Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Algérie, Tunisie et Egypte: Une tripartite pour tenter de sauver la Libye

par Mahdi Boukhalfa

Le ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel, et les ministres des Affaires étrangères, le Tunisien Khemaies Jihnaoui et l'Egyptien Samah Choukri, doivent déblayer le terrain dimanche et lundi dans la capitale tunisienne pour la mise en route d'un plan de règlement global et inclusif de la crise libyenne, annonce-t-on à Alger.

Il devrait même, en cas de succès, ouvrir la voie à l'organisation en mars prochain d'un sommet des chefs d'Etat des trois pays sur la Libye. Le dossier libyen, complexe du fait des nombreuses interventions étrangères qui n'ont fait que compliquer les voies de sortie d'une profonde crise politique et militaire, devrait, du point de vue des trois capitales, trouver une solution «inclusive» qui concernerait toutes les parties libyennes.

Six années après la chute du régime de Mouammar El Gueddafi à la suite d'un soulèvement populaire soutenu par les pays occidentaux dont Paris et Washington qui avaient forcé l'ONU à organiser une intervention militaire aérienne, le pays est englué dans une situation sociale, politique et économique chaotique, alors que sur le plan sécuritaire, il est pratiquement aux mains de milices lourdement armées et de groupes terroristes proches de l'Etat Islamique. Bref, pour les pays limitrophes, la crise libyenne est devenue un réel danger pour la stabilité et la sécurité de la région. En outre, les ingérences militaires étrangères, dont la France et les Etats-Unis, faussent les plans de règlement de l'ONU comme ceux des pays voisins pour trouver une sortie de crise, qui prenne en compte les points de vue de toutes les parties impliquées dans ce conflit. Pour l'Algérie, seul un dialogue inclusif entre Libyens reste la clé d'un règlement global et durable. «Au cours de cette réunion, il s'agira de définir le rôle de chaque pays dans le rapprochement de points de vues entre les parties libyennes, de converger leurs approches respectives afin de faire avancer le processus actuel devant conduire à la consolidation de l'Accord politique et garantissant, par là même, le succès du Sommet tripartite prévu à Alger», précise le ministère des Affaires étrangères algérien dans un communiqué à la veille de cette réunion. En outre, ajoute la même source, «l'Algérie a entrepris, à la demande des parties libyennes, des efforts intenses pour aider à ce rapprochement et à trouver des solutions aux différends qui les opposent». «L'Algérie reste déterminée à œuvrer dans ce sens pour qu'une solution définitive soit trouvée et permettre le rétablissement de la sécurité et de la stabilité dans ce pays», explique le ministère.

M. Abdelkader Messahel devrait se rendre en tournée dans plusieurs régions libyennes dans les prochains jours, «à la demande des parties libyennes qui se sont rendues en Algérie ces dernières semaines», indique encore le ministère algérien des Affaires étrangères. C'est en somme ce que vont s'atteler à mettre en place les ministres des Affaires étrangères d'Algérie, de Tunisie et d'Egypte. Mais, les trois pays, s'ils sont d'accord pour trouver rapidement une solution à la crise libyenne, ne partagent cependant pas la même tactique, ni les mêmes intérêts.

Il y a ainsi l'Egypte qui joue une carte «en solo» avec le général Khalifa Haftar, autoproclamé maréchal et chef de file du gouvernement de Tobrouk, qui veut débarrasser le pays des milices islamistes et dans la foulée, des Frères musulmans. C'est pourquoi il est soutenu par Le Caire, qui voudrait utiliser la carte Haftar pour évincer les Frères musulmans du dialogue inter-libyen. Au Caire, en début de semaine dernière, Haftar avait été reçu par le chef d'Etat major égyptien, Mahmoud Hidjazi. L'Egypte place ses pions et soutient clairement le général Khalifa Haftar. En clair, l'Egypte veut revoir certaines clauses de l'accord de décembre 2015 à Skhirat pour ouvrir la voie à plus de prérogatives aux militaires dans les négociations inter-libyennes, et donc donner plus de poids politique au «plan» Haftar. Dans la capitale égyptienne, le général Haftar avait rencontré plusieurs hauts responsables, politiques et militaires et, selon des sources locales, les Egyptiens voudraient évincer certaines parties libyennes avec lesquelles le gouvernement de Tobrouk ne s'entend pas, dont Fayez al Sarraj, le chef du GNA.

Par contre, Alger et Tunis, qui travaillent discrètement pour réunir les factions islamistes adeptes d'un dialogue devant permettre une rapide sortie de crise, y compris les Frères musulmans. C'est un peu dans ce sens que les présidents Bouteflika et Caïd Essebis avaient entériné dans la plus grande discrétion fin janvier dernier à Tunis une rencontre entre Ahmed Ouyahia et Rached Ghannouchi, dans la demeure de celui-ci. La teneur de ces discussions n'a pas été rendue publique, mais les observateurs avaient relevé, sans être démentis, que les deux hommes avaient parlé de la mise en place d'un plan de règlement de la crise libyenne où les Frères musulmans libyens joueraient un rôle de neutralisation et de rapprochement des milices islamistes armées des solutions de crise proposées lors d'un dialogue inclusif.

Les ministres algérien, tunisien et égyptien discuteront donc aujourd'hui et demain lundi des conditions d'«une solution politique consensuelle à la crise» que connaît la Libye, a annoncé de son côté vendredi le ministère tunisien des Affaires étrangères. Les trois pays veulent ainsi «rassembler les dirigeants rivaux (libyens) autour de la table du dialogue», précise le communiqué tunisien, car la Libye, faut-il le rappeler, est divisée entre deux autorités politiques qui se disputent le pouvoir : le chef du gouvernement d'union nationale (GNA) Fayez al-Sarraj, basé à Tripoli, et un parlement opposé à celui de Tripoli, basé à l'est, à Al-Bayda, dirigé par Aguila Saleh, qui soutient le maréchal Khalifa Haftar et ne reconnaît pas le Gouvernement d'Union Nationale. Les deux chefs de file devaient se rencontrer mardi au Caire à l'initiative de l'Egypte pour modifier l'accord inter-libyen signé au Maroc en décembre 2015 sous l'égide de l'ONU et aux termes duquel le GNA a été créé. Mais, selon M. Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar a refusé de le voir «sans justification ou raison».