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Autosuffisance, par procuration

par Mahdi Boukhalfa

L'Algérie en phase d'atteindre l'autosuffisance alimentaire. Cette affirmation surréelle, béate et optimiste du ministre de l'Agriculture étonne. Et renvoie à la finalité, cachée ou non, de cette déclaration d'un ministre à peine arrivé à la tête d'un département qui n'arrive ni à augmenter la production, ni à réguler l'offre de produits agricoles et encore moins à en maîtriser les prix. Etrangement, les décideurs n'arrivent pas, même s'ils sont très souvent novices dans cette haute fonction qui appelle à plus de retenue, de réserve et de sagesse, à avoir le sens de la mesure, ni à se débarrasser de certains réflexes qui rappellent la triste époque de «la langue de bois».

En affirmant que l'Algérie va atteindre l'autosuffisance alimentaire et qu'elle ne va plus importer de produits agricoles, le représentant du gouvernement oublie certainement que le pays est importateur net de sucre, qui n'est pas produit en Algérie, de café et, surtout, de produits céréaliers, dont beaucoup sont indispensables pour la fabrication d'aliments de bétails. Mieux, si l'Algérie va passer à l'autosuffisance alimentaire, il est logique qu'elle doit par contre passer à la seconde phase, celle de l'exportation des excédents de production agricole. Et là, le ministre de l'Agriculture reste bien discret. La vérité étant autre, et même amère, avec des prix de produits du couffin qui ont dépassé l'entendement et le raisonnable, il ne peut y avoir d'autosuffisance avec une inflation ascendante. Cela tombe sous le sens, car s'il y a assez de nourriture pour les presque 40 millions d'Algériens, les prix des produits agricoles devraient baisser, car produits en quantité suffisante, et donc avec de gros surplus à orienter vers l'exportation.

Non, la réalité est que le secteur agricole ne peut pour longtemps assurer et assumer une autosuffisance alimentaire, ni générer assez de production pour envisager des exportations régulières. Cet objectif, un des axes prioritaires de la Révolution agraire lancée dans les années 1970, est toujours en «cours» et n'a pas été encore atteint. Malgré les affirmations du ministre de l'Agriculture, qui n'est d'ailleurs pas le premier à avoir claironné une telle contre-vérité. A tout le moins, il s'agit d'une autre déclaration à forte résonance politique incongrue et déplacée, à un moment d'ailleurs de fortes pressions sur le gouvernement. A commencer par les arbitrages sur les volumes et les produits agricoles à importer pour 2018. Les déclarations du représentant du gouvernement font en réalité sourire, car en fait aucun pays ne peut dire qu'il est affranchi des importations de produits agricoles, à commencer par les grands producteurs-pourvoyeurs de nourriture au reste du monde.

Il faut donc recontextualiser ce débat sur l'autosuffisance alimentaire et parler plutôt, comme le dictent les objectifs de la FAO, de nourriture. La bataille comme les enjeux commerciaux, aujourd'hui, ne sont pas tant dans cet objectif plus ou moins éculé, mais dans la capacité de produire de la nourriture et sécuriser l'alimentation de sa population. Or, dans le cas de l'agriculture algérienne, l'aliment de base, les céréales, est toujours importé avec une valeur annuelle de 2 milliards de dollars en moyenne et place le pays parmi les dix premiers importateurs de blé au monde. L'Algérie importe «son pain» quotidien et dépend en cela d'une poignée de fournisseurs sur les marchés extérieurs. C'est par rapport à cette triste réalité qu'il faut tempérer les ardeurs des uns et des autres et mettre en berne certaines déclarations triomphalistes, trompeuses et, surtout, sans valeur ajoutée pour l'économie du pays comme pour le citoyen. Par contre, on peut rechercher, et même l'obtenir, une couverture minimale, honnête des besoins alimentaires de sa population et produire assez de nourriture pour satisfaire une demande en hausse constante. Sans le crier sur tous les toits.