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Brexit: La perversion de l'Europe

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Née et construite sur l'idée de paix, de prospérité et de justice sociale, l'UE offre aujourd'hui à ses peuples les inégalités sociales, le diktat du monde financier et les guerres. Comment s'étonner de son rejet par les peuples ?

Réveil difficile au lendemain du prononcé du divorce entre la Royaume-Uni et l'Union européenne (UE). Que faire pour éviter une implosion politique de l'UE ? Un esprit pragmatique s'interrogerait sur les raisons du divorce et la première d'entre elles est sans conteste l'absence de «démocratie» dans la gouvernance. Terrible constat pour le continent chantre des libertés. La démocratie, énorme concept d'organisation politique duquel découle l'organisation des sociétés et le sens qu'elles donnent à leur destin. Et c'est peu dire que de constater que l'UE, du moins celle des gouvernants, s'éloigne de plus en plus du principe qui a présidé à sa naissance : la légitimité populaire. Et cela les peuples le ressentent et le vivent quotidiennement. Un référendum dans tous les pays de l'Union confirmera le verdict des Britanniques. Qu'est-ce que l'Europe unie ?

La philosophie de ses textes fondateurs proclame trois grands principes et buts à atteindre: la paix, la prospérité et la justice sociale. Que constatent et vivent les peuples européens? Une Europe en guerre ailleurs contre d'autres peuples, des inégalités sociales croissantes et une prospérité captée et otage de la spéculation des bourses mondiales. Les alertes des peuples sont quotidiennes : grèves, manifestations des classes populaires et classes dites moyennes épargnées jusqu'au début de ce siècle, migration transversale au sein de l'UE et hors UE des populations à la recherche de meilleures conditions de vie, etc. Dans cet état permanent de revendications sociales, les réponses des gouvernants tardent à venir et parfois sont ignorées. La barre des 10 - 12% de chômage ne bouge pas depuis plus de 20 ans et dans certains pays oscille autour des 20 -25%, notamment depuis la crise financière internationale de 2008. Un terrain social fertile et propice qui a favorisé la montée des extrémismes à droite comme à gauche de l'échiquier politique européen. L'Europe politique ne répond plus à l'Europe des peuples. Le divorce entre les élites dirigeantes et les peuples est consommé depuis quelques années déjà. Les populistes de gauche et de droite gagnent à chaque échéance électorale des points. C'est la triste réalité que révèlent études et sondages publiés régulièrement ces dernières années. Face aux dangers qui guettent sa cohésion politique et sociale, l'UE offre une autre perspective à l'inverse du principe qui a présidé à sa naissance : les guerres. Contre la volonté de ses peuples, les gouvernants des Etats de l'UE s'engagent de plus en plus dans des guerres à la périphérie de l'Europe, le sud-Méditerranée, le Proche et Moyen-Orient ; s'enlisent dans des conflits en Afrique et jouent la surenchère avec le voisin russe en Ukraine, Géorgie, Abkhazie... Curieusement, les foyers de guerres se sont multipliés et ont succédé à la crise financière internationale de 2008 ! L'argent, le nerf de la guerre, dit l'adage. Dans ce sens, les multiples promesses des gouvernants d'assainir la sphère financière sont restés lettre morte : les paradis fiscaux pullulent et l'évasion fiscale y compris celle dite «légale» a pris le dessus sur le pouvoir politique, quand elle ne le pilote pas. Luxleaks, Swissleaks, Panama Papers, etc. jusqu'au scandale de la banque du Vatican. Rien n'y fait, les gouvernants font montre d'une totale incapacité à y mettre fin et à punir les coupables.

Les peuples européens assistent impuissants aux déferlements médiatiques sur tant de dérives du monde de la finance et des affaires et subissent l'exact contraire: augmentation du coût de la vie, fiscalité écrasante et emploi précaire. Symptôme révélateur de cette soumission au dictat de la finance : l'impossible harmonisation fiscale entre les pays de l'UE. Dans ces circonstances de crise sociale et d'austérité économique, les peuples européens sont confrontés, malgré eux, à l'autre contrecoup de la politique étrangère de l'UE: les guerres dans lesquelles elle est impliquée et leurs conséquences que sont les flots de réfugiés et de migrants. Autre pain bénit pour l'extrême droite et souverainistes qui transfèrent tous les ratages, perversités et injustices sociales des politiques nationales et celles de l'UE sur le dos des migrants et réfugiés. L'UE s'enferme dans une logique suicidaire.

Le signal britannique est quelque part salutaire pour le reste de l'UE. Il sonne la limite de la stratégie choisie par les gouvernants et élites dans le modèle de développement qui tend depuis près de 15 ans vers un ultra-libéralisme que les peuples d'Europe rejettent en majorité. Les Européens ne fuient pas la maison commune de l'UE, ils veulent une autre UE faite avec eux, par eux. Ils veulent une Europe plus juste, plus sociale qui milite et s'implique pour la paix ailleurs et pour l'amitié des peuples. Pas celle de l'argent.