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Il sera inhumé aujourd'hui à Chéraga: Décès du ministre du Commerce, Bakhti Belaïb

par Ghania Oukazi

«La vie n'a plus aucune signification, je m'excuse d'être encore là alors qu'eux sont partis.»

C'est ce qu'a lâché hier le professeur Yahia Guidoum en pleurant Bakhti Belaïb à chaudes larmes. Nous l'avions contacté en premier parce qu'il connaît bien le défunt pour l'avoir côtoyé au gouvernement mais surtout au RND. En disant «eux sont partis», il parlait de Bakhti Belaïb et du défunt Amar Zeghrar. Tous deux ont été à la pointe du combat contre la gestion d'Ahmed Ouyahia alors secrétaire général du RND. «Ils sont partis alors que rien n'a changé au RND, c'est injuste que ce départ se fasse alors que la rapine continue de sévir», nous dit Guidoum avec la gorge secouée par les sanglots. L'ancien ministre de la Santé et avant de la Jeunesse et des Sports, membre du Conseil de la nation, pleure à chaudes larmes en répétant «mon âme va s'excuser d'être encore là alors qu'eux sont partis». C'est que le professeur Guidoum est lui aussi bien malade depuis quelques années. La disparition de Amar Zeghrar suite à une méchante maladie, l'avait meurtri. Celle de Bakhti Belaïb risque de l'achever. «La plaie de Amar n'a pas encore été cicatrisée que celle de Bakhti s'ouvre, je souhaiterais moi aussi partir le plus vite», nous disait-il hier en sanglotant.

Yahia Guidoum, Amar Zeghrar, Mouldi Aïssaoui, Bakhti Belaïb et autres Nouria Hafsi, Tayeb Zitouni, avant eux Mokdad Sifi, Nouredine Bahbouh, ont été parmi les premiers membres du Conseil national du RND à déclarer la guerre à Ouyahia. «Nous étions révoltés par la gestion du RND, par la marginalisation des cadres sincères, Ouyahia a recouru à tous les incompétents détenteurs de l'argent sale, il ne supporte pas l'opposition, c'est pour cela qu'il s'est entouré de médiocres», rappelle-t-il. Il tient à noter que la fronde contre une telle gestion du RND a repris fortement au temps où Abdelkader Bensalah avait remplacé Ouyahia. «Amar, Mouldi et moi avions demandé gentiment à Bensalah d'exclure tous les cadres véreux imposés par Ouyahia, nous voulions ouvrir le RND aux jeunes et aux capitaines d'industrie, mais il a refusé, il en tirait même une victoire puisqu'il disait : j'ai réussi parce que j'ai résisté aux frondeurs», se souvient Guidoum qui affirme que les trois cadres avaient démissionné du Conseil national à cet époque.

Amar Zeghrar a été exclu «alors qu'il était déjà mort»

«Après le congrès que Bensalah a organisé, il nous a exclu tous les trois la veille de l'intronisation de Ouyahia à la tête du RND, Amar l'a été alors qu'il était déjà mort, c'est révoltant !», déplore Guidoum.

Pour l'histoire, en 1999, Ahmed Ouyahia a remplacé Tahar Benbaïbèche alors SG du RND. C'est «le premier coup d'Etat scientifique» au RND en prévision de l'arrivée de Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République. Bouteflika avait exigé en plus du FLN que le RND le soutient dans sa quête du pouvoir. Ouyahia était à l'époque le mieux indiqué pour mettre le RND à sa disposition. Il gardera le parti jusqu'à janvier 2013, c'est-à-dire juste après la première dissidence qui s'était déclarée contre lui à la fin 2012. «Bakhti Belaïb était membre du bureau national et a été candidat aux législatives de 2012 dans la wilaya de Tissemsilt», se rappelle Nouria Hafsi, depuis fer de lance de la dissidence contre Ouyahia. «Ouyahia a tout fait pour que Bakhti ne passe pas dans son propre fief», affirme-t-elle. «Dès nos premières actions de dissidence que nous avons menées contre Ouyahia en 2012, Bakhti m'avait appelée pour me dire : je suis avec toi et à tes côtés pour mener ce combat», nous dit Hafsi. Bensalah est désigné en janvier 2013 pour remplacer Ouyahia et tenir le congrès en décembre de la même année. «Bakhti démissionne du bureau national six mois après sa nomination, pour protester contre Bensalah parce qu'il estimait que rien n'avait changé, Bensalah était resté sur la même ligne que Ouyahia», explique Hafsi. L'arrivée de Bensalah était pour décourager la fronde qui s'était renforcée contre Ouyahia juste après les élections législatives. En juin 2015, le RND conteste Bensalah, lui retire sa confiance et le pousse à la démission. Ouyahia revient comme intérimaire pour être intronisé en tant que SG en mai 2016, après qu'il ait transformé le congrès extraordinaire en congrès ordinaire pour en arracher son plébiscite.

