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La Palestine sous le mythe sioniste : «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre.»

par Abdelhak Benelhadj

« Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme... » Galates 03:29.

One man one vote

La Révolution Française a emprunté au christianisme qui l'a lui-même empruntée à la philosophie grecque une pièce essentielle des valeurs politiques qui gouvernent la plupart des nations du monde d'aujourd'hui, au moins au niveau du principe : l'idée de citoyenneté, d'égalité en droit et d'appartenance à une humanité commune. Affirmant, par-delà les différences culturelles, d'où qu'elles procèdent, le primat de la culture sur « l'ordre naturel ».

Tout ordre social et politique qui enfouit toute sa raison dans ses racines perd le sens de l'histoire et enterre son crédit aux côtés des tératologies mortifères du passé.

Ontologie israélienne.

Sous le titre « Opinion In Israel, Growing Fascism and a Racism Akin to Early Nazism »[1] Haaretz a publié ce vendredi 19 janvier 2018 le texte de Zeev Sternhell[2]. Ce papier pointe les travers que Shlomo Sand avait identifiés, menaçant les fondements mêmes de sa perpétuation. Pays initialement laïc peuplé de kibboutzim, il a dégénéré en un Israël fantasmé, mythifié, peuplé de yeshiva intégristes, intolérantes, en quête de pureté « raciale » ombrageuse.

Rapprocher en l'identifiant le sort des Juifs sous le nazisme et les Palestiniens sous l'occupation israélienne, exige à la fois beaucoup de courage personnel [3] et une grave rupture historique dans le roman national judéo-israélien.

Le constat de Sternhell est concis et limpide. Il ne manque que sa conclusion logique qui se profile comme un non-dit évident : Israël est une entreprise de colonisation qui appelle à une décolonisation. Terme d'une spoliation de près de 70 ans. Le mythe du « peuple sans terre sur une terre sans peuple » a vécu.

Il commence son propos par une fiction rétrospective :

« Je me demande souvent comment un historien, dans 50 ans ou dans 100 ans, analysera les temps que nous vivons. Il voudra savoir à quel moment l'opinion israélienne avait commencé à réaliser que l'Etat créé par la Guerre d'Indépendance, sur les ruines des communautés juives d'Europe, et au prix du sang de combattants dont une partie était elle-même des survivants du génocide, avait dégénéré en une véritable monstruosité pour ses habitants non juifs. Quand certains Israéliens ont-ils compris que leur cruauté et leur capacité à brutaliser l'autre, palestinien ou africain, avait commencé à saper la légitimité morale de leur existence en tant qu'entité souveraine ? »

Il poursuit : « ... la loi sur l'Etat-nation a été rédigée par ce qui se fait de pire chez les ultranationalistes européens. Mais dès lors que la gauche ne l'a même pas dénoncée au cours sur le boulevard Rothschild, on peut considérer que le premier clou a été enfoncé dans le cercueil du vieil Israël, celui dont la Déclaration d'Indépendance est bonne pour le musée. Cette relique archéologique renseignera le visiteur sur ce qu'Israël aurait pu être s'il n'avait pas été désintégré par la déchéance morale apportée par l'occupation et l'apartheid dans les territoires.

Pour lui, la voie choisie par les autorités de son pays est claire : « ... les Arabes ne sont pas des Juifs, alors ils ne peuvent revendiquer aucune partie de la terre promise au peuple juif. »

Toute aussi claire est la loi de l'Alya ainsi rappelée : « ...un juif de New York qui n'a jamais posé le pied dans ce pays est le propriétaire légitime de celui-ci, tandis qu'un Palestinien dont la famille a vécu ici depuis des générations est un étranger, n'habitant ici que grâce à la bienveillance des Juifs. »

Et cette politique repose sur un large consensus : « La gauche n'est plus capable de vaincre la toxicité de l'ultranationalisme qui a envahi ce pays, celui dont la souche européenne avait quasiment exterminé la majorité du peuple juif. »

En sorte que l'article de Zeev Sternhell, parlant d'Israël au passé, comme d'une relique qui aurait une valeur muséologique, ne serait rien de moins qu'un acte de décès virtuel de ce monstre belligène qui a franchi les limites humaines raisonnables.

