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Bac 2016: La fraude ne devrait pas choquer !

par Abed Charef

Face au fisc, dans les élections, dans le commerce extérieur, la fraude s'est étendue. Pourquoi choque-t-elle quand il s'agit du bac ?

D'un côté, les partisans de la ministre de l'Education, Mme Nouria Benghabrit. De l'autre, ses adversaires. Ceux-ci sont des conservateurs, des islamistes, des gens rétrogrades, ennemis du progrès et du savoir. Dans l'autre bord, des militants modernes, ouverts, et par extension, démocrates. C'est la nouvelle ligne de clivage proposée aux Algériens en cet été 2016. Hommes politiques, chefs de partis, leaders d'opinion, journalistes, chroniqueurs et citoyens ont été sommés de se positionner. Avec un diagnostic sans appel : celui qui n'est pas avec nous est contre nous.

Dans un tel conflit, il est inutile de se fatiguer à chercher où se retrouvent Echorouk, le MSP, Cheïkh Chemseddine, Ennahar, les anciens du FIS, les arabo-baathistes et les néo-intégristes. Leur place naturelle est dans le camp qui a déclaré la guerre à Mme Benghabrit. L'autre Algérie, celle de la rationalité et de l'ouverture, de la science et du savoir, est avec la ministre, contre qui un complot, au sens premier du mot, a été tramé.

Quelques évidences méritent d'être rappelées pour se convaincre de l'existence d'un vrai complot. La fraude organisée autour des sujets du bac ne visait pas seulement à favoriser un ou des candidats. Elle ne visait pas non plus à tirer un éventuel bénéfice financier, en revendant les sujets du bac. La publication des sujets d'examen sur les réseaux sociaux visait clairement à discréditer l'examen, la ministre, l'administration, ou l'Etat. Ou tous à la fois. De ce point de vue, Mme Benghabrit a raison quand elle affirme qu'il s'agit d'un complot de nature criminelle visant à déstabiliser l'Etat.

Produit de la fraude

Sur le reste, toutefois, l'attitude de Mme Benghabrit est plus contestable. Lier son sort à la modernisation du pays et de l'école est une supercherie. La ministre de l'Education fait partie d'un gouvernement dont des membres ont été publiquement mis en cause dans des affaires de pots-de-vin. Elle côtoie, au sein de l'exécutif, des personnes citées dans l'affaire des Panama Papers, et dont l'enrichissement est, au minimum, entouré de doute. Elle fonctionne au sein d'un pouvoir qui est devenu le symbole de la fraude, de la tricherie, du non respect des règles. Comment, à partir d'une telle position, veut-elle convaincre de sa volonté de lutter contre la fraude?

Depuis l'indépendance du pays, aucune décision n'a autant symbolisé la déliquescence des institutions que le maintien de M. Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République pour un quatrième mandat. Or, Mme Benghabrit a émergé précisément avec le quatrième mandat. C'est à ce moment qu'elle a fait son entrée au gouvernement. Elle l'a fait avec un tel mépris pour la populace qu'on se demande comment des mots comme pédagogie et démocratie peuvent être cités à son propos. Cerise sur le gâteau, elle est soutenue par M. Ouyahia, qui a bénéficié, en 1997, de la plus grande opération de fraude électorale de l'Algérie indépendante. L'attitude de Mme Benghabrit rappelle d'ailleurs une autre militante célèbre, qui avait dénoncé la fraude à l'époque, avant de rejoindre le pouvoir avec armes et bagages : Khalida Toumi. Rejoindre un pouvoir qui fait aussi peu cas de l'esprit et de la lettre de la Constitution révèle des dispositions qui disqualifient définitivement leur auteur. Un produit de la fraude ne peut pas combattre la fraude.

Enjeux

Cette crispation autour de Mme Benghabrit débouche, par ailleurs, sur une lecture erronée de l'affaire du bac et des enjeux qui l'entourent. S'agit-il de sauver une femme, une ministre, ou l'école? S'agit-il de moderniser l'école, ou de consacrer le contrôle de l'école par un groupe supposé moderne? Prétendre qu'en sauvant Mme Benghabrit, on sauve l'école, ou dire que sauver l'école passe par le salut du soldat Benghabrit est non seulement faux, mais dangereux. Ce qui impose une mise à plat de toute cette affaire, pour revenir à l'essentiel, avec une question toute simple: c'est quoi le problème, au fait?

Il s'agit en réalité de deux problèmes, étroitement imbriqués. Le premier concerne le déroulement d'un examen, le plus important du cycle scolaire, que l'Etat algérien peine à organiser dans des conditions correctes; le second problème concerne l'enseignement dispensé au sein de l'école algérienne, lui aussi sérieusement remis en cause.

Pour l'organisation du bac, la fraude a atteint un seuil intolérable. Et plus la fraude s'étendait, plus le dispositif était élargi, impliquant les services de sécurité et l'administration locale, sans que cela débouche sur des résultats probants. Le bac est d'ailleurs devenu une épreuve sécuritaire plus qu'un test pédagogique.

Seules des institutions crédibles?

Comme pour les élections, on voulait combattre la fraude, mais on a eu de nouvelles dérives. La raison en est simple : on a choisi les mauvaises solutions pour lutter contre la fraude. On a fermé les yeux sur les vrais problèmes, et on a mis des dispositifs bureaucratiques totalement inefficaces.

Mais tôt ou tard, il faudra revenir au réel, pour se rappeler les fondamentaux : seule une administration neutre, disciplinée, obéissant à la loi, sans interférence du wali, du ministre ou du général, peut assurer une élection sans fraude, des importations sans fraude, et un bac sans fraude. Les commissions indépendantes, présidées par Mohamed Bedjaoui et ses amis, les dispositifs sécuritaires complexes, ne mèneront nulle part. Ils ne feront qu'aggraver le problème. Ce qui revient à dire que sans un Etat et des institutions crédibles, la fraude ne fera que s'amplifier.

Quant au contenu de l'école, c'est une autre question. Emettre son avis personnel n'est pas primordial, mais voici le mien : je suis pour une école plus scientifique, moins religieuse, où l'éducation religieuse devrait être remplacée par l'histoire des idées et la philosophie, avec une place plus large pour les langues, vecteurs de civilisations. Mais imposer cette école par effraction, ou par la force, n'est pas la solution. L'école, la défense nationale, la politique étrangère et l'énergie sont des secteurs qui ne peuvent être soumis aux aléas de la conjoncture. Ils doivent faire l'objet d'un consensus national, tout en étant soumis à un débat permanent.