à ses principes, à sa mission, à ses objectifs.

Les cinq généraux majors mis en détention, dont trois ex-chefs de régions militaires, ont été limogés par le président de la République, puis ont été interdits de sortie de territoire par le tribunal militaire de Blida. L'autre message de l'arrestation et la mise en détention préventive de ces officiers supérieurs, qui pourraient cependant être innocentés des griefs qu'on leur reproche, lors de leur procès, serait que tous les Algériens, quels qu'ils soient, sont égaux en droits et en devoirs, donc devant la justice. C'est là un des grands axes de la Constitution révisée de mars 2016 décidée par le président Bouteflika. En effet, dans son chapitre IV, article 32, la loi fondamentale dispose que «les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale».

Pour autant, beaucoup voient dans cette affaire une sorte de fin de l'impunité, à quelque niveau que ce soit des institutions nationales, un nouvel état de grâce pour la justice algérienne, qu'elle soit civile ou militaire, mais une justice qui doit rester indépendante, qui ne sert aucune partie politique ou autre et, surtout, qui défend la démocratie, les libertés individuelles, les droits de l'homme et promeut les grandes valeurs universelles d'un Etat de droit. Tout autre écart de cette ligne rouge ne donnera lieu qu'à une justice parcellaire, celle d'une société qui se cherche encore et pour qui les droits de l'homme sont encore un terrain en friche, à conquérir, à s'approprier.

Aujourd'hui, alors que les affaires de népotisme, de corruption, de trafic d'influence ou d'abus de pouvoir font florès dans plusieurs administrations, y compris au sein des grandes entreprises nationales, ce qui vaut à l'Algérie une peu reluisante 115ème place dans le classement mondial de Transparency International, il est plus que vital de lutter, avec la dernière énergie, contre ces fléaux qui menacent de plonger le pays dans le chaos et l'anarchie la plus totale.