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Et la Seine déborda

par Moncef Wafi

L'épisode neigeux sur Paris a fini par faire sortir la Seine de son lit. En l'espace de 48 heures, l'eau arriva jusqu'aux chevilles de la Tour Eiffel et Macron décréta l'état d'urgence alors qu'on continuait toujours à vendre des chocolats et des macarons au Marais. Partout en France, on se noya lorsque les rivières en crue débordèrent et inondèrent villes et villages. Les plaines disparurent sous des dizaines de mètres de flotte et le temps suspendit son envol au-dessus des survivants. L'eau déborda aux frontières, submergeant le reste de l'Europe qui se retrouva au milieu d'une mer intérieure. Les pluies diluviennes menacèrent de rayer l'Europe de la carte de la terre et de faire de ses habitants une denrée aussi rare que l'honnêteté intellectuelle chez nous.

Le monde découvrit l'ampleur du drame et les survivants, perdus sur les radeaux de fortune, s'organisèrent pour résister. La loi du plus fort, du plus armé et une démocratie mouillée qui ne résista pas au premier essorage. Beaucoup d'eau, peu de terre et la promesse d'un continent d'accueil. Les regards se tournèrent vers le soleil de l'Afrique et on assista à une véritable régate en direction des côtes de la rive sud. Les Français choisirent les quais d'Alger et d'Oran, les Italiens, les rivages libyens et les Anglais retrouvèrent leurs territoires zoulous. Les Allemands, de piètres marins, se perdirent entre la Pologne et l'Autriche. Des plages de l'Afrique, on suivit cette invasion avec circonspection et les avis furent partagés à la manière de la manne pétrolière en Algérie : 90% pour les autres, 10% pour le peuple. Doit-on les recevoir ou les empêcher de mettre pieds à terre ?

La question mérita réflexion mais avant même qu'on décida, ils étaient déjà là. En terrain conquis. Ils s'installèrent comme chez eux, se répandant sur le reste des pays tels des criquets voraces venant de la Mauritanie. Certains découvrirent pour la première fois le soleil et les habitants à la peau brune dans leur habitat naturel, loin de la grisaille de Sarcelles et de Créteil. Quelques années plus tard, alors que la terre de l'Europe n'avait pas encore bu toute son eau, l'Afrique avait de nouveaux maîtres, des blancs délavés aux yeux bleus durs, accompagnés de leurs scribes indigènes qui contèrent, pour la postérité, l'imposture des hommes.