Tout a été fait pour en amoindrir, pour en gommer les excès, pour en limiter les outrances. Avec un contrôle strict des réseaux d'information (et une offensive orchestrée contre tout dissentiment, traité de « complotisme » ou de «fake news infalsifiables » afin de les décrédibiliser). En vain.

Naturellement, les rapports de forces géopolitiques actuelles à l'échelle mondiales et régionales, donnent à l'idée de décolonisation appliquée à la Palestine une dimension utopique (au mauvais sens du mot). Même l'Autorité Palestinienne, depuis Arafat, a renoncé à cette idée.

Au reste, qui pourrait imaginer sérieusement un démantèlement de cette caserne enkystée si fortement armée, si bien défendue, confortée par la présence d'armadas étasuniennes mouillant en Mer Méditerranée, dans le Golfe arabo-persique et dans l'Océan Indien, disposée s'il le fallait à jouer au Dr Folamour ?

Seule, une restriction morale factice, péniblement contrainte, limite la volonté d'Israël (gouvernement et société affirme Sternhell), et des immenses forces militaires américaines qui encerclent le Proche Orient de ne pas raser immoler toutes les populations qui les « gênent ». Ce ne sont pas les projets et la tentation qui manquent. Dans un monde hyper-médiatisé il serait bien difficile de passer à l'acte sans dommages graves pour les apprentis sorciers qui se laisseraient tentés par les abominations...

L'opinion publique occidentale verrait immédiatement la contradiction qu'il y aurait d'un côté à prêcher des « valeurs humanistes de démocratie et de respect universel de la vie » et, d'un autre côté, à exterminer en grand nombre des êtres humains sans défense, malgré une intense intoxication à exagérer aussi considérablement que possible (atteignant quelques fois un paroxysme risible) la nocivité d'un « terrorisme mondialisé menaçant la paix civile », ce qui justifie les bavures « compréhensibles », des « assassinats ciblés extrajudiciaires », la multiplications un peu partout de Guantanamo, ou de Patriot Act qui placent les citoyens devant un choix impossible : troquer leur liberté contre leur sécurité...

Retour à l'Ancien Testament : de l'en-soi à l'entre-soi.

Fonds de commerce traditionnel de vie politique américaine, c'est sous le mandat de R. Reagan que les Tea Party et les Eglises Evangéliques avec ses variantes pentecôtistes, baptistes... occupent le terrain idéologique dans un monde occidental en pertes de repères. L'arrivée en février 2013 du Cardinal Ratzinger, patron de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Sainte Inquisition), à la tête du Saint Siège [4] n'est évidemment pas un hasard. Peu à peu, Vatican II est érodé et St Nicolas du Chardonnet retrouve en France le chemin de la maison commune...

En sorte que ce qui se passe en Israël participe d'un mouvement plus général qui s'étend depuis de nombreuses années dans tout le monde occidental, dont le président américain actuel est emblématique (sa répartie savoureuse sur les « pays de merde » en témoigne). Israël devient la pointe civilisée la plus avancée dans l'espace barbare. Le gardien des racines et le garant des intérêts immanents de tous ceux qui ont quelque chose à « conserver » et à faire prospérer.