Belaïb devait reprendre les négociations avec l'OMC

«A la préparation du congrès, Bakhti avait demandé à réanimer la dissidence contre Ouyahia parce qu'il l'avait vu poursuivre la purge du parti de ses meilleurs cadres, intègres et fidèles aux fondamentaux du RND», affirme Hafsi. «Ils vont continuer à profaner cet espace, ils ont tout gagné, ce qui me désole c'est que nous allons tous partir mais Ouyahia va demeurer avec la même politique de marginalisation et de saccage du RND», se plaint le professeur Guidoum.

Bakhti Belaïb a eu beaucoup de mal à admettre la disparition de Amar Zeghrar qu'il avait connu pour avoir été tous les deux très proches de Liamine Zeroual alors président de la République. Zeghrar a été son directeur de cabinet jusqu'en 1999, année où il a été mis fin à ses fonctions par Bouteflika devenu président de la République. Zeghrar avait à peine 43 ans. A son évocation, Bakhti faisait des malaises. Aujourd'hui, c'est Guidoum qui refuse de continuer le chemin tout seul alors qu' « eux deux sont partis et les autres ont tout gagné ». Il en pleure en sanglotant.

Bakhti Belaïb avait à cœur, en plus de « nettoyer » le commerce de la rapine, de reprendre dès cette année le 13ème round des négociations avec l'OMC (Organisation mondiale du commerce). « Nous sommes le pays qui est le plus vieux négociateur avec l'OMC, et ce n'est pas fini », nous disait-il en 2015. « Et plus on tarde, plus on paie », affirmait-il. Il nous parlait de 133 questions qui étaient posées à l'Algérie depuis longtemps, « que nous devions actualiser et en accélérer les réponses », pensait-il. Il disait avoir discuté de cela avec une délégation américaine qu'il avait rencontrée à la réunion de la CNUCED. Le ministre du Commerce nous avait précisé que les Américains avaient posé, entre autres, des questions sur les textes réglementant le marché des concessions des voitures.

«J'ai une envie folle d'aller voir ma terre natale»

L'Algérie se devait de régler les problèmes posés par le manque de transparence du marché local, sur les factures exorbitantes, la surfacturation? Le ministre avait entrepris une série de contacts avec les différents ministères pour nous disait-il « améliorer les réponses sur l'état du commerce et de l'économie nationale en général ». Bakhti Belaïb, faut-il le noter, avait été le premier ministre du Commerce à conduire le premier round des négociations avec l'OMC. C'était en 1997 lorsqu'il avait été nommé une année avant ministre du Commerce par Zeroual. «J'ai quitté le ministère en 1999, je reviens 16 ans après sans que rien n'ait bougé, je pense qu'aujourd'hui notre pays est prêt à conclure ses négociations », nous faisait-il savoir l'année dernière.

Souffrant depuis septembre 2015 d'une méchante maladie, il n'avait pas perdu de sa verve, de sa fougue à débusquer les fraudeurs dans le commerce, à voir le RND se remettre sur « la bonne voie ». Ceci, même si la dégradation de son état de santé lui faisait perdre des forces jour après jour. Il nous disait qu'il était prêt à partir, « sans regrets ». A la veille de son premier départ vers l'hôpital parisien où il devait commencer ses soins, Bakhti nous confiait qu'il avait une forte envie d'aller se promener dans Theniet El Had, son lieu de naissance. « J'ai une envie folle d'aller voir ma terre natale, de respirer son air frais et sain, de revoir la générosité de notre région, ma terre me manque terriblement », nous avait-il lancé. Bakhti est né au pied du majestueux et frondeur Ouarsenis. Il en avait hérité la fierté, la grandeur et la révolte. Il se révoltait contre tout ce qui lui semblait de travers. « Il disait tout haut ce que beaucoup dans son entourage pensent tout bas », nous disait hier une chef d'entreprise qui reconnaît en lui « l'homme des principes et des engagements ».

Bakhti sera enterré aujourd'hui au cimetière de Chéraga, près de son ami Amar Zeghrar. Adieu l'ami, puisse Dieu t'accueillir dans Son Vaste Paradis.