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L'Aïd, est-ce demain ?

par Bouchikhi Nourredine

Une question récurrente qui revient chaque année et à laquelle nous sommes incapables d'apporter une réponse mais dont dépend toute une mécanique dont les rouages ne se déclenchent qu'à quelques heures avant le moment fatidique qu'est l'Aïd.

Comme à chaque fin du ramadan, les Algériens à l'instar de leurs coreligionnaires de nombreux pays, s'apprêtent à célébrer l'Aïd el fitr ; au fil des années et des aléas du calendrier, les gens peuvent profiter de moments de communion qui ne durent pas plus que deux ou trois jours, sauf exception (Coïncidence avec un jour férié ou un week-end).

Hormis les personnes soumises au régime du travail posté, tout le monde ou presque tente de profiter ou aspire à le faire de cette fête sans distinction de son statut de fonctionnaire ou de travailleur libéral. Chacun s'arrange comme il peut pour s'octroyer ces moments en famille même s'il faut utiliser des moyens détournés : congés de maladie de complaisance, arrangement avec les camarades ou carrément pour les élèves et étudiants, sécher l'école ou la rentrée universitaire comme c'est le cas depuis ces dernières années où l'aïd [el adha] coïncide avec la rentrée sociale et ce devant l'impuissance des responsables pédagogiques qui ont fini par abdiquer en reportant officieusement la rentrée ou en décidant d'une pause de plusieurs jours juste après la reprise de longues vacances, la pression sociale aura finalement force de droit ou de fait accompli.

Il est vrai que dans chaque société les fêtes obéissent dans leur légitimation, non seulement au caractère sacré ou historique, mais aussi et surtout à une réalité sociale admise par une majorité même sans référence religieuse ou idéologique.

Pour comprendre au mieux la portée de ces affirmations, les exemples ne manquent pas, beaucoup de fêtes et d'événements d'essence purement religieuse, notamment chrétienne, sont célébrées dans des pays qui se réclament laïques comme la France et la quasi-totalité des pays européens et même aux Amériques.

En fait, c'est plus une occasion pour ne pas dire un prétexte pour profiter d'un repos synonyme de retrouvailles qui peut durer jusqu'à deux semaines; c'est ainsi que Noël, le jour de l'an, les fêtes de pâques, l'assomption font partie d'un vécu séculaire qui s'oppose en fait à la laïcité pour ne pas dire l'athéisme de ces sociétés, mais qui dans la réalité n'engendre aucun conflit idéologique ou contradictoire car c'est le pragmatisme qui prend le dessus et le deal est ainsi consommé.

L'esprit communautaire et consensuel prend les devants ; ayant intégré cette réalité évidente, ces sociétés se sont organisées pour faire de ces repères une occasion pour renforcer les liens familiaux et créer ainsi une ambiance festive à même de donner un coup de fouet à la cohésion sociale sans oublier le côté économique notamment celui des loisirs et voyages qui se retrouvent ainsi fortement boostés ; la fête d'un jour est transformée ainsi en un long congé de plusieurs jours.

Chez nous, et cela concerne certains pays musulmans, chaque année nous devrons attendre le verdict au lendemain de « la nuit du doute » pour savoir si demain sera jour férié ou non !

Dans ces conditions, il relève de l'impossible de se programmer par exemple pour un déplacement familial, ceci quand les distances sont à portée d'un trajet en voiture sinon quand il s'agit de prendre un avion l'équation devient alors insoluble : car comment faire une réservation sans avoir une date exacte de départ ? Ni les citoyens ni les compagnies ne peuvent faire leur planning, c'est une gestion pour le moins archaïque au jour le jour dans un monde moderne où tout est prévu à l'avance. Tous les autres secteurs se retrouvent affectés par cette expectative aléatoire, l'exemple de cette année est édifiant ; si jamais le ramadan comptera 29 jours, ce qui est fortement possible, les travailleurs devront reprendre le boulot le jeudi juste après l'aïd pour encore être en repos le week-end, gâchant ainsi une occasion de faire un long pont de cinq jours que beaucoup seront ainsi tenté de le faire même sans y être autorisé et aucun gestionnaire ou décideur le plus doué qu'il soit ne peut faire face à cette situation kafkaïenne comme c'est le cas assez souvent.