L'intellectuel israélien achève son papier par une citation : « »Un Palestinien, déclare Zohar à Hecht, n'a aucun droit à l'auto-détermination puisqu'il ne possède pas la terre de ce pays. Parce que je suis une personne décente, je veux bien qu'il réside ici, s'il y est né et qu'il y vit, et je ne lui demanderai pas de partir. Mais je suis au regret de constater qu'ils souffrent d'un grand désavantage : ils ne sont pas nés juifs». Zeev Sternhell conclut : « On peut en déduire que même si les Palestiniens se convertissaient en masse, qu'ils se laissent pousser des papillotes et qu'ils étudient la Torah, cela ne leur serait d'aucun secours. Telle est la situation des demandeurs d'asile Soudanais et Erythréens et de leurs enfants, qui sont des Israéliens à tous égards. C'était comme çà avec les nazis. Puis vient l'apartheid, qui pourrait dans certaines circonstances être imposé aux Arabes citoyens d'Israël. Mais cela n'a pas l'air de préoccuper la majorité des Israéliens. »

De la « reconnaissance » et des « guerres humanitaires ».

Cette situation n'est pas propre à Israël. Un peu partout en Europe, ce n'est plus l'intégration qui est exigée des populations halogènes, y compris celle qui y vit depuis très longtemps ou qui y est née. Désormais, ces populations culturellement et cultuellement différentes sont sommées de s'assimiler et de renoncer à leur différence.

Mais là est le piège. Là est le double-bind.

Car même assimilées, même si elles renonçaient à leurs noms et à leurs prénoms, à leurs cultes, à leurs tabous alimentaires, même si elles se mettaient à consommer de l'alcool ou du porc, à « normaliser » leur accoutrement vestimentaire, aucune bonne volonté, aucune démonstration de ferveur patriotique rien ne compenserait l'absence de racines, aucune bonne volonté ne saurait conférer ce que seule la nature est en état d'offrir et de consacrer.

Travaillé par une profonde entreprise de déchristianisation, l'Occident, entretenu dans une terreur de déferlement et de « Grand « Remplacement » démographique, répudie le Nouveau Testament et reprend à son compte les valeurs du Pentateuque.

Le Juif se tient pour responsable du « goy », du « gentil » et le goy s'occupe du barbare.

A constater les monstrueuses entreprises guerrières occidentales depuis janvier 1991 en Irak, en Afghanistan, en Somalie, au Yémen, en Egypte, au Soudan, en Libye... La plupart de ces pays et de ces sociétés ont disparu ou sont en train de disparaître. Ces différents pays dépourvus d'Etat identifiable, opérationnel, de protocoles autonomes de décisions, d'un droit commun ainsi reconnu par ses citoyens, n'existent plus. De nombreuses villes naguères florissantes et industrieuses de la vénérable Mésopotamie, là où le Néolithique a vu le jour, sont des champs de ruine.

Tout cela au nom du droit, de la liberté, de la démocratie et de la charité humaine.

L'Irakien, le Syrien, l'Afghan, le Libyen... ordinaire qui a vu disparaître père, sœur, cousin, ami, voisin, maison, village, bétail... se prend à regretter l'enfer de la dictature et se prend à supplier l'Occident bienfaiteur de lui rendre les tyrans qui l'oppressaient et les régimes détestables sous lesquels il vivait avec ses proches, sans avoir eu besoin de migrer par millions, de risquer de se noyer en Méditerranée et de venir quêter la généreuse charité des pays européens où il est si mal reçu.

« De grâce, vaquez à vos affaires, faites votre chemin et cessez de tenter de nous libérer »

Le silence de la mer

Tout cela relativise considérablement, aussi belle, aussi authentique et aussi juste soit-elle, confrontés à l'insondable bêtise et à la brutale iniquité, la prose critique de certains de nos poètes emphatiques, face à la mer, coincés entre les minarets castrateurs et la nostalgie qui suinte l'ennui.

[1] « L'opinion israélienne, un fascisme et racisme comme le nazisme à ses débuts »

[2] Politologue, membre l'Académie israélienne des sciences et lettres depuis 2010.

[3] Il a été « légèrement blessé, jeudi 25 septembre 2008, par un engin explosif devant chez lui ». « La police a dit soupçonner les milieux ultranationalistes israéliens d'être responsables de l'agression ». Wikipedia.

[4] Monarchie absolue de droit divin et élective.