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« J'ai des dossiers!», cria-t-il, postillonnant à n'en plus
pouvoir, jusqu'à noyer la logique dans un océan de salive, jusqu'à éteindre le
soleil. «Oui, monsieur, j'ai en ma possession des dossiers compromettants !»,
vociférant, fumant des naseaux et les yeux injectés de sang, prêts à être
éjectés de leurs orbites. Dans un geste théâtral, il leva le bras, cherchant à
agripper les nuages pour s'éponger le front plissé, et agita la main en signe
de dossiers. «J'ai des dossiers», répéta-t-il dans une litanie jouissive, les
yeux jouant une partie de ping-pong, et «je les montrerai en temps opportun».
Savourant l'effet d'annonce, il prendra ses distances avec tous les hommes aux
dossiers qui ont joué, un jour, le rôle qu'il tenait. «Je ne suis pas comme
tous ces fabulateurs qui prétendent détenir des dossiers et qu'on n'a pas vus
jusqu'à aujourd'hui», un sourire bien entendu au coin de ses grasses lèvres. «
Des dossiers qui les enverraient en prison et qui sont entre mes mains »,
parla-t-il en direction de personne en particulier sauf ceux qui se
reconnaîtront entre les lignes. Lui, il les connaît, il sait ce qu'ils ont
commis, les vols, les détournements, la haute trahison passible du peloton
d'exécution parce qu'il a les dossiers entre ses mains. Des dossiers sur tout
et tout le monde, sur les responsables, leurs fils et leurs maîtresses. De
l'économie, à l'industrie, des finances et du gaspillage, des pots-de-vin, pas
le jus de betterave qu'on boit à côté des rails, mais le bon vin millésimé à
des centaines de milliers d'euros, la bottle. «Vous
verrez en temps opportun, vous dis-je. Patientez, je ne suis pas comme tous ces
guignols qui crient aux dossiers à la première bourrade dans le dos, au premier
coup de pied au c?». Un murmure curieux, admiratif et approbateur, s'éleva
parmi la foule.
-«Et ils sont où ces fameux dossiers ?» -« Pourquoi tu me poses cette question, pourquoi dois-je te répondre, à toi, petit journaleux ?, je te connais-toi et tes semblables, vous finirez tous devant un juge. De toute façon toi aussi tu fais partie de mes dossiers ». Il trembla comme un faux taleb en pleine transe et pointa son index boudiné sur l'assistance. «Toi, toi aussi, oui toi le fortass, toi moustache, le pied-bot, toi derrière? vous tous, j'ai des dossiers sur vous. Vous croyez que je plaisante, vous verrez quand on viendra vous chercher au saut du lit !». -« Juste une dernière question et vous pourrez tous nous envoyer dans un camp si ça vous chante. Votre dossier, à vous, il se trouve chez qui s'il vous plait ?». |
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