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Crise financière: «Où va la Turquie ?»

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Ecartelée entre ses ambitions géostratégiques dans la région et celles des Américains, la Turquie d'Erdogan affronte les premières conséquences sur son économie: une crise financière et bancaire qui menace sa stabilité politique.

La Banque centrale turque a annoncé ce lundi qu'elle met à disposition du secteur financier (les banques) un total de 6 milliards de dollars pour parer à la chute brutale de la monnaie nationale, la livre turque. Il aura fallu plus d'une semaine pour que la Banque centrale turque réagisse au dernier «coup de foudre» qui a plongé la livre turque, de moins 20% de sa valeur par rapport au dollar, totalisant une dévaluation à plus de moins 40% depuis le début de l'année. Est-ce suffisant pour juguler la crise financière qui menace sérieusement toute l'économie turque? Pas automatiquement, et le président turc, Tayyip Erdogan, le sait et a lancé dans la foulée un appel à ses concitoyens pour déposer leurs devises (dollar et euro) ainsi que leur or dans les banques pour stopper le risque d'une inflation, déjà galopante (16%), qui a érodé largement le pouvoir d'achat des ménages.

Rappelons que la crise bancaire turque est la conséquence du relèvement des taxes douanières américaines sur des produits turcs, principalement l'acier et l'aluminium de plus de 50% qu'Ankara impute à des desseins politiques. La lutte d'Ankara contre les Kurdes de Syrie soutenus par les USA piège le dialogue politique entre les deux Etats sur les enjeux géostratégiques dans la région du Proche- et Moyen-Orient. Idem pour la question palestinienne et les rapports avec le gouvernement israélien. Du coup, la Turquie se retrouve écartelée entre ses positions politiques et ses ambitions stratégiques et économiques dans la région.

Ce dilemme géopolitique est aggravé par sa qualité de membre de l'Otan, donc de l'alliance avec les USA avec lesquels elle vit une série de contentieux politiques et économiques. Le dernier en date concerne le pasteur américain accusé d'espionnage, en résidence surveillée après son emprisonnement durant plus de 2 ans, dont le président Donald Trump exige la libération. Le président Erdogan réplique à Trump en demandant l'extradition de Fethullah Gülen accusé d'être derrière la tentative de coup d'Etat de l'été 2016. Les prétextes sont nombreux des deux côtés et servent une surenchère politique et surtout économique largement en défaveur de la Turquie. Les entreprises et managers turcs se sont beaucoup endettés en empruntant en dollar et se trouvent aujourd'hui par l'effet inflationniste incapables d'honorer leurs dettes et encore moins activer de nouveaux plans de charge. La menace de faillite est réelle et les investisseur étrangers l'ont senti et ont commencé à retirer leurs avoirs des banques turques et stoppé leurs partenariats avec les entreprises turques. Pour tout dire, les indicateurs financiers et économiques de la Turquie sont au rouge et la tentation d'inonder l'économie par la «planche à billets» sous le vocable «d'emprunt non conventionnel» où le Trésor public emprunte à la Banque centrale n'est pas loin. Avec une telle perspective la Turquie aggravera sa dette interne, l'inflation, et hypothéquera toute reprise ou croissance dans le court et moyen terme. La Turquie se trouve piégée dans une sorte de toile d'araignée où ses ambitions politiques et géostratégiques ne favorisent pas ses appétits et aspirations économiques, car très dépendants de ses relations avec les Occidentaux, notamment les USA. Erdogan ne ment pas lorsqu'il affirme que son pays est sujet à une guerre économique avec les USA en sous-entendant que son pays vit une sorte de chantage de Washington. Chantage dont les raisons sont à chercher du côté de la crise syrienne, de la question palestinienne et aussi du côté de la couleur politique d'obédience islamiste du pouvoir turc. La méfiance américaine et occidentale vis-à-vis d'Ankara n'est pas une vue de l'esprit. Erdogan semble cerné par ses amis-adversaires occidentaux et il lui sera difficile de sortir son pays de cette équation à plusieurs inconnues qui menace à la fois son régime politique et la stabilité de la Turquie. Le président turc menace lui aussi de chercher d'autres partenaires comme la Russie, la Chine et l'Iran. C'est-à-dire qu'il joue la surenchère en espérant clamer le mécontentement américain. Chose qu'adore un Donald Trump joueur et amateur de paris et de confrontations sur lesquels il fonde sa politique étrangère.