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Accordons-nous de l'importance au dessin et au jeu dans les classes maternelles ?

par Abdelhamid Benzerari

Le préscolaire n'est pas une école au sens ordinaire du mot. Il a pour objectif de donner aux bambins les soins que réclame leur développement physique, intellectuel et moral, un commencement d'habitudes disciplinées et de curiosités intellectuelles sur lesquelles l'école primaire puisse s'appuyer pour donner plus tard un enseignement régulier.

Il doit aider au développement des diverses facultés de l'enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d'application ; il est destiné à l'éloigner du désœuvrement en lui faisant éprouver les jouissances de l'activité.

Le travail des institutrices ne consiste pas à apprendre à lire, à écrire et à calculer. Il doit donner envie de lire, de parler, de chanter, faire en sorte que l'enfant devienne curieux. Donner les premiers éléments du calcul, de l'écriture, du langage et de lecture. A cet âge, le gamin n'est pas capable de lire. Il sera donc sollicité malgré lui. Et s'il ne parvient pas à lire, cet enfant sera d'autant plus culpabilisé qu'il aura le sentiment de ne pas arriver à faire plaisir au monde adulte qui l'entoure et qui l'aime. On aura de gros risques de blocage.

Le programme comprend par ordre d'importance :

1) Des jeux, des mouvements gradués.

2) Des exercices manuels :

 dessin, travaux manuels?

3) Les premiers principes d'éducation morale.

4) Les connaissances usuelles.

Le dessin et l'imagination créatrice des petits

« Le dessin, c'est l'éducation de la main, de l'œil et de l'intelligence. » Froebel.

Il faut faire une place toute particulière au dessin comme forme naturelle d'expression, au dessin libre s'entend, où l'élève met en œuvre des scènes personnellement vécues. H. Wallon dit du dessin qu'il est « surface sur laquelle l'enfant joue avec ses émotions ». D'abord simple frottement d'un objet quelconque, ce geste qui, comme l'a noté James Sully dans ses Etudes sur l'enfance, « n'est qu'une manière de jeu », devient assez rapidement intentionnel dès que l'enfant peut disposer des outils indispensables et crayonner est bientôt, comme l'a remarqué Mme Kergomard, « un de ses grands bonheurs ».

Qu'il soit effort de représentation du réel, tentative d'expression d'idées ou de sentiments, ou simplement essai d'activité créatrice, le griffonnage tient une grande place dans la vie des tous petits. C'est la constatation de ce fait qui a conduit Pestalozzi à populariser l'enseignement élémentaire du dessin (armés d'une ardoise et de craie rouge, ses élèves dessinaient ce qu'ils voulaient tandis qu'il leur faisait répéter, comme exercices de langage, des phrases d'histoire naturelle) et Froebel à introduire dans son Kindergarten toute une série d'exercices pratiques « destinés à l'éducation simultanée de l'œil et de la main ».

Héritière directe des traditions du jardin d'enfants de Froebel, l'école maternelle use largement du goût spontané de l'enfant pour le dessin.

Dès son entrée, bien avant qu'il soit question d'écrire, le jeune enfant est ainsi amené à perfectionner son geste graphique et à satisfaire le besoin qu'il traduit. Pour les petits ( 2 à 5 ans) des crayonnages libres ainsi que des copies de silhouettes et d'alignements de cubes, briques, bâtonnets, lattes, cailloux, jetons, boutons, etc., d'abord réalisés matériellement et, pour la grande section ( 5 à 6 ans), outre ces mêmes exercices, des décalquages de feuilles, de petits dessins symétriques sur papier quadrillé, des dessins d'objets, des croquis de tous genres, etc.

Rôle du dessin dans les exercices de l'école maternelle

Il contribue grandement à ce stade à la formation générale de la personnalité. Les libres crayonnages tiennent lieu, tout au long de la seconde enfance, de langage écrit : ils permettent à l'enfant d'exprimer les idées qui bouillonnent en lui, de raconter, de s'exprimer, de se dériver, de se libérer. Souvent, d'ailleurs, le langage graphique s'accompagne du langage parlé : comme l'a observé Tobie Jonckheere, dans la Pédagogie expérimentale au jardin d'enfants, « tout en dessinant, l'enfant commente l'attitude des personnages et narre les événements ; il parle à haute voix, complète l'imperfection de son dessin par la parole, le geste, les jeux de physionomie ». Le psychopédagogue américain H. Lukens a découvert, en comparant 250 récits de l'incendie d'une maison à 250 récits de l'événement faits par 250 autres enfants de cinq à six ans, que le langage graphique est, à cet âge, plus riche, plus précis, plus ordonné que le langage verbal.

