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Que demande le peuple ?

par Ahmed Farrah

Autrefois à Rome, les élites ne voyaient pas le peuple, ni ses hommes ni ses femmes, il n'était pour eux qu'une populace, une foule amorphe d'individus résignés-réclamants, ignorants, dépourvus de pensée et incapables d'avoir des avis personnels sur les affaires de la cité. Sa condition est le fait de la providence et son exclusion est due à son caractère rechignant. Pour les dominants, la pauvreté du peuple est une destinée, une malédiction du ciel, sa mendicité, sa délinquance et sa sédition, sont une tare inscrite dans son génome. Cet ordre établi et voulu par les gouvernants, occulte maladroitement, le vrai problème de la demande de justice sociale qui se manifeste, dans l'ampleur des protestations. Quand le phénomène s'amplifie et devient sérieux, la frayeur change de camp. La crainte de la révolte devient profonde chez les élites. Que veulent ces frondeurs ? Du pain! «Panem» L'Empereur décide, alors, de distribuer gratuitement du pain à la plèbe. Mais un tube digestif plein ne garantit pas, forcément, à lui seul, la paix (sociale) et n'empêche pas de nouvelles révoltes, à Rome. Quand le ventre est plein la tête chante, dit l'adage de chez nous. Le pain gratuit, alors pourquoi travailler ? Le peuple s'ennuie, commence à se poser des questions et c'est un mauvais présage pour la stabilité de l'ordre. Pour parer à ces émeutes, l'Empereur Titus lui offre un monument, une merveille architecturale, Le Colisée et ses arènes, dans lequel s'affrontent, un jour sur deux, des gladiateurs avec des fauves dans des combats sanglants et mortels, pour un peuple en liesse. Ces jeux divertissaient et occupaient, quasiment, toute la vie à Rome, c'était le début de la fin. La fin d'une époque, l'extinction d'une civilisation qui n'avait pas vu le temps passer et ses élites n'ont pas senti l'involution létale et la naissance d'un monde nouveau qui se fera, sans eux, ont continué à penser, dans un cadre archaïque et dépassé, avec des idées révolues. Il est vrai que l'histoire ne se répète pas, mais il est vrai aussi, et démontré par empirisme, que les mêmes causes produisent presque toujours les mêmes effets. Les sociétés arabes n'arrivent pas à sortir de leur sommeil profond, ils sont dans un monde anachronique qui a rendu, définitivement, son âme, en 1492 à Grenade avec les derniers musulmans qui quittèrent la péninsule ibérique, quand paradoxalement le 12 octobre 1492, Christophe Colomb accoste aux Bahamas et offre les Amériques au monde chrétien. Depuis, les musulmans se sont réfugiés et repliés dans leurs certitudes, en quête de leur protecteur. Lestés dans leurs corps, ne regardant le monde nouveau, qu'à travers le trou de la serrure qui les enferme, dans leur pudeur, ils implorent le ciel pour les protéger et pour leur donner un sauveur, un chef, un héros qui les sécurise et apaise leur souffrance. L'émancipation est une liberté retrouvée, mais ils n'en veulent pas, ils la craignent, elle est dure à porter, elle les oblige à vivre le monde, dans sa globalité et dans ses difficultés. La réalité leur fait peur, la responsabilité aussi, ils se contentent de leur condition d'assistés, pour ne s'occuper de rien. Comme leur sort et leur destiné sont guidés par le Créateur, ils s'en remettent aussi au patriarche, à l'imam, au guide, au chef, au leader, au président, au monarque, au dictateur? pour résoudre tous leurs problèmes. Cette société subit le temps qui passe loin d'elle, consomme et admire ce que produit l'Occident et feigne de le détester. Si on lui demandait qu'a-t-elle fait depuis 1492, elle ne saurait pas répondre. Parce qu'elle n'a rien fait depuis cette date, elle est encore téléportée, dans les siècles « anté-vapeur », bien que cet Occident mécréant a vu passé Newton, Einstein et Steve Jobs? Mais faut-il, aussi, dire, qu'individuellement l'Arabe n'est pas moins intelligent, il n'est pas moins créatif que les autres, cependant il ne peut pas éclater son talent et ses compétences et briller que lorsqu'il est hors de sa société inhibitrice et étouffante, où il n y a pas de place à la pensée, à l'opinion différente et à l'esprit critique.

Comme disait le poète Adonis : « Nous devons, nous détacher, complètement, du cadre de l'extinction, et envisager une autre identité, une nouvelle culture, une nouvelle société arabe ». Un vœu pieux ? Peut-être pas car le monde a, de tout temps, changé le cœur battant, de Babylone à Rome, puis de Rome à Bagdad, de Bagdad à Londres il est aujourd'hui à San Francisco, demain il sera à... Algéria la nouvelle capitale annoncée dans les livres saints.