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TRIBUNE - La France redevient la 5ème puissance mondiale grâce au Brexit : Il y a des bouteilles qui ne tiennent debout que par la grâce de l'étiquette

par Abdelhak Benelhadj

Une vieille théorie empirique prétend décrire la vie et la mort des civilisations, selon un étrange parcours géographique dont le centre de gravité subit inexorablement un «décalage vers l'ouest». Les augures qui annonçaient depuis longtemps le réveil de l'Empire du Milieu, étaient un peu victimes de ce qui est moins une théorie qu'un mythe sympathique. Au mieux.

Historiquement, on peut dater symboliquement, au 21 septembre 1931, il y a de cela 85 ans, le basculement transatlantique : après Gênes, Venise, Madrid, Anvers, Amsterdam? le cœur de l'Occident passe de Londres à New York à la faveur de la dévaluation de la livre sterling par rapport à l'or. La City va céder à Wall Street le pouvoir de réunir ceux qui comptent pour décider de ce qui compte.

Et ce sera le dollar qui deviendra le double-décimètre de la valeur, des stocks et des flux.

Au cours de l'été 1944 à Bretton Woods, (alors que la Seconde Guerre mondiale continuait sa marche mortifère, sans les Allemands, sans les Japonais - et pour cause !-, sans les Soviétiques -réfractaires à l'idée que le marché décide des affaires des nations-?, que le mode d'emploi de l'Economie mondiale, des Finances internationales et du Commerce a été édicté.

Lord John Maynard Keynes, brillant représentant de Sa Majesté britannique, et Harry Dexter White, assistant au secrétaire au Trésor des États-Unis, seront les deux principaux archevêques d'une messe qui accouchera des institutions et des règles sous le régime desquelles vivront les nations de 1945 à ce jour. Le maréchal Pétain n'étant plus en état de mandater qui que ce soit à sa place, P. Mendès France occupait alors un des strapontins réservés aux provinces du nouvel Empire.

En dépit de leur dissentiment J. Rueff et le Général s'occupaient à compter les coups et à administrer les restes. L'année suivante, C. de Gaulle président provisoire, quittait la tête d'un gouvernement qui allait le rester longtemps? Dame ! La France était encore occupée par toutes sortes d'armées et l'Amérique qui fabriquait, à plein régime, un porte-avions par semaine était assise sur 2/3 du stock d'or monétaire mondial. «Lorsqu'un type de 130 kg parle, celui qui ne pèse que 60 a intérêt à écouter» mettait en substance M. Audiard dans la bouche J.-P. Belmondo.[1]

Et c'est ce régime, malgré les crises de 1968, 1971, 1973, 1987? 2008?, qui régit encore peu ou prou le monde, alors que l'état de l'économie et des finances mondiales appelle dans l'urgence à la fondation d'un nouveau système monétaire international qui tarde à voir le jour.

En 2016, le Fonds monétaire international (FMI) déclassait la France au 6ème rang des économies de la planète, avec une création de richesses estimée à 2.228 milliards d'euros, derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne et le Royaume-Uni et ses 1.932 milliards de livres sterling. Octobre 2016, Miracle : Grâce au Brexit, la France a repris la 5ème place qu'elle n'occupait plus depuis 2014.

La livre sterling a, en effet, atteint en début de cette semaine, ses plus bas niveaux, depuis 5 ans, face à l'euro et depuis 31 ans face au dollar, suite à l'annonce, dimanche 2 octobre, par la Première ministre britannique Theresa May, d'engager une sortie de l'Union européenne d'ici la fin du mois de mars. En contrepartie de quoi l'économie et le commerce britanniques quoi qu'on en dise, par ailleurs, vont beaucoup gagner en compétitivité-prix.

Cette amélioration du classement de la France en terme de PIB va en revanche coûter cher à son commerce extérieur ce qui va aggraver son caractère structurellement déficitaire, ce qui ne va évidemment pas améliorer ses relations avec l'Allemagne.

Croire que ce que perdra la GB sera récupéré par la France, c'est n'y rien comprendre aux rapports de forces établies en Europe et dans le monde. Londres restera en Europe malgré la Brexit. L'activation de l'article 50 ne changera rien à l'essentiel. Derrière le Royaume-Uni il y a un parrain puissant et ombrageux ainsi qu'une multitude de membres qui ne sont entrés dans l'Union que pour accéder rapidement l'OTAN.

Et si la City devait perdre quelques prérogatives, ce sera sûrement Berlin et Francfort qui en organiseront le transfert vers le continent. Londres, indéfectiblement attaché à l'Empire, a consenti depuis 1942 (rencontre Roosevelt-Churchill à Terre-Neuve), confirmé en décembre 1962 par la rencontre Kennedy-MacMillan, à une subordination que les Britanniques résument en une formule délicieuse dont ils ont le secret : «special relationship»[2].

De tout cela va, bien naturellement «se réjouir» l'équipe qui aura en charge les affaires de la France, au printemps 2017. Il en va ainsi de tous les classements : ils n'intéressent les marchands de courants d'air, les bonimenteurs et leurs imprudents clients. Si les Français ne sont ni les seuls ni les premiers, l'état de leurs affaires les porte, ces dernières années, à préférer l'emballage au produit, la forme au contenu, la communication à l'action, les illusions aux réalités.

Ils excellent dans la vente de produits que leurs entreprises industrielles, mises aux enchères sur les marchés internationaux, renoncent à fabriquer[3]. Le classement de Shanghai obsédant leurs dirigeants, ils préfèrent apprendre l'anglais à leurs écoliers et à leurs étudiants au lieu de s'attacher à la qualité de leur recherche et de leurs enseignements universitaires.[4] Lorsque la livre valait 1,153 euro, c'est la GB qui est 5ème mais quand elle passe à 1,14 euros, mercredi et 1,13 euro, ce jeudi 6 octobre, c'est la France qui passe devant.

A quoi tiennent la puissance et la performance des nations? ? Comme s'il suffisait de modifier les graduations d'un thermomètre pour améliorer la santé des hommes et celle de l'économie de leur pays? Une leçon à méditer pour tous les apprentis dirigeants des républiques bananières, encombrées d'écornifleurs accrochés à leurs conteneurs débordant de pacotilles et de peuples amnésiques.



[1] «100 000 dollars au soleil» (H. Verneuil, 1964).

[2] Que Churchill aurait forgée (le Royaume Uni est bien le seul à y tenir) en 1946 de passage dans le Missouri.

[3] La dernière affaire en cours, Alstom (qui, après avoir cédé sa branche énergie à GE, s'apprête à mettre fin à terme à son industrie ferroviaire), illustre une désindustrialisation qui va de pair avec un renoncement à toute autonomie de décision.

[4] 95% des japonais ne pratiquent aucun idiome étranger. Cela n'empêche pas le Japon d'être à la pointe de la recherche et de l'industrie : plus de 20% des brevets déposés dans le monde (5% pour la France qui compte moitié moins de population que le Japon). Lire sur cette question, l'opus éclairant de Claude Hagège (2012) : Contre la pensée unique. Paris, Odile Jacob, 245 p.