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A la sauce spaghettis

par Mahdi Boukhalfa

C'est l'histoire de cet homme qui expliquait à son fils les rudiments de la vie. L'enfant écoutait son père tout en calculant le nombre des fourmis qui entraient et sortaient d'un trou dans le sol. Au final, quand le père dit à son fils s'il a compris la leçon, l'enfant lui répond: «100 sont entrées, et 100 sont sorties».

Cette histoire populaire s'applique fatalement à ce que vivent les Algériens depuis maintenant la moitié des années 1990: trente ans de gouvernements qui se succèdent à la vitesse de l'éclair. Inutile de les compter tous depuis que M. Ouyahia avait été désigné chef de gouvernement par l'ex-président Liamine Zeroual. A lui seul, Ahmed Ouyahia a établi un record historique, bon pour le palmarès algérien des étrangetés politiques. Le changement de Premier ministre, à un moment où les Algériens croyaient tenir un bon ?'chef de gouvernement'' est un signe qui ne trompe pas sur l'extrême dégénérescence de la chose politique et, partant, de la chose publique dans tous les gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années 2000.

Est-il dès lors grand clerc pour dire que le pilotage de l'Algérie est à vue, sans commande, au sens du vent qui descend des sommets de l'Etat. Le peuple, non, il n'est pas consulté, ni avisé de ce que font les responsables qui lui dictent ce qu'il doit manger, quand manger, quand penser, quand ne pas penser et, surtout, quand il faut fermer les yeux, sans savoir pourquoi.

Le limogeage de Tebboune n'a pas été expliqué aux Algériens qui, pour la première fois, ont été un peu emballés par sa politique de gestion et de containement du pouvoir de l'argent, puisqu'il voulait séparer le politique, la gestion de la chose publique et la prédation. Mal lui en a pris. Et, à défaut d'une communication officielle, respectueuse des électeurs qui vont voter dans quelques semaines pour le renouvellement des assemblées locales, il n'y a que les suppositions, quelques hypothèses sur les raisons d'un limogeage, d'un retour d'un homme habitué aux ?'missions difficiles''. Comme si ce peuple, ces Algériens qui ont chez eux des couffins pour toutes sortes de courses, ne méritaient pas quelques explications sur ce revirement subit de la politique du président. Puisque c'est lui qui nomme et qui dégomme, il aurait pu avoir l'amabilité d'expliquer les raisons du départ inattendu et précoce de Tebboune. L'homme a-t-il dérangé des intérêts, a-t-il gaffé, a-t-il mis les pieds là où il ne fallait pas ? Qu'a-t-il fait de grave, en dehors de l'anecdotique incident avec le patron du FCE, pour qu'il soit remercié d'une manière tout à fait humiliante. Tebboune a été humilié. Juste après son retour de vacances, il est mis à la porte. Comme un malpropre, pensent ainsi ceux qui paient leurs factures d'électricité et vont voter pour le FLN ou le RND, qui vont acheter au marché leurs tomates et leur pomme de terre à des prix prohibitifs, ceux qui sont l'alibi de toutes les dérives politiques. Eux, ce sont ces gens qui pensent qu'ils sont ?'en plus'' dans un pays où tout fonctionne automatiquement, en mode pilotage automatique. Tebboune aurait voulu reprendre les commandes de l'avion, qui était en perdition, il s'est fait taper sur les doigts. Dans cet énième remaniement gouvernemental, Tebboune a pris dans les milieux populaires avides de cinéma italien le rôle du «Bon» et Ouyahia celui de la «Brute». Mais personne ne sait qui est «le Truand» dans ce scénario spaghetti.

Peut-être, se dit-on dans les cafés d'ici et d'ailleurs, que le Sphinx n'aurait pas été rappelé à la vie, si l'ex-Premier ministre n'avait pas interdit l'importation des spaghettis et la sauce qui va avec.