 Le décalquage de feuilles d'arbres restreint la liberté : c'est déjà une véritable discipline, un entraînement à la reproduction des formes. La copie de combinaisons colorées de graines, coquillages, de bordures, de rosaces, etc., développe le goût déjà vif de l'enfant pour la couleur. S'il est vrai, comme on l'a dit, que la nature parle aux yeux par la forme et par la couleur, « par mille et mille aspects qu'elle donne aux objets et par cette infinité de nuances dont elle les colore », on voit que l'école maternelle ne néglige rien pour faire entendre à l'enfant ce langage silencieux. Elever l'enfant, c'est l'aider à s'élever et il faut l'aider à devenir un homme en restant lui-même, fidèle à sa vision du monde. On comprend que H. Matisse ait pu écrire : « Voir est déjà une opération créatrice et qui exige un effort. Pour peindre une rose, il faut d'abord oublier toutes les roses. »

Il faut respecter la liberté de l'enfant et laisser mûrir lentement en lui ses goûts, ses projets, son œuvre. Le rôle de l'éducateur est de permettre à l'enfant de prendre progressivement conscience de ses moyens tout en préservant son imagination créatrice. Sans activité créatrice de la part de l'enfant, aucune appréhension, ni compréhension profonde de l'expérience humaine n'est possible et l'on peut donc dire que la capacité de création est une condition préalable à toute formation esthétique.

 La première de ces règles est de laisser à l'élève la liberté du sentiment et de l'interprétation. Comme l'enfant tend spontanément à dessiner, il est évident qu'on ne doit lui imposer ni la vision, ni la technique de l'adulte. Cela ne signifie pas qu'il faille l'abandonner à lui-même. L'enfant a besoin d'être encouragé, soutenu. La maîtresse est son guide naturel.

Les dessins symétriques sur papier quadrillé, auxquels Froebel tenait essentiellement et que Jonckheere condamne dans la crainte de les voir tarir la source du dessin spontané, disciplinent à la fois l'œil et la main, l'attention et la volonté. La reproduction d'objets initie au dessin d'observation et apprend à voir.

Le dessin a en outre sa place dans l'enseignement de l'écriture (exercices préparatoires à l'apprentissage des lettres) et dans celui du calcul (reproduction figurée des arrangements de bûchettes, jetons et autres objets constituant les premières opérations manuelles).

Il apparaît nécessaire d'attirer l'attention des maîtres et maîtresses des cours préparatoires sur l'obligation de favoriser par tous les moyens le besoin qui pousse les enfants à dessiner. Au sortir de l'école maternelle où nulle contrainte n'a été imposée, mais où l'éducatrice a su créer un climat de confiance et d'accueil, il y aurait un grave inconvénient à priver l'enfant de ce moyen naturel d'expression qui met en jeu toutes les facultés créatrices, et qui contribue, par le développement de l'observation et de la sensibilité, à la formation générale de la personnalité.

En résumé, le dessin a une place de choix à l'école maternelle tant comme discipline que comme moyen d'expression et instrument d'acquisition. Ne manquons pas d'ajouter, pour terminer, qu'il permet à la maîtresse de compléter sa connaissance de ses petits élèves et de la psychologie de l'enfance en général.

Apprendre en jouant

« Le jeu devrait être considéré comme l'activité la plus sérieuse des enfants ». Montaigne.

Qu'en est-il aujourd'hui du jeu à l'école maternelle ?

Le jeu s'arrête-t-il quand commence le travail ? Peut-on parler de jeu lorsque les objectifs d'apprentissage sont clairement définis par l'institutrice et que cette dernière attend quelque chose de précis à l'issue du jeu ?

Importance du jeu dans le préscolaire

C'est par le jeu, forme spontané de l'activité, que l'enfant commence de lui-même son éducation. Pour Spencer, le jeu est dépense d'énergie superflue. Pour Groos, il est exercice des instincts en puissance. Pour Car, c'est un stimulant nécessaire à la croissance. Pour Claparède, si le jeu a pour fonction de permettre à l'enfant de réaliser son moi, il est également dérivation : en jouant, l'enfant se décharge des tendances agressives, anti-sociales.

