«
Partir c'est mourir un peu», disait le poète. Hélas, par les temps qui courent,
il n'a pas toujours raison. Car partir aujourd'hui c'est mourir en masse. Voilà
ce que dit la pièce tragique qui se joue en mer Méditerranée. Des cadavres, on
ne fait que les repêcher, par dizaines, de la grande Bleue, qui a pâli devant
les catastrophes qui se répètent dans ses rivages. Cent onze cadavres ont été
récupérés et des dizaines de personnes sont encore portées disparues après le
naufrage, jeudi, de leur bateau, au large de la Libye, selon un nouveau bilan
fourni, hier, par le Croissant-Rouge libyen. Certains parlent de 200 personnes
qui ont péri dans ce naufrage d'une embarcation qui a chaviré avant de se
remplir d'eau et de s'engloutir au large de la ville de Zouara, à près de 160
km, à l'ouest de Tripoli, avec à son bord environ 400 migrants, venus pour la
plupart d'Afrique, avec l'espoir de rejoindre les côtes italiennes. Seulement
198 personnes ont été sauvées, sur les 400 qui se trouvaient sur cette
embarcation d'infortune, selon le dernier rapport établi sur cette énième
tragédie. Selon le HCR, plus de 300.000 migrants ont traversé la Méditerranée
depuis janvier 2015, et plus de 2.500 personnes sont mortes en mer après avoir
tenté de rejoindre l'Eldorado européen. Eldorado, dites-vous ? Pas si sûr. Si,
par miracle, on arrive à échapper à la noyade, lors de cette traversée qu'on
nomme, désormais, «la route de la mort», on n'est pas les bienvenus là-bas, sur
les côtes de l'Eldorado. L'Europe, qui semble s'émouvoir face à tant de misère,
ne se décide pas à résoudre les problèmes de ces migrants qui partent à
l'assaut de l'espace Schengen. Enfin, on a tout juste trouvé le juste mot pour
les désigner, considérant dans ce contexte qu'ils n'ont plus à faire face à des
«migrants» mais à des ?réfugiés'. L'Europe a, activement, participé à la
propagation du chaos, dans plusieurs pays arabes et africains, par le biais
d'un «printemps», parmi les premiers, qui leur ouvrait la voie vers la liberté
et la démocratie qu'on leur chantait, et en appauvrissant d'autres à travers
les vols incessants de leurs richesses naturelles. Inutile, donc, de verser les
larmes de crocodile. Les leaders des démocraties européennes font semblant de
se démener pour se partager le fardeau de la prise en charge des ces
misérables, qui débarquent par centaines sur leurs côtes. Et, en attendant de
trouver un consensus entre eux, pour le partage du coût de la prise en charge,
on laisse ces réfugiés se débattre dans leur misère, ou face à des groupes
racistes qui n'hésitent pas à user de violents arguments pour leur dire qu'ils
ne sont pas les bienvenus. Sur ce plan, force est de reconnaître que la Grèce,
malgré tous ses déboires économiques, reste le meilleur refuge pour des
milliers de migrants. Enfin, en guise de meilleur refuge, on ne trouverait pas
mieux que chez soi. Si les fils de cette terre africaine qui regorge de
richesses naturelles prenaient conscience de leurs atouts, si les armes se
taisaient et les hostilités cessaient, si les pays d'origine de ces migrants
compatissaient au sort dramatique vers lequel se précipitent les leurs, on ne
serait jamais arrivé au point d'attendre une compassion des autres ; ceux-là
mêmes qui ne ratent aucune occasion pour nous ruiner et fouler à leurs pieds
notre orgueil. Mais l'avidité du pouvoir, conjuguée à la folie guerrière et la
mainmise des groupes maffieux au col blanc, tant de maux qui rongent la rive
sud de la Méditerranée, n'ont pas, encore, permis au continent africain
d'accéder à la liberté.