Les fêtes de l'Aïd dans nos sociétés sont une rare opportunité pour des retrouvailles entre membres d'une famille, entre voisins ou amis et deux ou trois jours ne sont guère suffisants pour qu'une personne puisse par exemple joindre le pays d'un bout à l'autre et à la dernière minute et retrouver ainsi son gite familial, ceci pousse les uns et les autres à user de moyens pas toujours légaux pour pouvoir célébrer cette fête de partage avec les siens, faute de quoi et dans l'impossibilité d'y parvenir, ils se laissent abandonner à leur sort, envahis par un sentiment de frustration aux conséquences délétères pour le moral, car ce n'est pas le repos en lui-même (d'une journée ou deux ) qui est le plus important mais c'est le besoin non comblé d'être entouré et être parmi les proches en ces moments particuliers qui fait le plus mal ; à l'heure où la cellule familiale est dislocation, victime de l'urbanisation et de la modernité, les occasions pour ressouder les liens et se ressourcer se font de plus en plus rares, contribuant ainsi à aggraver le problème.

Il aurait été plus judicieux et courageux surtout de prendre le taureau par les cornes et de faire en sorte de trouver une solution qui puisse répondre à ces attentes ; malheureusement on continue à s'entêter face à une réalité sociale bien reconnue par tous mais qu'on s'obstine à nier.

Nous devrions au contraire nous inspirer des expériences d'autrui pour apporter des réponses à nos contradictions. Il sera sûrement plus productif socialement parlant et même sur le plan économique de pouvoir gérer la situation et non la subir comme c'est le cas actuellement.

Alors pourquoi ne pas décréter une fois pour toutes un repos officiel à l'occasion de l'Aïd ; il prendra effet au 28ème jour du ramadan pour une durée d'une semaine (y compris les 2 jours classiques de l'aïd).

Il faudra alors veiller à assurer la continuité du service public par des permanences tournantes.

Cela évitera de rester dans l'incertitude vécue à chaque fin de ramadan, les travailleurs pourront programmer leur départ bien à l'avance et même ceux qui résident dans des contrées lointaines, ils pourront passer quelques jours en famille sans trop se soucier du stress du voyage ; les étudiants ne seront pas contraints de boycotter les cours et les enseignants éviteront une situation embarrassante qui les dépasse, les compagnies de transport terrestres, aériennes ou autres seront mieux armées pour faire face à la situation.

Ce ne sera pas une innovation car quelques pays musulmans (Moyen orient) ont déjà opté pour cette alternative qui prend mieux en considération les aspects socioculturels et les retombées positives sur leur société.

Une évidence est que les fêtes de l'aïd chez nous procurent toujours un ressenti jovial beaucoup plus que toutes les autres, qu'elles soient (les fêtes) de nature religieuse ou nationale et ma conviction, vu le désintérêt pour ne pas dire l'indifférence avec laquelle ces dites fêtes sont célébrées, fait que la majorité serait prête à y renoncer pour profiter pleinement d'un long repos à l'aïd.

En effet, el Mawlid, Achoura, Moharrem, bien que estompés du caractère religieux, se passent comme des jours ordinaires ; leur suppression qui pourrait déclencher le courroux de certains, n'aura sûrement aucune conséquence dramatique et de toute façon ces fêtes n'ont aucune référence dans la tradition musulmane ; ni le Coran ni la Sunna n'ont invoqué de décréter un repos en la circonstance.

La seule référence reconnue par tous est relative à la célébration de l'Aïd [Hadith]. Il est rapporté qu'à sa venue à Médine, Le Prophète (QSSL) en commentant une fête célébrée avant l'avènement de l'Islam, a dit : « À la place de ces deux jours, Allah vous a choisi deux autres jours qui sont meilleurs, il s'agit de l'Aïd al-fitr et de l'Aïd al-adha. » *

L'objectif est d'être au diapason des aspirations et échos émis par la société pour vivre en parfaite harmonie, loin des contradictions et ambigüités caractérisant certains des choix ou plutôt des « non choix »-que devraient assumer les décideurs. choi« Allah a interdit à la terre de manger le corps des Prophètes ».

En conclusion : une société qui ne se remet pas en question, qui n'apprend pas de ses expériences ne pourra pas avancer, le bon sens devra toujours nous guider pour aller de l'avant ; il suffit de débattre calmement et sereinement pour convaincre les plus réticents.

Notes :

* Rapporté par Abou Daoud