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Ministre des Finances: l'art de mettre fin au «social» sans y mettre fin

par Kamel Daoud

Sans constance politique ou «organique », le ministre des Finances fait l'actualité. Au-delà du duel Louisa Hanoune contre le Makhzen, ce fonctionnaire, inconnu et tiède, est chargé de la terrible mission de mettre fin au socialisme alimentaire sans y mettre fin. Compter les sous qu'on n'aura pas et démanteler la doctrine d'alimentation générale qui tient lieu d'idéologie au pays depuis le départ de la France. La grande question autour de laquelle il tourne comme autour d'un formulaire vide est « comment réduire le social sans scier la branche sur laquelle est assis le régime ? » Comment à la fois faire passer la pilule et dire qu'elle n'existe pas ? Car, sans être spécialiste en économie, on comprend confusément une chose : le pays est en mutation vers une sorte de libéralisme « parti unique » qui pèse pour mettre fin au social qui a pompé les richesses de l'Algérie, mais pas pour construire un capital puissant et fort. Le but n'est pas la Corée du Sud mais une sorte de club dirigeant qui divise, restitue les monopoles. Une sorte de libéralisme spécifique pour ceux qui se souviennent du jeu de formule.

Le « social » a bien sûr détruit cette nation, ses valeurs, sa vision de l'effort et du travail et a produit une peuplade addictive à l'assistanat permanent. Avec, en produit dérivé, une monstruosité spéculative qui vit en parasitant les subventions du sucre, huile et autres moteurs du sang. Mais le libéralisme version « Bureau politique » ou « Comité central » est pire. Et on le voit. Et dans la bourrasque du démantèlement, le ministre des Finances incarne à la fois la peur, la lâcheté politique (à cause du manque de légitimité), le statut de chargé de mission et le fonctionnaire sommé de faire passer « un plan social » dans une entreprise en faillite programmée pour mieux faire passer une privatisation frauduleuse (car destinée à certains et pas à la concurrence libre).

 Il faut donc suivre cet homme et écouter ses conjugaisons car elles sont une olympiade de la salive. Il faut suivre sa façon de dire oui, non, mais, peut-être, cependant, alors que. Du bel ouvrage avec la langue et le chiffre. Un magnifique prophète de la rétraction.

Tout cela rendu possible parce qu'on n'a plus d'Etat, plus de régime mais seulement un appel d'offres entre initiés et une peuplade tétanisée par le binaire hallal/haram ou par les exils sains ou rancuniers, dans la tête ou par la mer et les airs. Il faut donc suivre cet homme, c'est un grand orateur que les journaux négligent pour réintroduire l'humour dans nos goudrons.

Etrange à la fin : l'Algérie ressemble de plus en plus à l'Egypte de Moubarak mais avec un Moubarak qui à 124 ans : des oligarques de service, des baltaguya en guise de pluralisme, une classe moyenne prise en otage entre le bigotisme religieux et la peur, des télévisions abêtissantes, des drogues dures comme la semoule, le foot ou la fatwa et juste un ministre des AE pour occuper les interlocuteurs étrangers et un ministre des Finances chargé d'inventer des langages impossibles ? Et les autres, c'est le Makhzen ou le Hammam. Ecrit il y a longtemps : il est très difficile de soulever un peuple qui ne pèse pas. Contrairement aux lois de Newton.