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Le piège du taux de change chinois

par Barry Eichengreen *

NEW YORK – Depuis des mois, la politique de taux de change de la Chine a semé le trouble sur les marchés financiers mondiaux. Plus précisément, la confusion à propos de cette politique a semé le trouble sur les marchés. Les autorités chinoises n’ont pas réussi à bien communiquer leurs intentions, ce qui a favorisé l’opinion qu’ils ne savent pas ce qu’ils font.

Pourtant, il est plus facile de critiquer la politique chinoise que d’offrir des conseils constructifs. Le fait est que le gouvernement chinois est à court de bonnes options. Il n’y a aucun doute que le pays se porterait mieux avec un taux de change plus flexible qui éliminerait les paris à sens unique des spéculateurs et agirait comme un absorbeur de chocs économiques. Cependant, la littérature qui se penche sur les « stratégies de sortie » – sur la façon de passer d’un taux de change fixe à quelque chose de plus flexible – indique clairement que le moment où la Chine aurait pu aborder cette transition en douceur est maintenant passé.

Les pays peuvent sortir d’une parité fixe en douceur seulement quand il y a une large confiance dans l’économie, qui encourage la croyance qu’un taux de change plus flexible est autant susceptible de s’apprécier que de s’affaiblir. Cela était peut-être vrai pour la Chine dans le passé ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Cela met les responsables chinois dans la position du touriste en Irlande qui demande son chemin pour Dublin à un gars du coin qui répond : « Eh bien, monsieur, si j’étais vous, je ne démarrerais pas à partir d’ici. »

Mais quelle est alors la moins mauvaise option pour la Chine ? Les autorités pourraient poursuivre leur stratégie actuelle d’ancrage du renminbi à un panier de devises étrangères et en même temps leur programme de restructuration et de rééquilibrage de l’économie. Néanmoins, il faudra du temps pour convaincre les observateurs sceptiques qu’ils s’engagent véritablement dans cette stratégie, compte tenu des faux pas récents. Entretemps, les investisseurs parieront contre eux.

Ils le font déjà. Les sorties de capitaux ont atteint les100 milliards de dollars par mois. Un calcul simple suggère que, avec ses 3 billions de dollars de réserves, les autorités peuvent tenir pendant au moins deux ans. Mais la fuite des capitaux a tendance à augmenter de façon spectaculaire plus la fin approche. Une fenêtre de deux ans est une illusion.

Alternativement, le renminbi pourrait être autorisé à fluctuer plus librement. La Banque populaire de Chine pourrait lui permettre de se déprécier par rapport au panier de référence, par exemple de 1% par mois, afin d’améliorer la compétitivité des exportations chinoises et répondre aux préoccupations de surévaluation de la monnaie.

Mais, étant donné la faible demande mondiale, ce genre de dépréciation modeste ne stimulera guère les exportations et la croissance économique. En outre, si le renminbi perdait 1% de sa valeur chaque mois, la fuite des capitaux s’accélérerait encore.

La troisième option est une dévaluation unique de, disons, 25%. Cela renforcerait la compétitivité des exportations d’un seul coup. En théorie, si l’on déprécie la monnaie jusqu’au niveau où elle devient nettement sous-évaluée, les investisseurs s’attendent à ce qu’elle récupère de sa valeur. Le capital se met alors à affluer, au lieu de sortir du pays.
 
Cela suppose, bien sûr, que tout le monde croie en l’idée que la dévaluation n’en présage pas d’autre. Cela suppose encore que les investisseurs ne soient pas perturbés par le retour des autorités sur leur vœu préalable d’éviter un méga-dévaluation. Cela ignore de plus le fait que les entreprises chinoises, déjà dans une situation désespérée, détiennent pas moins d’un billion de dollars de dette en devises, qui deviendrait beaucoup plus difficile à rembourser. Enfin, cela minimise l’impact économique dévastateur d’une méga-dévaluation sur les pays avec lesquels la Chine est en concurrence.

En procédant par élimination, la seule option qui reste est le renforcement des contrôles de capitaux. Des contrôles stricts peuvent empêcher les résidents et les étrangers de vendre des renminbis contre des devises sur les marchés onshore et de transférer le produit de la vente à l’étranger.

Protégé par cette Grande Muraille financière, les autorités pourraient laisser le taux de change fluctuer plus librement et lui permettre de se déprécier progressivement sans provoquer de fuite des capitaux. Ils gagneraient du temps utile pour mettre en œuvre les réformes permettant de restaurer la confiance. Ils pourraient restreindre les liquidités pour les entreprises déficitaires, ce qui les obligerait à éliminer leurs capacités excédentaires. Ils pourraient restructurer les dettes problématiques. Ils pourraient recapitaliser les banques dont le bilan a souffert suite à ces réformes sans qu’elles en soient responsables. Ils pourraient réparer leur crédibilité endommagée.

Quelques observateurs, comme le chef de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, ont suggéré que la Chine pourrait envisager de renforcer les contrôles. Mais la plupart des économistes sont réticents à envisager cette option. Les contrôles de capitaux saperaient les efforts de la Chine pour internationaliser le renminbi et embarrasseraient le Fonds monétaire international, qui a récemment ajouté la monnaie dans le panier de quatre grandes devises qui sous-tendent son unité de compte, les DTS.

L’objection la plus puissante, cependant, est que le rétablissement des contrôles éliminerait l’urgence à réformer. Libérées de la pression des marchés internationaux de capitaux, les autorités chinoises s’en remettraient aux entreprises publiques et aux responsables locaux, qui préfèrent continuer à fournir de la liquidité en quantité et voir les banques simplement refinancer leurs prêts.

Ce risque de recul est réel. S’il se concrétise, le temps acheté par les contrôles de capitaux sera gaspillé. Le problème se s’aggraverait alors, passant, à un moment donné, d’une crise de change à un effondrement de la croissance. Le meilleur espoir de la Chine – et du monde – est que les autorités chinoises comprennent qu’une crise est une occasion qu’il serait terrible de gaspiller.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont

* professeur à l’Université de Californie, Berkeley, et l’Université de Cambridge, Son dernier livre s’intitule Hall of Mirrors: The Great Depression, the Great Recession, and the Uses – and Misuses – of History.