En fait, si chez l'adulte le jeu est détente après le travail, activité libre après l'activité imposée, chez le jeune enfant le jeu est toute l'activité : même une activité utilitaire devient jeu par « transformation imaginaire » des choses. Toute la question est là. Presque toute l'activité de l'enfant est jeu ; or, lorsqu'il joue, l'enfant vit dans un monde fictif : c'est à travers une perception illusoire et animiste des choses qu'il prend contact avec le réel (le balai est cheval ; la serviette, poupée, etc.) ou, comme on l'a dit, à travers des schèmes pré-percepteurs déformants. C'est là évidemment un commencement d'éducation ; mais ce n'est pas toute l'éducation. Car, en cet ordre d'idées, l'éducation consiste à conduire l'enfant de sa perception illusoire des choses transfigurées (ou défigurées) par son imagination à la perception objective des choses telles qu'elles sont ou, tout au moins, telles que tout le monde les voit. Nous touchons là à la condition essentielle de l'adaptation, laquelle est recul de la subjectivité au profit de l'objectivité, remplacement des schèmes pré-percepteurs exacts. Or, si la perception est une opération intellectuelle, son élément fondamental est une opération physiologique : la sensation. C'est sur la sensation que se fonde l'élaboration des schèmes pré-percepteurs, moules dans lesquels se coule la perception proprement dite. L'on comprend pourquoi, de Locke et Rousseau à W. James, des sensualistes aux pragmatistes, nombreux sont les écrivains pédagogiques qui accordent à l'exercice des sens la première place. Rappelons que deux grandes «maternelles», Mme Kergomard et Mme Pape-Carpantier, ont à leur tour souligné l'importance de l'éducation sensorielle («L'enfant est un être exclusivement sensitif»? «C'est par les sens, portes et fenêtres de sa maison, que l'enfant fixe les premières assises de son savoir.») Le jeu sensoriel, auquel s'ajoutent les travaux manuels, le dessin et les exercices d'observation, n'est pas un amusement : il s'insère dans l'activité vitale de l'enfant.

Rôle du jeu et des jouets

Le jeu est « le travail de l'enfant », c'est son métier, c'est sa vie. L'enfant qui joue à l'école maternelle, s'initie à la vie scolaire. L'amusement et le jouet, prémisses de langage, font entrer l'enfant dans un monde symbolique. Les psychologues, psychiatres et anthropologues s'accordent à reconnaître le jeu comme nécessaire au langage. Les jouets, s'ils médiatisent des relations ludiques langagières, avec les éducateurs deviennent des « presque mots » qui initient l'enfant à son humanité en même temps qu'à sa culture.

On joue mieux avec d'autres jouets !... A Dijon, dans les années 70, séduits par les expériences réalisées dans les pays scandinaves : Danemark mais aussi en Inde et au Canada, on a manifesté un vif intérêt pour les ludothèques qui permettaient aux petits d'expérimenter des jouets avant que leurs parents en fassent l'acquisition. Le jouet choisi par l'enfant est prêté pour une durée de huit jours ; mais ceux-ci peuvent être reconduits jusqu'à trois semaines. C'était une première en France. Venant à la ludothèque, les gamins découvrent au fur et à mesure de leur évolution, les autres possibilités de culture : bibliothèque, modelage, travaux manuels divers, conférences, théâtre, cinéma, découverte de la nature, sports etc.

Comme une jeune plante, l'enfant a besoin d'air, de soleil et d'eau. Mais il a également besoin de mouvement : d'où la place faite aux jeux physiques libres, individuels ou collectifs. Toutefois, le jeu libre n'est pas suffisamment efficace : l'enfant doit apprendre à respirer, à corriger la voussure de sa colonne vertébrale faible, à assouplir ses articulations. Toute une gymnastique est nécessaire présentée sous forme de jeux et de thèmes : « marchons à pas de géant, à pas de loup, comme la grenouille, comme les petits canards? » Il est bon que les petits comprennent dès l'école maternelle que les jeux que la maîtresse propose, exigent d'eux un vrai travail qui les fait devenir des élèves.

En somme, l'éducation donnée à l'école maternelle se fonde sur la forme spontanée même de l'activité enfantine, le jeu. Qu'il s'agisse d'éducation sensorielle ou d'éducation physique, l'école maternelle est avant tout un endroit où l'on joue et où, pour reprendre le mot de Froedel, « l'enfant qui joue est chose sacrée ».